Centrafrique : silence complice de la société civile face à la non – démission de Ngrébada et Autres !

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1984

Au Niger, le journal « Mondafrique » a rapporté la démission de 17 ministres du gouvernement, en prélude des élections prochaines. Par cet acte, ils se plient donc impérativement  aux dispositions du code électoral qui les rendent inéligibles à l’assemblée nationale faute de démission « acquise à compter de la publication de la liste des candidats par la cour constitutionnelle ».

En Centrafrique, alors que le code électoral en son article 136 a formellement consacré l’obligation selon laquelle « les agents de l’Etat, des Collectivités Locales et des établissements publics soumis ou non au statut général de la Fonction publique ne peuvent faire acte de candidature qu’après leur mise en disponibilité au moins trois mois avant la date de l’élection. Le délai, pour la mise en disponibilité avant la date de l’élection, est ramené à deux semaines en cas d’élection partielle. La mise en disponibilité pour les candidats qui n’ont pas été élus cesse plein droit dès la décision de la Cour constitutionnelle qui proclame un ou des députés élu(s). En revanche, les députés élus sont en position de détachement pendant la durée du mandat », grande a été la surprise de tous  de s’entendre dire par la présidente de la cour constitutionnelle qu’ils ont le droit de déroger à cette règle d’éthique, de moralisation de la vie publique, de l’égalité de tous devant les charges publiques et tout simplement de la bonne gouvernance.

C’est dans une lettre dûment signée par Pr Danièle Darlan, adressée en octobre 2020 à la présidente de l’ANE Marie Madeleine Hoornaert N’Kouet, toutes les deux membres du parti – Etat dénommé pour avoir pris part à l’assemblée constitutive de ce parti, tenue à Bangui le 18 novembre 2018, que cette révélation a été faite au grand public. « En réponse aux plaintes du premier ministre Ngrébada et nombre de ses ministres, suite au refus de l’ANE d’enregistrer leurs dossiers de candidatures aux législatives, justement en application des dispositions du code électoral sus – évoquées », nous ont annoncé de gentilles indiscrétions proches de la primature.

Même si dans cette lettre il a été fait référence aux décisions n°006/CC/19 du 5 juin 2019 et n°007/CC/19 du 14 août 2019 par lesquelles la cour constitutionnelle a donné son avis sur le maintien du président Touadéra en fonctions, celui des membres du gouvernement qu’il a nommés et que lui seul peut démettre, ainsi que les députés élus, il n’en reste pas moins qu’elle n’est qu’une simple note et peut être considérée comme un abus de pouvoirs, un trafic d’influence et une interférence certaine de cette Dame dans la gestion quotidienne des activités normales de l’ANE. Mieux, elle s’établit comme une injonction, car son rôle est de dire le droit et de se prononcer sur la constitutionnalité des lois et non de les interpréter sur la base des considérations politiques, en s’immisçant directement dans le fonctionnement des institutions et en orientant d’une manière ou d’une autre leurs décisions. Malheureusement, en la matière, c’est ce que nous devons reprocher à cette cour, tout comme elle a cessé d’être neutre, équidistante et impartiale, lorsque le président de la République n’a pas voulu mettre en place une nouvelle ANE, conformément à la constitution du 30 mars 2016, dans un délai de 12 mois après sa prise de fonctions ; ce qui aurait dû enclencher la procédure immédiate de sa destitution par la haute cour de justice, telle que prescrite par les articles 124 et 125 de la constitution.

Mais aussi invraisemblable, indigne et révoltant que cela puisse paraître, cet état de fait, à l’exception de quelques professionnels des médias, est fort étonnement accepté par tous, les acteurs politiques et la société civile. S’il ne fait aucun doute que le pouvoir de Bangui s’est totalement emmuré dans une approche de mise à l’écart systématique des représentants de l’opposition démocratique du processus électoral et qu’il a manifestement opté pour une politique de non – transparence, d’exclusivité, de non – crédibilité dans le but inavoué d’opérer un passage en force le moment venu, il nous est impossible de trouver des justificatifs au silence de la société civile face à la non – démission du premier ministre Ngrébada et de tous les membres de son gouvernement de leurs fonctions. Un silence complice. Un mutisme qui doit interpeller chaque citoyen centrafricain de l’est à l’ouest du nord au sud et qui mérite d’être dénoncé vigoureusement.

En effet, « composée de tous les citoyens, et les organisations que ces derniers se sont données librement en marge de l’Etat et de la famille pour conférer d’avantage d’impact social de rationalité, d’efficacité à leurs actions dans la poursuite de leur but personnel », selon Abdoulaye NIANG, la société civile occupe une place de plus en plus importante dans l’espace public. Comme tel, les acteurs qui donnent corps à la société civile se trouvent en dehors de la politique, et sont constitués des intellectuels qui figurent en bonne place dans la construction de son hégémonie. Ce sont, en bref, des  « personnalités ou d’organisations non politiques ou syndicales agissant dans un but non lucratif en matière humanitaire, de droit de l’homme de démocratie et de développement économique, culturel et social. »

Si d’une manière générale, un peu partout en Afrique, la conception de la société civile suscite encore de vives polémiques quant à sa position sur le champ politique, sa fonction ne souffre d’aucune contestation. Avec la libéralisation de la vie politique amorcée dans les années 90, puis l’avènement du multipartisme intégral, suivi du développement d’une presse critique et d’associations de défense des droits de l’homme, l’émergence de syndicats, ainsi que l’institutionnalisation d’élections transparentes, libres, inclusives, crédibles et apaisées, la société civile a pour missions essentielles « de participer pleinement à la promotion d’une citoyenneté active, exigeante et réceptive aux exigences de la modernité politique et ouverte aux conditions de son adoption par des sociétés qui aspirent à y accéder. Elle doit à cet effet, entreprendre des actions résolues de sensibilisation et d’éducation civique favorisant une meilleure gestion du projet démocratique encore captif de la boulimie des politiques ».

