Conférence épiscopale : Mrs les Évêques, « que faisons – nous de notre pays » ?

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Selon Lanoca, la session plénière de la conférence épiscopale centrafricaine (CECA) s’est ouverte  ce lundi 7 janvier 2019 au siège de la CECA à Bimbo. Les évêques de Centrafrique vont passer en revue la vie des diocèses , le fonctionnement des commissions épiscopales et la situation socio-politique du pays. Compte tenu de la crise politique, institutionnelle, sécuritaire et socio – économique extrêmement aigüe, que diront – ils au peuple de Dieu de Centrafrique ? Ne prendront – ils pas le courage d’appeler à une prise de conscience nationale, comme leurs prédécesseurs l’avaient fait dans les années 90 ? Leur lettre pastorale de cette année 2019 ne ressemblera – t – elle  pas étrangement au cri d’alarme lancé par leurs aînés intitulé  » Que faisons nous de notre pays » en 1991 ? Que disait – elle, cette lettre pastorale dont la mise en œuvre jouera un rôle combien historique dans l’avènement de la démocratie et l’abolition de la dictature ?

Souvenez – vous !

En 1991, comme la situation s’imposait pour un peuple désarmé qui, involontairement parfois contribue à la dégradation de sa propre situation, les  évêques publient la lettre pastorale «Que faisons-nous de notre pays ? » Le contenu de cette lettre a connu la participation active de toutes les couches sociales du pays depuis les intellectuels jusqu’aux paysans en passant par les enfants de la rue. Il s’agissait d’éviter une guerre civile qui se profilait à l’horizon à cause  certainement des revenus du pays ne profitant qu’à  une infime minorité.« Dieu dit : ‘J’ai vu la misère de mon peuple qui est en Egypte. J’ai entendu son cri devant ses oppresseurs, oui je connais ses angoisses. Je suis descendu pour le délivrer’… » (Exode 3, 7-8) «Je hais, je méprise vos fêtes et je ne puis sentir vos réunions solennelles. Ecarte de moi le bruit de tes cantiques, que je n’entends pas la musique de tes harpes. Mais que le droit coule comme l’eau et la justice comme un torrent qui ne tarit pas « (Amos 5, 21-24)

  1. INTRODUCTION

FRERES ET SŒURS

Que la paix de Dieu soit avec vous ! Nous, Evêques de Centrafrique, aujourd’hui nous nous adressons à vous à cause de la situation dramatique que nous vivons. Avec vous, nous portons le souci de notre pays, nous cherchons comment l’aider à se libérer de ce qui le paralyse et risque de le détruire.  Avec tous les chrétiens, nous ne cessons de prier avec une pensée spéciale pour ceux qui nous gouvernent. Dans nos prédications à l’Eglise, dans notre catéchèse ou dans nos diverses réunions, nous faisons appel à la conscience de tous, pour que chacun se libère de son égoïsme, de sa colère, de son orgueil, et se mette au service de ses frères. Notre Eglise a toujours travaillé au développement du pays par des initiatives multiples. Nous ne manquons pas, nous, évêques, prêtres, religieux, religieuses, responsables laïcs, d’intervenir personnellement auprès des autorités du pays pour attirer leur attention sur les épreuves de la population et les injustices dont elle souffre.

Mais aujourd’hui, vu l’urgence des problèmes et les possibilités nouvelles de choix qui nous seront données par l’instauration d’une plus grande démocratie, nous pensons utile et nécessaire de vous envoyer cette lettre publique, à vous les chrétiens catholiques ainsi qu’à tous les Centrafricains de bonne volonté qui accepteront de nous lire. Nous voulons souligner les maux de notre société pour les analyser, faire apparaître les menaces pour l’avenir, et surtout chercher avec vous ce que les uns et les autres nous avons à faire pour que notre pays devienne un pays de liberté, de paix, de justice, tel que Dieu le veut. Nous voulons d’abord, en toute vérité, parler de la situation. C’est à la lumière de la foi que nous en parlerons, de la foi en ce Dieu qui a déjà éclairé la conscience de nos  ancêtres et que la Bible nous révèle comme un Dieu de vérité et d’amour.

Dieu ne veut pas que notre pays sombre dans le chaos. Il voit notre détresse et son désir profond est de nous sauver. Mais il ne le fera pas sans nous. Il nous demande de reconnaître nos fautes, de changer notre cœur et nos comportements.

