Comment Wagner se finance : enquête sur l’eldorado d’Evgueni Prigojine en Centrafrique et au Cameroun

0
365

Comment Wagner se finance : enquête sur l’eldorado d’Evgueni Prigojine en Centrafrique et
au Cameroun

De l’or au café, en passant par le bois et les spiritueux, le groupe russe a fait de la
Centrafrique et du Cameroun l’épine dorsale d’un réseau d’entreprises dont les profits
se chiffrent en millions d’euros. Enquête au cœur de la « multinationale » Wagner.

Jeune Afrique a enquêté sur les finances du groupe russe Wagner en Centrafrique et au Cameroun. Des retombées potentielles de plusieurs dizaines de millions d’euros.

Les mercenaires d’Evgueni Prigojine exploitent notamment la mine de Ndassima, en Centrafrique, où ils fondent des lingots d’or, expédiés ensuite en toute discrétion vers la Russie.

Grâce à des contacts au Cameroun, le port de Douala est devenu la plaque tournante de leurs opérations commerciales. Ils espèrent y élargir leurs activités.

C’est l’une des rares routes secondaires réellement praticables de la région de la Ouaka, dans le centre de la Centrafrique. Une bande de goudron récente qui s’étend sur environ dix kilomètres à travers la brousse, de la ville de Ndassima à la mine d’or du même nom. Saignée sombre et vitale dans un océan de verdure et d’ocre. Le ballet des camions y est régulier. Très surveillé aussi. Le long de l’itinéraire, plusieurs points de contrôle ont été
installés, tenus par des hommes des Forces armées de la République centrafricaine (Faca). Chaque chauffeur y est interrogé et scruté, tandis que son véhicule est soigneusement fouillé.

Ces dernières années, le site minier de Ndassima a été entouré d’une clôture. Elle serpente, quasiment hermétique, dans la forêt du centre centrafricain, barrière végétale qui contribue elle-même à rendre le site presque impénétrable. L’œuvre d’ouvriers locaux, sous la supervision d’ingénieurs russes du désormais célèbre groupe Wagner. Dès 2018, ces
derniers ont en effet jeté leur dévolu sur Ndassima. C’est tout sauf une surprise : depuis de nombreuses années, cette mine d’or, objet de convoitises, est présentée par les experts miniers internationaux comme l’un des seuls gisements potentiellement rentables du pays.

Un accord entre Wagner et Ali Darassa dès 2018

Les Canadiens de la société Axmin s’y sont d’abord longtemps cassé les dents, ayant maille à partir avec les groupes armés locaux. En 2012, la mine était ainsi passée sous le contrôle de la Séléka, qui l’a exploitée de façon artisanale sous l’autorité d’Ali Darassa et de l’Unité pour la paix en Centrafrique (UPC). Avec des mineurs centrafricains dopés au tramadol et à
ses ersatz, le site aurait alors péniblement extrait une quinzaine de kilogrammes d’or par mois. Une broutille pour Ndassima. L’UPC en contrôlera toutefois seule l’activité pendant environ six ans, écartant Axmin, qui clame pourtant aujourd’hui y avoir investi près de 800 millions d’euros. Puis les hommes de Wagner sont arrivés.

Nous sommes en 2018. À Bangui, le groupe de mercenaires russes n’a pas encore pignon sur rue. Le gouvernement nie sa présence, la diplomatie française minimise son importance et ses hommes, Valery Zakharov et Dmitri Sytyi en tête, se font discrets. Le premier est pourtant officieusement conseiller en sécurité du chef de l’État Faustin-Archange Touadéra. Le second, spécialisé en communication et en management, parfaitement francophone, est le traducteur et le référent pour les opérations de propagande et les ambitions économiques. Dans la capitale, le tandem va accueillir plusieurs ingénieurs russes chargés d’étudier le sous-sol centrafricain et de déterminer son potentiel rémunérateur. Un premier pas.

