CENTRAFRIQUE : Sur les traces de « Madame Zhao », l’énigmatique papesse chinoise des mines centrafricaines

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CENTRAFRIQUE : Sur les traces de « Madame Zhao », l’énigmatique papesse chinoise des mines centrafricaines

En l’espace de quelques années, la femme d’affaires chinoise Zhao Baomei s’est imposée comme la  gure incontournable du secteur minier centrafricain. Aussi crainte que mystérieuse, elle doit son succès à un in uent réseau et à des méthodes bien rodées.

Zhao Baomei abhorre la publicité, surtout quand celle-ci peut nuire aux affaires. Alors ce 19 mars, au petit matin, la puissante femme d’affaires chinoise commence à craindre le pire lorsque l’attention se braque subitement vers la Centra que, précisément sur la mine de Chimbolo, près de la ville de Bambari, dans le centre du pays. Neuf de ses compatriotes travaillant sur le site pour le compte de son concurrent chinois, Gold Koss Group, viennent d’être exécutés d’une balle dans la tête par des hommes en armes, dans des circonstances encore mystérieuses. Le drame suscite l’émoi au sein de la communauté chinoise en Centrafrique et bien au-delà (AI du 28/03/23). La société minière, créée à la  n de l’année 2022, venait tout juste de lancer son activité. Au grand dam de Zhao Baomei, qui s’intéressait également à cette mine au potentiel énorme.

« Madame Zhao »

Dans cette région isolée, où le business se mène en toute discrétion, Zhao Baomei est une personnalité aussi connue qu’insaisissable. Le petit monde des miniers de Bambari connaît bien celle que l’on surnomme « Madame Zhao », mais peu s’étendent sur la toile qu’elle a patiemment tissée dans la zone.

Sa société, l‘Industrie minière centrafricaine (IMC), y opère depuis 2019. Deux permis obtenus la même année lui ont permis d’explorer et exploiter une dizaine de sites d’une super cie totale d’environ 900 km2. Au nord de Yassine, l’un des principaux chantiers d’IMC, Madame Zhao a pour voisin le groupe paramilitaire russe Wagner, qui opère sur l’imposante mine d’or de Ndassima. Au sud, toute proche également, on retrouve la mine de Chimbolo, où les meurtres ont eu lieu.

Dans la foulée du massacre, les autorités de Bangui ont lancé une enquête, qui a conclu à la responsabilité du groupe rebelle de l’Unité pour la paix en Centrafrique (UPC). Les mêmes ont accusé à leur tour Wagner d’en être à l’origine. A Pékin, le président chinois Xi Jinping a publiquement fait part de son émoi, avant de dépêcher sur place une équipe d’enquêteurs. Munis de passeports de service, ces derniers ont organisé le rapatriement des employés de Gold Koss Group par un vol spécial (AI du 05/04/23), après avoir incinéré les corps des neuf victimes. Leurs conclusions sur les circonstances du drame n’ont jamais été rendues publiques.

Une production sous-évaluée

Un mois après la tuerie et malgré de nombreuses zones d’ombre après une enquête jugée inachevée, les mines autour de Bambari ont pu reprendre leur habituel bourdonnement. A l’exception du site de Chilombo qui demeure vide. Pour sa part, Madame Zhao est réputée introuvable, malgré les nombreuses sollicitations d’Africa Intelligence auprès de ses assistants. Des fonctionnaires du ministère des mines affirment que les autorités centrafricaines lui ont demandé de quitter le pays, sans qu’il soit possible d’établir un lien avec les circonstances du massacre. Contacté à plusieurs reprises par Africa Intelligence, le ministre des mines, Ru n Benam Beltoungou, n’a pas répondu à nos demandes de précisions.

La silhouette légèrement ramassée de Madame Zhao a été aperçue pour la dernière fois dans les locaux du Bureau d’évaluation et de contrôle de diamant et or (Becdor), situés juste derrière la présidence, à Bangui. Cet établissement étatique est chargé de répertorier et d’enregistrer les gains des principaux miniers du pays. La femme d’affaires de 54 ans a pris l’habitude d’y déclarer personnellement sa production et de verser la taxe due par sa société IMC à l’Etat centrafricain.

Le plus souvent, Madame Zhao fait état aux autorités de seulement quelques kilos d’or. Des chiffres largement sous-évalués, selon plusieurs témoignages. D’après un rapport du groupe d’experts des Nations unies sur la Centrafrique, la femme d’affaires avait ainsi déclaré 19 kg d’or pour toute l’année 2020. Ce qui correspond, toujours selon les experts onusiens, à un mois de production dans la seule localité de Yaloké, dans l’ouest du pays, où elle détient plusieurs mines.

