Centrafrique : Violations du droit international humanitaire commises par les forces de défense et de sécurité nationales et les instructeurs russes

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Violations du droit international humanitaire commises par les forces de défense et de sécurité nationales et les instructeurs russes

Victimes civiles de l’usage excessif de la force par les FACA et les instructeurs russes

Dans plusieurs des zones où il s’est rendu, le Groupe d’experts a recueilli des témoignages auprès de sources confidentielles qui ont signalé que les FACA et les instructeurs russes avaient employé la force de manière excessive. À Grimari (préfecture de la Ouaka), il a obtenu des éléments de preuve indiquant que des soldats des FACA et des instructeurs russes avaient fait un usage excessif de la force contre des civils le 28 décembre 2020. Tous les témoins qu’il a interrogés ont expliqué qu’au moment où un camion commercial à destination de Bangui arrivait à un point de contrôle temporaire, des soldats des FACA apparaissaient, ordonnant au chauffeur de s’arrêter. Selon les récits de témoins oculaires, alors que le chauffeur s’efforçait de s’arrêter, les soldats des FACA commençaient à tirer de part et d’autre du camion, alors que les instructeurs russes faisaient de même à l’avant. Au total, trois civils ont été tués et 15 autres ont été blessés, dont six femmes et un mineur. Les personnes blessées avaient souvent reçu plusieurs balles. Les autorités locales de Grimari ont confirmé qu’aucun lien avec des groupes armés n’avait été retrouvé dans le camion. Au moment de l’établissement du présent rapport, aucune enquête militaire ou judiciaire n’avait été ouverte sur les tirs mortels portés contre ces civils.

Le coordonnateur des instructeurs russes a assuré au Groupe d’experts qu’aucun instructeur n’était présent à Grimari à l’époque des faits.

Bambari: primauté des objectifs opérationnels sur le droit international humanitaire

Le 15 février 2021, des soldats des FACA et des instructeurs russes, épaulés par des éléments de la gendarmerie et de la police, ont lancé une opération contre la CPC à Bambari, qui a duré deux jours et visait principalement les zones contrôlées par l’UPC. Selon les témoignages d’habitants, au début des opérations, plusieurs éléments de l’UPC qui fuyaient les FACA et les instructeurs russes sont entrés dans la mosquée Takwadu quartier de Hadji, où se trouvaient des civils. Les soldats des FACA et les instructeurs russes ont pris la mosquée pour cible, alors qu’ils savaient que des civils y étaient présents et sans respecter le caractère religieux du bâtiment. Selon les témoins oculaires que le Groupe d’experts a rencontrés, aucun effort n’a été fait pour distinguer les civils des combattants. Les soldats des FACA et les instructeurs russes ont pénétré dans le bâtiment et continué de tirer à l’intérieur, comme le montrent les preuves photographiques disponibles (voir annexe 3.17). D’après des sources locales, les affrontements ont fait 17 victimes, dont au moins une femme touchée par une balle perdue. Si certaines de ces victimes étaient effectivement des combattants de l’UPC, le Groupe d’experts a également pu confirmer qu’au moins six des personnes décédées étaient des civils.

Selon des sources locales, au moment où l’opération du 15 février a été menée, la plupart des «généraux» de l’UPC, dont Ali Darassa, avaient fui, tout comme les combattants antibalaka. Les combattants de l’UPC restants étaient dispersés dans les quartiers résidentiels de Hadji, de Bornou et d’Élevage. Certains tiraient en l’air sans discernement pour semer la confusion, tandis que d’autres étaient en tenue civils. L’UPC avait déjà employé cette tactique consistant à se servir de la population comme d’un bouclier humain, notamment lors des opérations de mai 2018, quand les Casques bleus avaient temporairement repoussé l’UPC hors de Bambari (voir S/2018/729, par.92).

En réponse à une question du Groupe d’experts concernant l’opération du 15février, le coordonnateur des instructeurs russes a indiqué que les rebelles avaient regroupé les civils au milieu de la mosquée et avaient tiré sur les FACA depuis l’intérieur de la mosquée, ce qui avait poussé ces dernières à intervenir. Il a toutefois nié que des instructeurs russes aient pénétré dans la mosquée et tiré sur des civils.