Durant le deuxième trimestre de 2018, plusieurs d’entre eux, dont le géologue Sergueï Laktionov, voyageant à bord d’un avion Cessna, sont signalés dans le Centre-Est, dans les régions de Kaga-Bandoro et de Bambari notamment, où l’emprise de l’UPC est forte. Les cerveaux de Wagner ont créé à Bangui une société minière baptisée Lobaye Invest, au
nom d’un certain Evgueni Kodhotov – l’un des lieutenants du financier de Wagner Evgueni Prigojine en matière commerciale –, et entretiennent des liens étroits avec une seconde, Midas Ressources, enregistrée à Madagascar. Ces sociétés doivent leur permettre de se lancer dans une exploitation minière susceptible de soutenir les activités du groupe en matière de sécurité.

Ndassima apparaît vite comme une opportunité en or. Discrètement,Wagner entre en négociations avec Ali Darassa. En cette année 2018, celui-ci est dans de bonnes dispositions. Il est ouvert à un accord avec Faustin-Archange Touadéra, lequel lui permettrait d’obtenir une position officielle dans la région de Bambari, qu’il considère comme son fief. Entre le rebelle et le chef de l’État, Wagner joue les facilitateurs et Ndassima entre dans la balance. Ali Darassa accepte de laisser les Russes y développer
l’exploitation, moyennant un paiement régulier pour lui-même et ses troupes, qui fournissent alors sécurité et main-d’œuvre. En contrepartie, le rebelle lance l’UPC sur la voie des accords de paix de Khartoum, qui seront signés en février 2019.

Une centrale logistique à Douala

Ali Darassa nommé conseiller spécial du Premier ministre Firmin Ngrebada par un décret de Faustin-Archange Touadéra en mars 2019, l’exploitation russe de Ndassima se met en place lentement. Quelques mois plus tard, en novembre, Axmin se voit officiellement retirer par le ministère des Mines ses droits sur les lieux, lesquels sont réattribués peu de temps après à Midas Ressources. Les Canadiens crient au scandale, sans succès. Les Russes de
Wagner entament la construction de la clôture qui protégera désormais le site des éventuelles attaques de groupes armés. Puis, dans le courant de l’année 2020, ils commandent les machines qui permettront de creuser et d’extraire à grande échelle le précieux minerai.

Les engins débarquent sur le port de Douala, où ils sont réceptionnés par une société nommée International Global Logistic (IGL), gérée par le Centrafricain Anour Madjido. Cet ancien étudiant de l’Institut universitaire du golfe de Guinée (IUG), située dans la capitale économique camerounaise, a travaillé pour l’entreprise CAT Cameroun avant de monter
sa propre société de transports. Petit à petit, il a développé son réseau entre Douala et Bangui, profitant de l’enclavement centrafricain pour faire fructifier ses affaires. Il a ensuite été contacté par un des responsables de Wagner en Centrafrique, un nommé Nikolaï, ingénieur ayant auparavant travaillé dans le secteur du café-cacao en Côte d’Ivoire.

Les prémisses d’un tandem russo-centrafricain aujourd’hui indispensable. Car le groupe russe, depuis son exploration de 2018, a bel et bien décidé de faire de la mine d’or l’une de ses principales rentes en terres centrafricaines. Depuis Douala, Anour Madjido et Nikolaï ont ainsi importé pour le compte du groupe Wagner pelles mécaniques, concasseurs et autres grues d’excavation indispensables aux activités aurifères de la mine de Ndassima.
Grâce à la récente clôture, Wagner en contrôle également étroitement désormais les accès, avec la collaboration des Faca ou grâce à ses seuls mercenaires, postés au dernier check-point marquant la véritable entrée du site. Une question de discrétion.

Des lingots derrière la clôture

La plupart des employés recrutés dans la proche région et à Bambari dorment en effet à l’intérieur de l’enceinte, dans des baraquements à l’abri des regards, non loin de la quarantaine d’ingénieurs civils russes qui travailleraient aujourd’hui sur place. Le nombre de ces derniers – dont les allées et venues entre Bangui et Ndassima sont sécurisées par l’armée centrafricaine – a beaucoup augmenté au cours de 2021 à mesure que l’activité de la mine se développait. Quant aux non-résidents, notamment les chauffeurs des camions-bennes de huit mètres cubes chargés de déplacer les minerais, ils sont systématiquement fouillés à chacune de leurs entrées, et leurs téléphones confisqués afin d’empêcher toute photographie des lieux.