Au total, IMC détient une quinzaine de permis, dont cinq couvrent les zones les plus riches en minerais de RCA, notamment dans les environs de Yaloké et Bambari. Les activités minières de Zhao Baomei ne s’arrêtent toutefois pas à IMC. Comme la législation centrafricaine limite la détention de permis par une seule société, la femme d’affaires a contourné le problème en créant d’autres entités et en s’appuyant sur un réseau d’entreprises enregistrées en Centrafrique et tenues par des proches. C’est le cas notamment de SMC Mao, détenue par un certain Mao Dequan, ou encore de SYB Mining, enregistrée en 2022 par un Centrafricain du nom de Brice Doessem.

« L’ambassadrice des investisseurs chinois »

Madame Zhao fait partie de la seconde vague d’investisseurs chinois arrivés courant 2016 en Centrafrique. Les premiers s’étaient implantés dans le pays en 2011, dans le sillage de l’attribution d’un permis sur le bloc pétrolier de Gordil à la China National Petroleum Corp (CNPC), avant de plier bagage lors de la guerre civile de 2013-2014. Il faudra attendre deux ans, avec l’accession au pouvoir de Faustin-Archange Touadéra, le président de la toute nouvelle République, pour assister à leur retour dans le secteur minier. En un rien de temps, ils sont devenus le principal fer de lance d’une nouvelle ruée vers l’or, dans l’ouest et le centre du pays.

Arrivée à Bangui en 2016, Madame Zhao a su faire fructi er ses affaires. Dans la capitale centrafricaine, la femme d’affaires possède une résidence d’apparence assez quelconque, située en face du lycée Boganda dans le 4e arrondissement. Elle dispose aussi d’un pied-à-terre à Douala, au Cameroun, où elle se rend régulièrement.

Surnommée « l’ambassadrice des investisseurs chinois » et « la marraine de la diaspora », Madame Zhao fait  gure d’interlocutrice incontournable pour ses compatriotes désireux de se lancer dans le business en Centrafrique. Elle leur prodigue des conseils et les avertit des éventuels risques. Une manière aussi pour elle de se renseigner sur les ambitions de possibles futurs concurrents, à l’image de la société HW-Lepo des frères Liqun Hu et Libin Hu, également actifs dans les environs de Yaloké.

Les groupes armés au service de Zhao Baomei

Madame Zhao prend soin aussi d’entretenir de bonnes relations avec le monde politique centrafricain. Son principal relais est l’ex-ministre des mines (2016-2021) Léopold Mboli Fatran. Ami et collaborateur de longue date de Faustin-Archange Touadéra, il fait désormais office de conseiller en matière minière au sein du cabinet présidentiel. Durant son ministère, il est réputé avoir facilité l’attribution de nombreux permis miniers à IMC, notamment à Yaloké, Bambari et près de la frontière camerounaise. Contacté par Africa Intelligence, l’ancien ministre n’a pas donné suite à nos demandes d’entretien. A Bangui, elle est notamment présentée comme une proche de la première dame centrafricaine, Brigitte Touadéra, dont elle est voisine à Bangui.

Les Banguissois peuvent souvent apercevoir Madame Zhao quitter la capitale, à bord de sa Toyota Hilux de couleur beige, conduite par un militaire centrafricain. Dans l’arrière-pays, la femme d’affaires n’hésite pas à faire appel aux groupes armés pour défendre ses sites miniers, une pratique illégale mais courante dans le pays. Selon nos informations, elle a ainsi collaboré avec plusieurs commandants de zone des 3R (Retour, Réclamation et Réhabilitation), un groupe de défense peul, pour protéger ses intérêts dans l’ouest du pays. Pour le site de Yassine, Zhao Baomei a recouru aux hommes de l‘Unité pour la paix en Centrafrique (UPC), une milice chapeautée par Ali Darass, selon un rapport des experts onusiens paru en 2021.

Quant à Wagner, dont la mine d’or de Ndassima jouxte des zones où elle possède des droits de prospection, Madame Zhao a fait montre d’une certaine prudence à son égard. Après avoir mené une tournée en 2019 sur ces sites, l’arrivée des premiers géologues russes à Ndassima l’année suivante l’a dissuadée d’aller plus loin et d’entreprendre de nouveaux chantiers à proximité immédiate de Wagner.

