Centrafrique : Sani Yalo, l’incontournable « homme de l’ombre » de Faustin-Archange Touadéra

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Personnage sulfureux et secret, Sani Yalo ne figure sur aucun organigramme officiel de l’exécutif centrafricain. Ce proche du président Faustin-Archange Touadéra, accusé par Malabo d’avoir été l’un des cerveaux de la tentative de putsch en Guinée équatoriale en 2017, est pourtant l’une des pièces maîtresses du dispositif du chef de l’État. Il ne possède aucun portefeuille ministériel, pas plus qu’un titre formel de conseiller. Il ne figure sur aucun organigramme officiel, ni au gouvernement, ni à la présidence.

Et pourtant. Sani Yalo est l’un des hommes les plus écoutés par Faustin-Archange Touadéra, au point qu’il n’est pas rare qu’il soit qualifié de « conseiller spécial » dans les couloirs du Palais de la Renaissance. « Il fait partie des proches du président, c’est indéniable. Il est de ceux qui parlent à l’oreille de Touadéra », confie un ministre-conseiller à la présidence, sous couvert d’anonymat. Personnage sulfureux, récemment mis en cause par la Guinée équatoriale pour sa participation supposée à la tentative de coup d’État contre Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, en décembre 2017, Sani Yalo n’a pourtant jamais perdu la confiance du président centrafricain. « Je suis en quelque sorte le bouclier du chef de l’État face à ses adversaires politiques. J’accepte de prendre tous les coups », plastronne le principal intéressé.

S’il est intervenu ces derniers mois sur le devant de la scène médiatique, accordant notamment une interview à Jeune Afrique, Sani Yalo fuit habituellement la lumière des projecteurs, au point que dans les chancelleries occidentales, on le qualifie «d’homme de l’ombre» du président centrafricain. À 57 ans, Sani Yalo a déjà une longue carrière, à la croisée des chemins politiques et économiques, au cours de laquelle il a su se rendre incontournable. « Il a été proche du pouvoir sous plusieurs régimes. Il a été conseiller d’Ange-Félix Patassé, de François Bozizé et même de Michel Djotodia, avant de devenir celui de Faustin-Archange Touadéra, analyse un diplomate occidental. Il maîtrise parfaitement les rouages de la politique en Centrafrique, en connaît les acteurs, ce qui le rend d’autant plus incontournable, et indispensable ».
Lors de la campagne présidentielle de 2016, Yalo avait mis en place et financé plusieurs comités de soutien à la candidature de Faustin-Archange Touadéra, avec le slogan « Touadéra doit gagner » pour leitmotiv. « Cet activisme qu’il a montré durant la campagne a fait monter sa cote auprès du chef de l’État », constate encore le diplomate. Un soutien indéfectible qu’il perpétue au-delà de l’élection de Touadéra, en particulier au sein de la diaspora. « Sani Yalo est à l’origine de la mise en place de plusieurs antennes centrafricaines à l’étranger. Il a notamment été à la manoeuvre de la création du bureau des Centrafricains de France », affirme ainsi un cadre de l’Union pour la renaissance de Centrafrique (URCA), le parti de l’ancien Premier ministre Anicet Georges Dologuélé.

Abdoul Inoussa, membre de Chemin de l’espérance, le parti d’Abdou Karim Meckassoua, farouche opposant à Touadéra, affirme toutefois que « la prise de contrôle du bureau des Centrafricains de France est une stratégie, pour lui et Touadéra, en vue de la présidentielle », fustige-t-il. Son candidat devenu président, Sani Yalo a été élu – avec le soutien du chef de l’État -, au conseil d’administration du Bureau d’affrètement routier centrafricain (BARC). Un poste stratégique puisque c’est cette société qui régule le fret terrestre, principale source de fiscalité pour l’État.

Dans le cénacle présidentiel, Sani Yalo compte aussi parmi ceux qui ont poussé au rapprochement avec Moscou bien que Firmin Ngrebada, ancien directeur de cabinet de Touadéra devenu Premier ministre soit le principal artisan du rapprochement avec Poutine. En 2017, lorsque Faustin-Archange Touadéra était revenu de sa première visite officielle en Russie, « Sani Yalo a conseillé au président d’accepter cet appui, pour diversifier les relations diplomatiques», rapporte un ministre de l’actuel gouvernement, sous couvert d’anonymat, qui considère qu’il a «été de ceux qui ont convaincu le président de la nécessité de renforcer ce lien avec la Russie. » Un positionnement qui, selon ce ministre, « vaut à Sani Yalo d’être mal aimé au sein des chancelleries occidentales. On dit de lui qu’il est pro-russe, et donc contre les intérêts des occidentaux. Et c’est même le nœud de plusieurs problèmes diplomatiques qui ont pu se poser ces derniers mois. »

Début septembre, lorsque la ministre française de la Défense, Florence Parly, avait lancé depuis Moscou que, malgré des « différences de méthodes », la France et la Centrafrique avaient l’objectif commun « d’aider les Centrafricains à restaurer l’autorité de l’État sur leur pays », Sani Yalo a tout naturellement été de ceux qui, dans l’entourage de Faustin-Archange Touadéra, ont entendu dans cette déclaration le signe d’une reconnaissance par Paris de la place prise par Moscou à Bangui.

Depuis la tentative de « coup d’État » en Guinée équatoriale, Sani Yalo se trouve cependant dans l’oeil du cyclone. Son jeune frère, Ahmed « Dada » Yalo, figure parmi les responsables présumés arrêtés par les autorités équato-guinéennes. Malabo accuse même publiquement le « conseiller spécial » de Touadéra d’avoir été l’un des cerveaux de ce putsch manqué. Le ministre équato-guinéen de la Sécurité publique est d’ailleurs déjà venu trois fois en Centrafrique pour évoquer ce dossier. Bangui n’a cependant, pour l’instant, pas fait droit aux demandes équato-guinéennes d’arrêter Sani Yalo. S’il a été plusieurs fois entendu par des magistrats centrafricains dans le cadre de l’enquête ouverte sur ce dossier, « aucune preuve n’a été produite contre lui », assure à Jeune Afrique un magistrat.

Aux soupçons émis sur les bancs de l’opposition sur une éventuelle intervention politique, Simplice Matthieu Sarandji, ancien Premier ministre et proche du président centrafricain, assurait mi-septembre que « la justice travaille librement ». « À ma connaissance, le président n’a jamais appelé un magistrat pour évoquer ce dossier », assure-t-il encore. « Cette affaire est une pure machination », dont l’objectif serait de « [l]’écarter du président centrafricain, dans le but de faire tomber celui-ci », balaie pour sa part Sani Yalo.

Des déboires qui n’empêchent cependant pas le « conseiller spécial » de rester l’un des éléments-clés du dispositif de Faustin-Archange Touadéra. Dans la perspective de la présidentielle de décembre 2020, Sani Yalo est déjà à pied d’oeuvre dans la réorganisation des comités locaux de Mouvements cœurs unis, le parti du chef de l’État.

Jeune Afrique

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