De Bambari à Bangui, ces véhicules sont loués environ 300 000 francs CFA par jour pour acheminer le gravier aurifère jusqu’aux machines de lavage. Quant aux chauffeurs, ils sont payés par le transporteur et nourris sur place, à Ndassima, où s’effectue le premier traitement du précieux minerai. Celui-ci est ensuite progressivement nettoyé et purifié, jusqu’à pouvoir être fondu en lingots d’une qualité et d’une teneur en or suffisante. Là encore, le matériel nécessaire à la fonderie construite et installée dans l’enceinte
même de Ndassima a été acheté à Douala, puis acheminé depuis le Cameroun par l’IGL d’Anouar Madjido et de son associé russe Nikolaï.


À LIRE Wagner au Mali : enquête exclusive sur les mercenaires de
Poutine

Des bouteilles de gaz argon par dizaines et de grosses quantités de chaux permettent ainsi d’assurer la fusion et la transformation locale de l’or en lingots. Ces derniers, chargés dans des camions, quittent ensuite l’enceinte en toute discrétion et sont transportées directement à Bangui par convois sécurisés. Selon nos informations, Wagner a un temps envisagé la possibilité d’exporter ses cargaisons par le Soudan et avait même évoqué
cette idée avec le chef de guerre Noureddine Adam, très présent à la frontière soudanaise. Mais cette solution, jugée trop compliquée et risquée, a été ensuite abandonnée.

Selon un des partenaires commerciaux de Wagner, les lingots destinés à la Russie quitteraient aujourd’hui le pays via l’aéroport de Mpoko, à Bangui,sans contrôle, sans paiement de taxes et via une entrée réservée aux Russes à côté du pavillon présidentiel. Les « mercenaires entrepreneurs » profiteraient aussi de la même confortable porte de sortie pour exporter de plus petites quantités de lingots, issus d’une autre fonderie. Implantée à Bangui, celle-ci se charge de transformer le gravier aurifère venu de mines
de moindre importance de l’entreprise Lobaye Invest dans les environs des villes de Zawa, Boda ou encore Bangandou.

Des milliards de revenus potentiels ?

À combien s’élèvent les revenus aujourd’hui générés par Wagner dans le secteur de l’or centrafricain ? Au moins depuis le début de l’année 2021, les Russes se sont affranchis de leur accord financier conclu avec l’UPC d’Ali Darassa. Ils ont donc la main sur le site et la totalité des ressources de Ndassima – au grand dam d’Axmin, qui continue de contester le retrait de ses droits devant la Cour d’arbitrage internationale de la Chambre de commerce de Paris. Wagner ne laisse cependant rien filtrer de la rentabilité du complexe et est même soupçonné d’avoir commandité l’assassinat, en juillet 2018, d’Orkhan Dzhemal, Alexander Rastorguev et Kirill Radchenko, trois journalistes russes venus enquêter en Centrafrique sur leurs intérêts miniers.

Le potentiel de la mine est cependant évalué par des experts à 2,5 milliards d’euros et plus d’une cinquantaine de tonnes d’or. « Cela reste très difficile à déterminer, explique toutefois un expert. Sur quel marché les Russes peuvent-ils écouler cet or ? Quel est le pourcentage de pureté de leurs lingots ? Cela impacte énormément la rentabilité potentielle ». Selon une source de Jeune Afrique à Bangui, au moins un avion affrété par Wagner quitte le sol centrafricain chaque semaine, souvent dans la matinée du mardi. Le ministère centrafricain des Mines se refuse aujourd’hui à communiquer une quelconque information sur le sujet. Et pour cause, glisse notre interlocuteur : « Ils ont complètement perdu le contrôle de ce
que font Wagner et Midas Ressources à Ndassima. »