C’est à cette noble œuvre d’éveil de conscience, de contre – pouvoir et de relais entre l’Etat et les citoyens, pour plus de stabilité et de transparence dans la gouvernance politique, institutionnelle et socio – économique sur cette terre qui est celle de Barthélémy Boganda et la nôtre que le GTSC a été appelé et est appelé. Et c’est ce à quoi Gervais Lakosso et ses collaborateurs se sont ardemment attelés, quand ils se sont levés, à travers le Mouvement « E ZINGO BIANI », pour protester contre la mal – gouvernance, la corruption, l’insécurité, l’Accord de compromissions avec les groupes armés et des mercenaires, leurs nominations à des hautes fonctions de l’Etat, l’octroi des marchés par la formule du contrat de gré à gré à des opérateurs économiques véreux et des organisations criminelles internationales à l’exemple du Groupe Wagner, sans l’autorisation préalable de l’assemblée nationale, et les mesures de restrictions des libertés individuelles et collectives que le mathématicien de Boy – Rabé et ses milices voulaient imposer à tous, en méconnaissances des dispositions constitutionnelles, légales et règlementaires en la matière.

Une expérience riche de renseignements pour la quête des libertés en Centrafrique et l’émergence d’une société civile responsable, dynamique et vivante. Mais si le GTSC a été aussi présent sur le terrain, quand il s’est agi d’élever la plus vive protestation contre le refus de la société Al – Madina de revoir à la baisse le prix d’obtention de la CNI à 4.500 FcFA, comme initialement prévu dans la loi de finances 2020, modifié entretemps par un arrêté interministériel dûment signé par Dondra et Wanzet – un acte de faux et usage de faux, et de faux en écriture publique en association avec des malfaiteurs – il a fort curieusement disparu de la circulation, lorsque le premier ministre Ngrébada et les membres du gouvernement,  par ailleurs candidats à la députation, ont refusé catégoriquement, en flagrante violation du code électoral avec le concours de la cour constitutionnelle, de démissionner officiellement de leurs fonctions avant d’aller battre campagne.

Dans une société où sévit à grande échelle, depuis l’avènement du 30 mars 2016, la corruption politique qui affecte dangereusement la jeune démocratie centrafricaine et qui prend le plus souvent naissance au sein des partis politiques qui, de ce fait, sont incapables de répondre aux aspirations légitimes et aux besoins vitaux des masses populaires, il revient incontestablement à la société civile et au GTSC d’être le porte-étendard de ces préoccupations, et, à travers des campagnes médiatiques, des pétitions et d’autres formes de participations politiques, les porter au niveau des décideurs publics et des différents partenaires internationaux. Cela est d’autant plus important que les Centrafricains ne veulent plus de politique faite d’irresponsabilité, de gabegie, d’incompétence, de magouilles dans les affaires de l’Etat, de détournement des deniers publics et d’injustice dans toutes les sphères de la vie nationale. Le peuple est encore aujourd’hui plus exigeant, aspire à davantage d’actions communes et concrètes, et formule l’espoir de voir ses préoccupations sociales prises en charge par les tenants du pouvoir.

Or nous sommes sans ignorer que dans une démocratie, comme la nôtre, l’élection des représentants du peuple constitue un moment majeur dans la vie de la nation et de ses institutions. Elle appelle un choix des représentants du peuple dans les instances de décision et les habille de légitimité pour être les porteurs de voix et les défenseurs des intérêts des populations. L’élection suivant un processus souvent long qui doit favoriser sa transparence, les agents de l’Etat ne doivent plus être les seuls à assurer la préparation de l’élection. La société civile doit être de plus en plus appelée à prendre part au processus électoral. Sa présence sur le terrain se justifie par des soucis de transparences des opérations, mais aussi par une volonté de former et d’encadrer les populations sur les enjeux des élections.

C’est dans ce contexte que malheureusement, le silence de la société civile et du GTSC face au maintien en fonctions du premier ministre Ngrébada et ses ministres pose un véritable problème de crédibilité, de démission tacite et d’une certaine forme de complicité avec le pouvoir de Bangui. Car, ne jouissant pas expressément d’un mandat électif mais nommés à ces postes de responsabilités grâce à leurs relations personnelles avec le Gangster de Bangui, ceux – ci ne peuvent pas être à la fois juges et parties ; en outre, au nom du principe d’égale admissibilité de tous devant les charges publiques, comme celles de député, ils ne doivent en aucune raison rester en fonctions et battre campagne. Le risque qu’ils puissent utiliser les moyens de l’Etat est tellement élevé que l’opinion nationale ne saurait accepter l’immobilisme total de la société civile et du GTSC à ce sujet, comme les spectacles que nous offrent ces derniers temps un certain Ngrébada et un certain Dondra déjà en pré- campagne, pour ne citer que ceux – là. C’est tout simplement hallucinant et révoltant !

Comme l’a dit Alexis de Tocqueville « il n’y a pas de démocratie sans une société civile dynamique. Mais il n’y pas de société civile dynamique sans l’engagement personnel des citoyens libres et responsables » !

Jean – Paul Naïba

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