  1. REGARD ACTUEL SUR NOTRE PAYS PRIS DANS LE VASTE MOUVEMENT DE L’AFRIQUE

AUJOURD’DUI

Notre pays a été touché par le mouvement qui secoue violemment tout le continent  africain. L’Afrique aspire à la démocratie pour être partie prenant de son avenir. Elle prend conscience d’une destinée commune à l’échelle planétaire, d’une solidarité nouvelle dans la grande marche vers plus de liberté et de participation. Ce processus  paraît inéluctable. Le vent de la démocratie souffle sur notre pays. Il suscite un espoir et provoque les  réactions de la population. Le Chef de l’Etat a accepté le multipartisme dont on attend maintenant la mise en œuvre concrète. C’est le moment d’étudier la situation et d’en évaluer les conséquences. « QUAND LE POISSON PLEURE DANS L’EAU PERSONNE NE VOIT SES LARMES ». Notre pays est confronté à de graves difficultés. Son fonctionnement est bloqué. Les grèves dans la fonction publique et dans le privé s’éternisent. Bangui a connu manifestations, violences et pillages. Ces faits révèlent des maux plus profonds :

-les souffrances de la population, cachées par la pudeur des pauvres et l’indifférence de ceux qui s’enrichissent à leur dépens ; -la peur « qui s’étend sur la ville comme un grand manteau » accumulant des sentiments de colère et de révolte habituellement refoulés

  1. UNE ACCUMULATION DE MAUX

A l’origine des grèves actuelles, il y a des revendications salariales : salaires bloquées, salaires payés très en retard, salaires très insuffisants…Mais le mouvement actuel n’est pas seulement une affaire de salaires. Une accumulation de maux touche toute la population.

a)Santé

Beaucoup de Centrafricains vivent dans des conditions d’insalubrité grave : eaux stagnantes dans les quartiers non drainés, inondations des quartiers bas à chaque grosse pluie, accumulation des ordures… Les mesures préventives sont très insuffisantes. Affectés par le paludisme et les parasitoses chroniques, privés de soins et de médicaments trop onéreux, beaucoup de gens vivent une existence diminuée.

b) Manque d’argent

Beaucoup de personnes vivent avec un maigre salaire, certains, après avoir travaillé, ne sont pas payés ; d’autres sont au chômage. En ville ils survivent, parfois grâce à une plantation, au petit commerce que font les femmes, les enfants et les jeunes, parfois aussi grâce à la solidarité familiale. Ici, tout se paie : redevances scolaires, papiers officiels, convocations, impôt, ordonnances, dot, amendes … etc. Ils sont continuellement dans la position de celui qui n’est pas à la hauteur de ses devoirs. Faute de réserves, l’équilibre fragile du budget familial s’écroule à la suite d’une maladie, d’un deuil, d’un vol…L’argent en circulation dans le pays diminue. Beaucoup d’entreprises ferment. Les cultures industrielles reculent et disparaissent de régions entières. Quand, en plus, les fonctionnaires ne sont pas payés, le petit commerce et l’artisanat perdent une grosse partie de leur clientèle. A cause de la pauvreté, les habitations sont rudimentaires et fragiles : il est difficile de se procurer des habits neufs, la plupart des gens marchent à pied, sur de longues distances, au soleil.

Dans cette situation précaire, une bonne partie de la population se sent exclue. Le manque d’argent les met sans cesse dans la position humiliante de celui qui doit faire appel à l’aide, à l’indigence.

c)Milieu rural

Les paysans sont parmi les plus pauvres. Ils travaillent avec des outils et des techniques archaïques, ils n’arrivent pas à ventre leurs produits ou bien ils les vendent à bas pris, alors que les marchandises qu’ils achètent ne cessent d’augmenter. Ils ne sont pas considérés et finissent par avoir honte d’être cultivateurs.

d)Jeunesse

Sur le plan éducatif, il existe un énorme déficit. Tout le monde constate la baisse du niveau scolaire. Les effectifs des classes sont pléthoriques. Le matériel pédagogique et même le mobilier scolaire font cruellement défaut.