D’autant que les activités du groupe de mercenaires russes ne s’arrêtent pas aux mines d’or. Une partie non-négligeable de ses revenus centrafricains provient en effet aujourd’hui des forêts du pays et du bois exploité par une autre société liée à Lobaye Invest, la dénommée Bois Rouge, comme révélé dans une enquête de Mediapart publiée en juillet 2022. Gérée depuis début 2019 par une directrice générale centrafricaine, Anastasie Nannette Yakoima, cette entreprise est en effet contrôlée en réalité par un Russe, Artem Tolmachev, qui y occupe le poste de « responsables des ventes » et la représente à l’occasion dans différents colloques forestiers internationaux, comme à Shangai en 2019.

Jusqu’à trois convois par semaine de Bangui à Douala

Le business forestier fonctionne lui aussi grâce à une organisation bien huilée dans laquelle l’axe routier Bangui-Douala, véritable artère de l’économie centrafricaine, joue un rôle prépondérant. À la manœuvre, une nouvelle fois, IGL, la société de transports basée au Cameroun. C’est en effet via cette entreprise que sont recrutés une grande partie des chauffeurs transportant les grumes coupées en Centrafrique par Bois Rouge. Anour Madjido, grâce à des fonds provenant de Wagner et mis à disposition en liquide à Bangui par un Russe nommé Roman, se charge de la logistique sur le terrain.

À LIRE Wagner : comment les mercenaires de Poutine recrutent dans les prisons de Russie

Selon les témoignages recueillis par Jeune Afrique, le Centrafricain paie ainsi les chauffeurs en fonction du trajet, par exemple environ 1,5 million de francs CFA pour une cargaison de bois ramenée depuis la région de Boda, dans la Lobaye, jusqu’à la capitale, pour un trajet d’environ 400 kilomètres aller et retour. Si les paiements se font en liquide, sans contrat écrit et de la main à la main, chaque chauffeur employé se voit en revanche remettre
lors de son trajet un bon de chargement estampillé « Bois Rouge » et signé par la directrice générale de cette société, Anastasie Nannette Yakoima.

À Bangui, les grumes sont stockées sur un terrain mis à la disposition de Wagner dans le quatrième arrondissement, en attendant d’être acheminées vers le port de Douala par la route dans des convois supervisés par IGL et sécurisés par les mercenaires russes. Deux à trois départs peuvent être organisés vers la capitale économique camerounaise chaque semaine. Chaque convoi est composé d’environ 150 à 200 camions, dont une soixantaine pour les seules activités de Wagner. Ceux-ci sont surveillés par plusieurs véhicules de sécurité placés à l’avant et à l’arrière, un autre blindé remontant régulièrement la colonne pour décourager les attaques. Les Russes ont en revanche cessé d’utiliser un hélicoptère pour survoler le convoi après avoir perdu deux appareils ces dernières années.

Les millions de la route

Si sa sécurisation a un coût certain, l’organisation de ces convois n’en est pas moins des plus rentables, si l’on considère que de nombreux transporteurs centrafricains paient pour en faire partie. Selon des témoins ayant sauté le pas, le prix pour bénéficier de la sécurité d’un convoi de Wagner s’élèverait à 50 000 francs CFA par véhicule. Soit une manne
estimée par une source de Jeune Afrique à Bangui à plus de 20 millions de francs CFA par semaine, à raison de 100 à 150 camions « non-wagnériens » par colonne. « Les convois de Wagner ont l’avantage d’être plus rapides que ceux organisés par l’ONU, deux fois moins chers mais deux fois plus lents. Les Russes ne mettent souvent que deux jours pour faire le trajet », explique un Banguissois.

En outre, Wagner bénéficie de plusieurs coups de pouce des autorités centrafricaines pour développer sa rente routière. Selon plusieurs témoins, les commerçants de Bangui sont ainsi incités à recourir à ses services par le Groupement des transporteurs centrafricains (GTC), une organisation présidée par un homme des plus influents : Sani Yalo, ministre conseiller du président Faustin-Archange Touadéra et patron du Bureau d’affrètement
routier centrafricain (BARC, lequel contrôle le GTC). « Via le BARC et le GTC, Sani Yalo a la mainmise sur le secteur du transport et il en fait bénéficier les alliés russes du président », affirme un proche du gouvernement.

