Centrafrique : « Réhabilitation de l’Hôtel du Centre » : Christian Achille Colongo, corrompu ou corrupteur ?

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Le 18 mars 2023, Christian Ndotah, ci – devant directeur général de la Radio – Centrafrique, actuellement journaliste indépendant et lanceur d’alerte, a posté sur sa page Facebook comme thème à débattre : « Hôtel du Centre : Le gouvernement cherche une entreprise pour le réhabiliter et le transformer en 3 Étoiles ».

Des différents échanges, une intervention a retenu notre attention. Celle de Base Bambalo. Une intelligence très vive et rare dans un pays abandonné par toutes les intelligences de son genre. Un ancien haut dignitaire de la République. Le numéro 2 de l’avant – dernier gouvernement du régime du président Ange – Félix Patassé dont les services étaient logés dans le local occupé actuellement par l’ANE et où nous nous rendions fréquemment, en tant que haut cadre d’un département ministériel. Aujourd’hui, il est enseignant et est reconnu comme l’un des défenseurs des causes indéfendables près la cour d’appel de Bangui.

De cette affaire, il a révélé ce qui suit : « Un opérateur économique centrafricain, avec des partenaires étrangers, avait déjà contracté avec l’Etat Centrafricain. Ils ont pu faire cesser l’exploitation par l’Etat, et débuter les travaux de rénovation. La Ministre a mis fin à ce contrat, conclu avec le Ministre d’un Gouvernement précédant…du même régime ! De nouveaux partenaires ont été désignés, à nouveau par entente directe, sauf qu’ils ont fini par désister. Un appel d’offres a été lancé, demeuré infructueux. Un nouvel appel d’offres sera lancé ou a déjà été lancé il y a 24 ou 48h . En attendant, le compatriote qui a investi d’importantes sommes en désintéressement du personnel et en travaux, est présent tous les jours sur le site…de manière à être indemnisé avant une éventuelle reprise par un nouvel opérateur…ouf ! Lionel Ganne Befio , il faut arriver vite, et surtout, il faut veiller à t’attacher les services de conseils en marchés publics pour éviter la mésaventure subie par Monsieur Achille Colongo , pour ne pas le citer ! »

Comme nous pouvons tout aisément le constater, l’affaire de l’Hôtel du Centre relève du domaine des marchés publics. Et, de manière lapidaire, la commande publique signifie que les marchés de l’Etat sont attribués aux fournisseurs, aux hommes d’affaires et entrepreneurs nationaux ou étrangers, conformément à la loi n°08.017 du 6 juin 2008 portant code des marchés publics et délégations de service public en République centrafricaine. Censés être attribués essentiellement par appels d’offres, ces marchés sont aujourd’hui très majoritairement attribués par le mode exceptionnel de gré-à-gré, c’est – à – dire après discussion directe entre l’autorité chargée d’attribuer le marché et le fournisseur qu’elle aura choisi ! Et le plus curieux, pour ne pas dire scandaleux, c’est que la quasi-totalité de ces marchés sont remportés par les mêmes fournisseurs depuis le 30 mars 2016. Ce qui exclut de facto la grande majorité des entrepreneurs centrafricains qui, non contents de croupir dans la misère, sont acculés par leurs créanciers bancaires, quoiqu’ils eussent régulièrement payé leurs impôts et fussent en règle vis – à -vis du fisc comme on le dit dans le jargon financier.

C’est la situation dans laquelle se trouve présentement l’Hôtel du Centre. En effet, M. Christian Achille Colongo s’est fait attribuer, courant septembre 2020, le marché des travaux de réhabilitation de cet établissement à caractère paraétatique, par entente directe, c’est – à – dire en violation des dispositions de l’article 2 de la loi sus – visée, selon lesquelles « les procédures de passation des marchés publics et des délégations de service public, quel qu’en soit le montant, sont soumises aux principes suivants : – le libre accès à la commande publique ; – l’égalité de traitement des candidats ; – l’économie et l’efficacité du processus d’acquisition ; – la transparence des procédures, et ce à travers la rationalité, la modernité et la traçabilité des procédures ». Au fait, en l’espèce, le mode d’attribution du marché par entente directe a été érigée en principe et le recours à l’avis d’appels d’offres en l’exception. A cet effet, une convention dans le cadre d’un partenariat public – privé a été signée, le 18 août 2020, par la société BA-C-EL, le ministre de tourisme Dieudonné Ndomaté et le ministre des finances Henri-Marie-Dondra. Le contrat a cédé 75% des actions à cet opérateur, responsable de la société BA-C-El et l’Etat a conservé 25%. A ce titre, il incombait à l’opérateur économique la responsabilité de réhabilitation, de gestion et du transfert à l’Etat, après un délai de vingt – cinq (25) ans.