Il n’y a presque pas d’écoles professionnelles. Le problème qui hante les jeunes est celui de leur avenir économique et social. Ils ne trouvent pas, ou ne peuvent payer, une formation professionnelle, et ils cherchent en vain un travail salarié. En ville, certains vivent de petits travaux et d’expédients … A la campagne la subsistance est assurée par la plantation. Mais les revenus sont si faibles que les uns et les autres éprouvent un sentiment de frustration permanente. L’éducation civique et morale de cette jeunesse laisse beaucoup à désirer. Telle qu’elle fonctionne : « permanences » passées à s’ennuyer et à s’amuser, délabrement des locaux, absentéisme… l’école ne favorise pas l’acquisition d’un discipline de vie. Par suite de la désunion des familles, beaucoup d’enfants sont livrés à eux-mêmes. Les spectacles vidéo à leur portée étalent la violence et le sexe. Ces spectacles vidéo prolifèrent dans les quartiers des villes. Des gens peu scrupuleux se font de l’argent en ouvrant des salles où ils projettent n’importe quel film. D’une manière générale, il n’existe plus de contrôle dans ce domaine. Les enfants et les jeunes entrent n’importe où, regardent n’importe quel spectacle, même là où l’accès est interdit aux mineurs. Les parents eux-mêmes se disent « dépassés ».

Le SPORT revêt une grande importance pour la jeunesse : « un esprit sain dans un corps sain ». Or le sport scolaire est négligé. Que sont devenus les beaux terrains et les belles installations sportives des établissements d’autrefois ? Les recettes des spectacles sportifs sont gérés directement par le Ministère de la Jeunesse et des Sports, et non par le clubs qui, faute de rentrées d’argent, ne peuvent se développer. Des équipements sportifs offerts gratuitement pour favoriser le développement du sport  sont détournés et revendus dans des circuits privés.

Des jeunes et des enfants sont souvent arrêtés arbitrairement et parfois mêlés ensuite avec des détenus adultes, en dépit de la législation qui interdit l’arrestation des moins de 16 ans. Dans les enquêtes menées à la suite de ces arrestations, la justice est marginalisée. Beaucoup de jeunes sont arrêtés parce qu’ils n’ont pas de papiers en règle. Or les démarches, pour obtenir une simple carte d’identité, sont longues et on ne leur donne pas de reçu pour la demande qu’ils ont déposée. « Tourner le dos à la jeunesse, c’est tourner le dos à l’avenir du pays ».

e)Les femmes

Une enquête auprès des femmes d’un mouvement chrétien a révélé que la très grande majorité d’entre elles estimaient que, dans la société actuelle, leur dignité était moins reconnue qu’autrefois. L’évolution sociale n’a pas allégé leur travail. Souvent, à la compagne en particulier, elles cumulent les tâches traditionnelles (champ, ménages, cuisine, enfants…) avec des obligations nouvelles (scolarité des enfants, consultations pré- et postnatales, alimentation particulière des bébés après sevrage…). Ce sont les femmes qui supportent souvent la charge matérielle et morale du foyer quand le mari est au chômage ou les délaisse. Même très jeunes, les filles sont astreintes à de multiples tâches quand elles reviennent d’école. Souvent leur formation s’arrête rapidement. Rêvant d’une vie plus intéressante, elles deviennent bien souvent les victimes des séducteurs qui les laissent enceintes marquées pour la vie, physiquement et moralement.

La PROSTITUTION se développe. Une pratique apparaît : celle des saisies-arrêts en justice, où des jeunes filles et femmes cherchent à avoir des enfants de plusieurs hommes ; elles exigent ensuite de chacun une certaine somme mensuelle, alors que souvent ces hommes déjà mariés ne peuvent reconnaître ces enfants.

  1. SENTIMENT PROFOND D’INJUSTICE ET DE MENSONGE*

Mais au cœur de la crise actuelle, vient encore s’ajouter autre chose. Ce qui en effet durcit la position des grévistes et des manifestants, c’est un sentiment profond d’injustice et de mensonge. Ils n’ignorent pas l’impact sur notre pays d’une conjoncture internationale défavorable, mais souvent aussi celle-ci n’explique pas tout. Les pauvres pourraient accepter l’austérité que demande l’équilibre budgétaire du pays, si les riches n’étalaient pas en même temps, parfois de manière éhontée, des richesses

accumulées dans l’exercice de hautes fonctions publiques. Les gens perçoivent que leurs malheurs ne viennent pas seulement d’une fatalité, mais qu’il y a injustice, négligence et fautes humaines.

a)L’INJUSTICE

(1)L’argent

C’est vrai que notre pays est pauvre. Mais certaines rentrées d’argent de l’Etat sont très importantes et beaucoup de subventions nous sont accordées. Certains ne confondent-ils pas les ressources de l’Etat avec leurs biens personnels ? D’autre part ces ressources sont mal gérées et d’une manière générale, les richesses sont très mal réparties : l’écart entre les salaires va de 1 à 100, et les plus bas salaires n’ont pas été augmentés depuis des années. Un circuit commercial parallèle se crée, des groupes arrivent à échapper aux impôts, aux taxes et droits de douane, par des manœuvres frauduleuses, privant l’Etat de ressources importantes et tuant le commerce régulier. Le fait que les salaires et les bourses soient payés en retard développe la pratique des « bons à intérêts». Des usuriers font ainsi fortune sur le dos des autres qui perdent là une bonne partie de leur salaire, avec des intérêts de 50%. Et à ceux qui ne sont pas payés ou sont payés en retard, (fonctionnaires, employés du privé, paysans payés en « bon pour »), on ne fait pas de cadeau : impôts et redevances scolaires… sont à payer. Ce sont encore les pauvres sans épargne qui doivent supporter les conséquences d’une mauvaise gestion.