Pollution au mercure

Pour mener ses affaires, Madame Zhao s’applique aussi à frayer avec les notables locaux. Contrairement à certains de ses compatriotes, il lui arrive ainsi de sillonner les zones où IMC et les entreprises qui lui sont affiliées sont installées pour prendre contact avec le chef traditionnel, le maire ou le député de la circonscription.

C’est dans le cadre de l’une de ces tournées, dans le village de Gézélé, près de Yaloké, qu’a été prise en novembre 2021 la seule photo connue de Zhao Baomei, où elle apparaît affublée d’un masque sanitaire. Elle a été publiée dans le quotidien local Ndjoni Sango, suivie d’un court article résumant sa visite et les dons offerts par la femme d’affaires à la communauté locale : dix motos, 200 sacs de riz, ou encore des fournitures scolaires.

Ces largesses, opportunément relayées dans la presse locale, font réponse à un épisode qui a entaché en 2018 le parcours jusqu’ici sans accroc de l’entrepreneuse chinoise. Le scandale a éclaté à une centaine de kilomètres de Yaloké, à Bozoum, toujours dans l’ouest du pays. Les mines de Zhao Baomei ont provoqué une importante pollution au mercure : les taux enregistrés dans la rivière Ouham dépassaient jusqu’à 25 fois le seuil autorisé. La pression médiatique et internationale, relayée par un rapport de l’ONG Amnesty International, a obligé la Chinoise à quitter la ville en juin 2020, dix-huit mois après son arrivée.

« La méthode Zhao »

A Bozoum, Madame Zhao s’est heurtée à la mission catholique des Spiritains italiens, installée dans la localité depuis les années 1930. L’un des religieux, l’Italien Aurelio Gazzera, a tenu un journal de bord des événements qui se sont déroulés de décembre 2018, date de l’arrivée de la femme d’affaires dans la localité, jusqu’à son départ, un an et demi plus tard. Le document dessine un mode d’emploi précis de la « méthode Zhao ».

Première étape, obtenir le soutien des responsables politiques. Avant l’entame des chantiers dans l’Ouest, Zhao Baomei s’est assurée de l’aval du premier ministre de l’époque, Simplice Mathieu Sarandji (2016-2019), un intime de Touadéra, qui est venu à deux reprises sur le site pour s’entretenir avec les notables locaux et leur vendre l’intérêt du projet.

Vient ensuite le volet logistique. Dès le mois de février 2019, une trentaine d’excavateurs se sont mis à l’œuvre jour et nuit. Les permis délivrés pour cette zone étant des autorisations d’exploitation artisanale semi-mécanisée, de tels engins sont pourtant en théorie interdits. Pour les faire fonctionner, Zhao Baomei a fait venir 1 million de litres de carburant depuis le dépôt de Limbe, à Douala, et non depuis Bangui, via ses connexions au Cameroun.

Enfin,              cultiver         la     discrétion.          Bien       que      Madame        Zhao demeure l’ordonnatrice du projet, les chantiers menés à Bozoum ont été dirigés par quatre entreprises, dont une seule, Tian Xiang, est officiellement reliée à elle. Les trois autres appartiennent à des proches : outre SMC Mao de Mao Dequan, apparaît aussi la société Meng, enregistrée par l’homme d’affaires Meng Xianbing, ainsi que Jianin, de propriétaire officiel inconnu.

L’arrestation du missionnaire italien

La sécurité sur les différentes mines de la zone était assurée par une trentaine de militaires centrafricains mis à la disposition de Madame Zhao. Ce sont ces soldats qui ont procédé le 27 avril 2019 à l’arrestation, à proximité d’un des sites, du missionnaire Aurelio Gazzera, qui enquêtait alors sur les premiers signes de contamination au mercure dans la population locale.

Bien que le prêtre ait été libéré deux jours plus tard, son arrestation a suscité une vive polémique, au point d’être évoquée à l’Assemblée nationale centrafricaine. Une mission parlementaire a été mise sur pied pour enquêter sur la pollution à Bozoum, dont les conclusions se sont révélées accablantes pour Zhao Baomei. Cette dernière a dû fermer son activité un an plus tard, laissant le chantier à l’abandon. Confrontée au scandale, la femme d’affaires s’est alors engagée à construire deux centres de santé dans les villages alentour, ainsi qu’une école. Dernière doléance des notables locaux : l’édi cation d’une tribune officielle pour les dé lés militaires. Seule cette dernière est sortie de terre. Affaiblie par ce scandale, conjugué au trouble sur les circonstances du massacre de Chimbolo, la Chinoise de 54 ans lutte désormais pour ne pas perdre son empire minier.

Antoine Rolland

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Africa Intelligence

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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