Les convois de Wagner peuvent en outre compter sur des facilités à la frontière entre la Centrafrique et le Cameroun. Ils ne sont en effet pas contrôlés par les autorités centrafricaines au poste de la ville frontalière de Garoua Boulaï dans le sens Bangui-Douala. La douane de Bangui fournit également les papiers de mainlevée pour les marchandises importées effectuant le trajet inverse. Un système des mieux organisés qui aurait été
en partie élaboré par un ancien directeur des Douanes russe déployé en 2021 en Centrafrique, Yuri Liamchkine. « Grâce à cela, les Russes ne paient aucune taxe à la sortie ou à l’entrée du territoire », résume une source proche du groupement des transporteurs. Le gouvernement centrafricain reste, là encore, muet.

La diversification d’une multinationale

Sollicitées par Jeune Afrique au sujet de l’utilisation de leur territoire par Wagner, les autorités camerounaises bottent quant à elles en touche. « Leurs marchandises ne font que traverser notre territoire et elles bénéficient d’autorisations centrafricaines en règle. Nous ne nous en mêlons donc pas », résume une source sécuritaire à Yaoundé. Les agissements des mercenaires russes n’en sont cependant pas moins surveillés de près par les services de renseignement camerounais, qui observent en particulier les débouchés portuaires de Douala. D’autant qu’une autre activité de Wagner devrait rapidement voir le jour dans la
capitale économique du Cameroun en 2023.

Selon nos sources, Wagner y prépare en effet le lancement d’une usine de torréfaction de café centrafricain, dans une zone industrielle du nord-ouest de la ville. Depuis plusieurs mois, le dénommé Roman – en association avec son compatriote Nikolaï, qui a déjà travaillé dans ce secteur en Côte d’Ivoire – a ainsi pris contact avec des planteurs en Centrafrique, en particulier dans les régions de la Lobaye et de la Mambéré-Kadéï (à l’ouest
de Bangui). Il souhaite y acheter des grains de type Robusta et Arabica, lesquels seraient stockés à Berbérati, puis acheminés vers Douala par les convois de Wagner et d’IGL, avant d’être transformés puis expédiés par bateau vers la Russie.

D’après les dernières informations recueillies, cette activité caféière n’a pas encore débuté, l’usine de torréfaction de Douala étant dans l’attente de matière première. Sa rentabilité potentielle se révèle donc encore difficile à estimer, la production de café en Centrafrique étant très aléatoire, oscillant entre 1 000 et 10 000 tonnes par année. « Wagner agit en Centrafrique comme une multinationale. Le groupe se diversifie le plus possible pour
multiplier les sources de revenus et sécuriser sa rentabilité », analyse toutefois un expert du groupe. Le dénommé Roman s’intéresserait d’ailleurs aussi à un autre produit, le sucre, Wagner cherchant à reprendre certaines activités du groupe Somdiaa, dont la présence en Centrafrique est menacée par le contexte sécuritaire.

Sucre et combattants locaux

« L’idée de Wagner est de faire avec le sucre et Somdiaa ce qu’ils ont fait avec l’or de Ndassima et Axmin. Mais cette activité reste encore à sécuriser », résume notre expert. Le groupe de mercenariat russe bénéficie pour cela de contacts dans les rangs de certains petits groupes armés issus de l’UPC d’Ali Darassa. Il s’appuie en particulier sur les réseaux de l’ancien numéro deux de l’UPC, Hassan Bouba, rallié au gouvernement de Faustin-
Archange Touadéra depuis les accords de paix de 2019 et qui n’est autre que l’actuel ministre de l’Agriculture. Depuis le début de la guerre en Ukraine, Wagner a en effet été contraint de réduire ses effectifs de combattants en Centrafrique, tandis que son personnel civil, en majorité des ingénieurs et des commerciaux, s’est progressivement étoffé.