Il ressort des enquêtes menées par le Groupe d’experts que les soldats des FACA et les instructeurs russes ont affiché le même mépris à l’égard du droit international humanitaire lors d’autres opérations conduites à Bambari, notamment le 16 février, au site d’accueil de personnes déplacées dénommé «Élevage», dont le centre médical a été le théâtre de combats. Il a également noté que parmi les 36 personnes blessées au cours des deux opérations se trouvaient huit femmes et neuf enfants et que ces personnes avaient subi des blessures par explosion et par balle.

Meurtres indiscriminés commis par des instructeurs russes

Le Groupe d’experts a collecté de nombreux témoignages selon lesquels des instructeurs russes avaient tué de manière indiscriminée des civils non armés. Il a été en mesure de confirmer les cas ciaprès. Il a rencontré des sources locales qui ont témoigné que le 21 février, à Ippy, des instructeurs russes avaient interpellé un civil non armé, puis l’avaient tué par balle. Des instructeurs russes ont tué par balle deux personnes en situation de handicap, l’une à Bodol, à 25 kilomètres de Paoua (préfecture de l’OuhamPendé), et l’autre à Grimari, le 13 janvier. Des sources locales, dont des témoins oculaires, ont indiqué qu’à toutes ces occasions, les victimes étaient des civils qui ne portaient ni arme ni uniforme.

Le Groupe d’experts a également confirmé qu’à Kradé (préfecture de la Ouaka), le 8 mars, des instructeurs russes accompagnés de plusieurs soldats des FACA avaient tiré sur deux civils peuls de Gotchélé. Il a noté que dans la préfecture de la Ouaka en général, bon nombre de Peuls avaient été pris pour cibles, ce qui vient alimenter les discours de l’UPC et du mouvement 3R sur la nécessité de protéger cette communauté (voir S/2020/662, annexe 4.3). En maints endroits, les populations locales ont fait part au Groupe de leur crainte que les généralisations faites par les instructeurs russes au cours de leurs opérations, comme le fait d’associer tous les Peuls à l’UPC et, dans une moindre mesure, les personnes portant des scarifications aux antibalaka, ne mettent les hommes de ces populations en danger.

Comme expliqué à l’annexe 3.18, le Groupe d’experts a noté que les arrestations arbitraires, associées aux meurtres de civils commis par les soldats des FACA et les instructeurs russes, avaient parfois poussé les groupes armés à mener des attaques de représailles contre des civils, perpétuant ainsi le cycle de la violence dans le pays.

Pillages et vols généralisés commis par des soldats des FACA et des instructeurs russes

Dans de nombreux sites où les soldats des FACA et les instructeurs russes ont été déployés ou par lesquels ils ont transité, le Groupe d’experts a collecté des témoignages concernant le pillage de maisons et de bâtiments, sous diverses formes allant du vol d’animaux d’élevage, tels que des poulets ou des chèvres, au vol de biens domestiques, tels que des matelas. À Bambari, Bouar et Berbérati, certains représentants des autorités et membres des populations locales ont confirmé au Groupe d’experts que des soldats des FACA et des instructeurs russes avaient volé des biens de grande valeur, tels que de l’argent et des motocyclettes, lors de fouilles dans les habitations, aux points de contrôle, mais aussi après des meurtres de civils. À Bambari, les forces de sécurité locales ont confirmé au Groupe que des biens de cette nature avaient été pris lors des fouilles effectuées depuis février 2021; cependant, elles ont affirmé qu’il s’agissait exclusivement de biens qui avaient été volés par la CPC en décembre 2020.