Mais, fort étonnement, la nouvelle ministre des arts, de la culture et du tourisme Jennifer Saraïva Yanzéré, selon des raisons qui lui sont propres, a mis fin à ce contrat, conclu avec le ministre du gouvernement précédant du même régime ! De nouveaux partenaires ont été désignés, à nouveau par entente directe, sauf qu’ils ont fini par désister. Un appel d’offres a été lancé, demeuré infructueux. Un nouvel appel d’offres sera lancé ou a déjà été lancé. Cette situation de blocage n’est rien d’autre que la conséquence directe du non – respect de la procédure d’attribution du marché, formellement consacrée par la loi. Cette loi a été littéralement violée par l’opérateur économique, d’un côté, et par le ministre des finances et du budget Henri Marie Dondra, de l’autre. Car, tout comme une personne ne peut plaider devant un juge son ignorance de la loi, conformément à l’adage juridique « Nemo censetur ignorare lege », ce qui signifie que « Nul n’est censé ignorer la loi », il est inadmissible qu’un opérateur économique qui est chef d’une entreprise ignore totalement la procédure à suivre pour l’obtention d’un marché. Source de ses revenus et la raison d’être de son entreprise, sa capacité à capter l’opportunité d’acquérir un marché public doit être déterminante pour son avenir.

A ce sujet, l’information régulière sur les marchés disponibles, sa détermination à présenter des offres conformes aux règles imposées aux candidats et aux titulaires du marché par le droit centrafricain notamment dans le domaine de l’éthique, du droit du travail, de la sécurité sociale, de la protection de l’environnement tout en étant respectueux aux règles techniques propre à l’objet du marché, feront la différence. En outre, son consentement à l’achat public par son adhésion à  la charte de transparence et d’éthique de la commande publique exigée par la réglementation en vigueur devra indubitablement contribuer à faire de lui, à n’en pas douter, un véritable pionnier dans l’entreprenariat et dans le domaine de l’achat public durable à travers ses trois piliers : économique, social et environnemental.

Parallèlement aux efforts de contribuable citoyen dont tout opérateur économique doit faire montre, l’Etat est tenu, au nom du principe de transparence qui est une des garanties essentielles de la démocratie participative, au plan politique comme économique, de rendre publiques toutes les informations relatives à la procédure de passation des marchés publics. C’est ainsi qu’en 2008, confronté à de sérieuses tensions de trésorerie, les institutions financières internationales ont exigé, en contrepartie de leurs appuis financiers, au gouvernement d’opter pour la bonne gouvernance et des réformes en matière de gestion des finances publiques. Il s’en est suivi l’élaboration, l’adoption et la promulgation de la loi portant code des marchés publics. A défaut de confier la gestion de la DGMP et de l’ARMP à des cadres techniquement outillés en pratiques d’élaboration et d’exécution du budget, et donc formatés en techniques de passation des marchés publics, il a plutôt été fait appel à des agents non – initiés et non – formatés. Avec l’arrivée au poste de ministre des finances et du budget, en avril 2016, non pas d’un grand commis de l’Etat mais plutôt d’un agent du droit privé, rompu aux manœuvres de folles courses à des profits et de gains faciles, tous les ingrédients pour une profanation ou une violation permanente de cette loi ont été délibérément mis en place.

Tout naturellement, il ne pouvait que travailler à la substitution du principe de la commande publique par la formule du contrat de gré – à – gré, communément appelée « entente directe ». Richard Boundio est dépité. Sous ses airs de dandy, l’homme n’est pas content du régime. « Ce qui se passe avec la commande publique n’est pas normal. Il faut dénoncer ce qui pourrait être assimilé à un détournement des marchés publics sous la gouvernance de Dondra et qui se poursuit sous la direction de Ndoba », éructe le patron d’une société en BTP qui profitait depuis 2008 de la commande publique en tant que fournisseur, prestataire de services et entrepreneur. « Je ne me cache pas, le ministre Dondra sait ce que je dis et ce que je dénonce. Cette question de la gestion de la commande publique doit être mise sur la place publique », estime-t-il. Et comme pour appuyer ses arguments, il garde jalousement sur son téléphone des coupures de certains journaux de la place qui ont évoqué récemment l’explosion des marchés de gré-à-gré.