(2)Agriculture – Milieu rural

C’est vrai que notre agriculture est handicapée par la chute des cours du commerce international. Mais il y a aussi le fait qu’on paie le paysan en « bons pour » et qu’il attend souvent longtemps, et parfois en vain, de toucher l’argent qui lui permettrait enfin, après des mois, de pouvoir disposer du fruit de son travail. Et l’on peut se demander parfois où vont les subventions destinées à développer l’agriculture ou à soutenir les cours à l’achat. ? La mauvaise organisation de la commercialisation relève aussi de déficiences humaines. D’une manière générale, malgré les déclarations de principe, et malgré le fait que la RCA est d’abord un pays à vocation agricole, l’Etat a peu fait pour le milieu rural. Les services techniques mis en place ne sont guère efficaces, en particulier par manque de moyens. Le paysan est souvent exposé sans défense aux tracasseries administratives, et pour se dégager, il doit payer sur ses pauvres revenus.

Dans les conflits avec les éleveurs, on donne presque toujours tort aux paysans, car les autres ont les moyens pour influencer l’arbitrage.

(3)Travail

C’est vrai qu’il n’y a pas assez de travail pour tout le monde, mais on embauche par connaissance, par « appartenance » et non pas par compétence – en particulier pour les hautes fonctions, celles qui donnent accès à l’argent de l’Etat, celles qui donnent un pouvoir administratif ou judiciaire dont on peut se servir pour soi-même et ceux de la  même appartenance ethnique, ou, parfois, religieuse.

(4)Santé

C’est vrai que les médicaments manquent. Mais des dotations qui devaient être distribuées gratuitement aux malades leur sont vendues, ou sont détournées vers les pharmacies privées. Pour les malades pauvres qui n’ont pas les moyens d’acheter les remèdes, il ne reste plus qu’à mourir. La « misère des médicaments » est particulièrement grave dans le milieu rural. Faute de véritable circuit de distribution, les gens sont victimes de vendeurs sans scrupules (médicaments sans valeur, prix abusifs). Alors que

les gens influents peuvent se faire soigner gratuitement dans les dispensaires, les paysans doivent payer. Et à quoi servent en fait les véhicules destinés au transport des malades ? On a l’impression que la vie publique n’est plus régie par la loi. Celle-ci est au service des plus forts, on l’utilise contre les faibles. Elle rend les forts plus forts et les faibles plus faibles »…

b)LE MENSONGE

(1)Perte de confiance dans l’autorité

Dans notre pays, la seule parole ayant droit à la publicité et accès aux moyens de communication sociale est la parole officielle du gouvernement et du parti unique qui présentent les choses à leur manière. Le peuple n’a pas droit à une parole publique libre. Il n’y a plus guère dans le pays d’associations libres où les gens peuvent dire ce qu’ils pensent, faire des propositions et se faire entendre, par leur porte-parole, des autorités et de toute la nation. Le droit d’association, pourtant reconnu par la loi de 1961, est battu en brèche par la suspicion qu’éveille tout rassemblement, par la surveillance policière qui engendre la peur, par les lenteurs administratives qui freinent la constitution des groupes. Les tracts se multiplient, et des textes critiques sont diffusés presque clandestinement. Pour les gens du peuple, toute parole officielle finit par être considérée comme mensonge. Elle devient encore plus suspecte à leurs yeux quand elle recourt trop souvent et trop facilement à des considérations religieuses.

(2)Manque de vrai dialogue

Dans les réunions suscitées par la crise, pas de vrai dialogue. Le gouvernement continue à parler son « langage », sans écouter vraiment la critique et les questions de la base. Les hommes au pouvoir prennent une attitude défensive, parfois arrogante. Leurs interlocuteurs, en face, durcissent aussi leurs positions et se méfient de toute proposition.

https://fpcombonirca.files.wordpress.com/…/diatta-n-messages-ceca-de-1985-2010.pdf

 

 

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