Les organisations humanitaires ont également été la cible de pillages commis par des soldats des FACA et des instructeurs russes. À Bossangoa, le Groupe d’experts a recueilli des témoignages concernant le pillage des locaux d’une organisation humanitaire, survenu le 18 mars. Parmi les biens volés figuraient des kits destinés aux victimes de violences sexuelles, d’une valeur d’environ 1 million de francs CFA (1850 dollars) (voir annexe 3.19)

Exécutions sommaires de membres présumés de groupes armés au sein de la base des FACA à Bangassou

Du 31 décembre 2020 au 2 janvier 2021, six personnes ont été arrêtées et accusées d’avoir collaboré avec la CPC à Bangassou (préfecture du Mbomou) et dans ses environs. D’après des sources locales, seules deux de ces personnes étaient des membres des antibalaka qui avaient rejoint la coalition et, pendant leur détention à la base des FACA, il a été confirmé que deux d’entre elles avaient été torturées et menacées de mort si la CPC attaquait Bangassou. En représailles, les combattants de la CPC ont attaqué la base des FACA au petit matin du 3 janvier 2021. Les FACA, les gendarmes et les éléments de la police sont partis par groupes successifs à bord des véhicules des Casques bleus des Nations Unies qui avaient été appelés pour évacuer les soldats blessés des FACA, tandis que les instructeurs russes et d’autres soldats des FACA ont été les derniers à quitter la base à bord d’un véhicule de police. Quand la CPC a atteint la base des FACA, elle y a trouvé cinq cadavres et une personne encore en vie. Le Groupe d’experts a examiné des preuves photographiques qui montraient que les cinq victimes avaient été tuées dans un château d’eau situé dans l’enceinte de la base.Les forces de sécurité de l’État locales ont confirmé au Groupe d’experts qu’elles avaient arrêté les six personnes, mais ont expliqué qu’en raison de la confusion qui régnait lors de l’attaque lancée par la CPC contre la base des FACA, elles ne pouvaient pas fournir d’informations plus précises sur le meurtre des détenus.

Difficultés d’accès à la justice

En plusieurs points du territoire centrafricain, le Groupe d’experts a rencontré des représentants des autorités locales, des forces de sécurité et de l’appareil judiciaire qui ont indiqué qu’aucun acte de violence n’avait été porté à leur attention. Ils ont également fait valoir que les victimes avaient la possibilité de déposer une plainte officielle. Cependant, comme l’ont expliqué de nombreux interlocuteurs du Groupe d’experts, depuis le mois de décembre 2020, des personnes avaient disparu sans laisser de trace après avoir été détenues par des membres des forces de sécurité nationales et des instructeurs russes. En conséquence, les victimes craignaient de déposer plainte auprès des autorités locales. De plus, dans certains secteurs, des soldats des FACA et des instructeurs russes se sont ingérés dans les affaires relevant de la police. Par exemple, le 27 avril, à Paoua, des instructeurs russes ont physiquement menacé un gendarme pendant des discussions sur le transfert de 15 détenus qui se trouvaient à la gendarmerie (voir annexe 3.20)8. Le Groupe d’experts note également que, dans une vidéo diffusée le 15 mars dans les médias sociaux, le conseiller présidentiel Fidèle Gouandjika a déclaré que la tolérance à l’égard de certains comportements était le prix à payer pour que les Russes aident la République centrafricaine à «libérer le pays » (voir annexe 3.21).

En avril, lors de réunions tenues avec des représentants de la Ministre centrafricaine de la défense nationale et de la reconstruction de l’armée ainsi que le coordonnateur des instructeurs russes, le Groupe d’experts a soulevé la question des violations des droits humains et du droit international humanitaire commises par les soldats des FACA et les instructeurs russes. Les représentants des autorités nationales et le coordonnateur ont indiqué qu’ils étaient au fait des accusations mais les ont rejetées, affirmant qu’il était dans l’intérêt des rebelles de faire circuler de telles allégations. Le 30 avril, le Ministre des communications et des médias, Ange Maxime Kazagui, a affirmé que le Gouvernement considérait les références à des violations des droits humains par des agents de l’État et des instructeurs russes qui figuraient dans un document de la MINUSCA comme de «simples allégations», mais qu’il avait chargé le Ministre de la justice et des droits de l’homme d’ouvrir une enquête judiciaire sur la question (voir annexe 3.22). Le 4 mai, le Ministre de la justice et des droits de l’homme a établi une commission ad hoc chargée d’enquêter sur les allégations de violations des droits humains par les FACA et les instructeurs russes (voir annexe 3.23).

Source : Rapport du Groupe des Experts de l’Onu du 25 juin 2021

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