L’ampleur prise par le gré-à-gré est vivement dénoncée par Richard Boundio. « Le constat est que plus de la moitié des dépenses de l’Etat consacrées à la commande publique dans les lois de finances de 2016 à ce jour a été faite par entente directe c’est-à-dire de gré-à-gré » souligne le patron du BTP. Or, rappelle notre homme d’affaires oublié de la commande publique,  le principe, c’est l’appel d’offres, l’exception c’est l’entente directe, le gré-à-gré. L’article 46 du Code des marchés n’autorise le gré-à-gré que pour des cas exceptionnels. Mais, ce qui suscite surtout le courroux de notre opérateur économique qui paie régulièrement ses impôts et fait face à des charges mensuelles de fonctionnement, c’est le fait que la commande publique soit accaparée depuis 2016 par quelques hommes d’affaires et fournisseurs triés sur le volet. Ces derniers ont les faveurs du régime. « Depuis 7 ans, les marchés de la défense et de la sécurité sont attribués aux mêmes personnes. Il en est de même pour les autres départements ministériels, les établissements paraétatiques et les institutions périphériques », indique notre interlocuteur dans une grande colère.

A l’en croire, beaucoup de fournisseurs et entrepreneurs sont exclus des marchés publics dès lors que la moitié des marchés de gré-à-gré sont orientés vers les mêmes personnes depuis 2016. Les Centrafricains qui avaient choisi de travailler avec l’Etat sont déboussolés puisqu’ils ne savent pas faire autre chose. Ils ont bâti toute leur stratégie sur la commande publique. Ces hommes d’affaires, entrepreneurs se sont lourdement endettés au niveau des banques parce qu’ils espéraient obtenir des marchés de la commande publique. Aujourd’hui, la plupart sont poursuivis par les banques parce qu’ils éprouvent des difficultés à rembourser leurs prêts. La dernière difficulté, c’est que ces hommes d’affaires ont des difficultés pour mobiliser les crédits au ministère des Finances parce qu’il faut demander des lignes de crédit pour pouvoir obtenir des titres de créances et de certification.

En conclusion, l’affaire « Hôtel du Centre » pose dans toute sa nudité la problématique de la corruption qui empoisonne la gestion de nos finances publiques. Il y a des corrompus, parce qu’il y a des corrupteurs, et il y a des corrupteurs parce qu’il y a des corrompus. Les corrompus et les corrupteurs travaillent en réseau. C’est pourquoi, la lutte contre la fraude et la corruption doit se faire dans le cadre d’une démarche inclusive qui intègre tous les acteurs impliqués de façon directe et indirecte.

Dans son ouvrage « la corruption comment ça marche ? », Noel Pons souligne que la première source de corruption en France est issue des marchés publics : favoritisme, saucissonnage mais aussi cadeaux, invitations et entretien de liens privilégiés entre exécutifs locaux et entreprises, notamment. Nous sommes donc loin des valises de billets remises sur un parking de périphérie en plein milieu de la nuit. L’OECD-OCDE estime même qu’entre 10 à 30% des investissements dans des projets de construction financés par des fonds publics seraient perdus du fait d’une mauvaise gestion et de la corruption (CoST, 2012). A l’échelle des pays de l’OCDE, « le montant total des marchés publics qui correspond à l’activité gouvernementale d’achat de biens, services et travaux, représentait, en 2013, 12 % du PIB et 29 % des dépenses publiques dans les pays de l’OCDE, soit 4,2 milliards d’euros ». Lutter contre la corruption dans le secteur des marchés publics est d’abord un enjeu de justice sociale. Contribuer à sa réduction est le meilleur moyen de réaffecter des fonds publics détournés de l’intérêt général et de les réinvestir dans les services publics.

Aussi, se positionner contre ce fléau contribue à redonner leurs lettres de noblesses aux principes encadrant la commande publique à savoir l’égalité de traitement des candidats, la liberté d’accès et la transparence des procédures.

La Rédaction

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