« Ils cherchent à recruter des supplétifs centrafricains dans les rangs des anciens de l’UPC pour sécuriser certaines de leurs activités commerciales, notamment dans le sucre », confie ainsi une de nos sources à Bangui. D’après cette dernière, le ministre Hassan Bouba est directement à la manœuvre dans ces opérations, tout comme deux de ses lieutenants, Idriss Maloum et Hamadou Tanga. Ces derniers accompagnent d’ailleurs régulièrement Vitali Perfilev, le chef des opérations militaires de Wagner, dans ses déplacements en dehors de Bangui, notamment dans les régions au nord-est de la capitale, zone d’influence principale de l’UPC.

À LIRE Centrafrique-Russie : qui est Vitali Perfilev, le patron de Wagner à
Bangui ?

L’alliance entre Wagner et les ex-upécistes de Hassan Bouba aurait permis au groupe de recruter à bas prix plusieurs centaines de combattants locaux afin de sécuriser ses activités hors de Bangui. Rien de nouveau pour le ministre de l’Agriculture, qui était aux côtés d’Ali Darassa en 2018 lors de l’accord avec Wagner au sujet de Ndassima. Le nouveau dispositif sera-t-il suffisant pour permettre aux hommes d’Evgueni Prigojine d’assurer une
production de sucre dans une zone où les groupes restés fidèles à Ali Darassa sévissent encore ? Les experts estiment que la Centrafrique pourrait produire quelque 12 000 tonnes de sucre blond par an. Un volume et une manne non-négligeables.

Whisky et tonnes de malt

Or, bois, café, sucre… La liste des produits des entreprises liées à Wagner ne cesse de s’allonger. À Bangui, le nommé Roman organise les activités des différentes branches depuis son bureau situé en plein cœur de la capitale, dans le quartier Sica II. Cet homme d’environ 1,70 mètre, qui coiffe souvent ses cheveux bruns en chignon, s’occupe notamment de faire circuler l’indispensable argent liquide entre le camp de Roux – ex-base française où travaillent Vitali Perfilev et Dmitri Sytyi, les patrons du groupe en Centrafrique – et le Cameroun. Via un réseau de transfert clandestin du cinquième arrondissement de Bangui, les sommes sont retirées au quartier Congo de Douala par Anour Madjido, qui les met à la disposition de son superviseur russe Nikolaï.

Sous la direction de Dmitri Sytyi – récemment victime d’une attaque au colis piégé à Bangui – et de Vitali Perfilev, Roman chapeaute également les activités de la « Brasserie » de Wagner, située dans le quatrième arrondissement de Bangui. Le terrain, cédé par l’État centrafricain, sert aujourd’hui pour stocker les marchandises à destination ou en provenance de Douala. Mais il abrite également un énième tentacule de la pieuvre
entrepreneuriale de Wagner : la First Industrial Company (FIC). Enregistrée au nom de Dmitri Sytyi et employant deux ingénieurs russes et une vingtaine d’employés centrafricains, elle s’est lancée dans la production de bière et autres alcools.

À LIRE Wagner en Centrafrique : pourquoi l’attaque contre Dmitri Sytyi
peut mettre le feu aux poudres

La FIC propose ainsi une variante de whisky à bas prix (7 500 francs CFA la bouteille et 200 francs CFA le sachet), à base de gel hydroalcoolique dont les fûts – de couleur bleue et bon marché – ont été achetés au Nigeria et acheminés à Bangui via le Cameroun grâce à IGL. Selon les informations de Jeune Afrique, afin de produire ces douteux – et dangereux – élixirs, l’entreprise s’est ainsi fait livrer en avril 2022 – une nouvelle fois via le port
de Douala – quelque quarante tonnes de malt d’orge, pour un peu plus de 30 000 dollars, ainsi qu’un système de filtration coûtant la bagatelle de 188 000 dollars. Investissements qu’elle espère bien évidemment rentabiliser auprès des consommateurs centrafricains.

Jeune Afrique

Lu Pour Vous

 

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici