CENTRAFRIQUE: RECENSEMENT ÉLECTORAL ET PROBLÉMATIQUE DE LA LÉGITIMITÉ DES INSTITUTIONS QUI SORTIRONT DES URNES EN 2021 OU 2022

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Par Damoclès DIRIWO
Dans la marche d’un pays qui se veut démocratique, une élection représente toujours une expérience majeure tant est qu’elle est le baromètre de la démocratie dans le pays, l’occasion pour le peuple de s’approprier de sa souveraineté en sanctionnant ou en renouvelant/octroyant sa confiance à ses propos fils en vue de relever des challenges qui sont multiples et variés. Moment historique de rencontres et d’échanges entre ce peuple et les dirigeants et aspirants dirigeants, les élections sont un processus dont la première phase majeure et fondamentale si on peut le dire ainsi, est l’inscription des gens en âge et capacité de voter sur les listes électorales.
SENS DU PROBLÈME
Cette inscription, véritable passeport et billet d’entrée dans la salle du scrutin à venir, conditionne tout le reste du processus, car il n’y a pas d’élection sans électeurs régulièrement inscrits et possédant leurs cartes d’électeurs. Et les députés et le président de la République qui sortiront des urnes en 2021 ne seront fiers d’être tels que s’ils sont élus par une majorité sociologique confortable et non une minorité de moins de 20% de la population inscrits et votants comme cela se passe ailleurs et comme cela risque de se passer pour la première fois en Centrafrique.
Mais comment cette majorité de la population attendue dans les différents bureaux de vote à partir de décembre 2020 risque de ne pas être présente au rendez-vous historique pour conférer à ceux qui seront « déclarés élus » par l’Autorité nationale des élections (ANE) ou la Cour constitutionnelle la bonne et sainte légitimité populaire? La RCA ne risquera-t-elle pas de rater un rendez-vous avec l’histoire, la raison et la démocratie au regard du peu d’engouement pour le recensement électoral actuel?
DE LA CRISE DE LÉGITIMITÉ
Le fait qu’il y ait peu d’inscrits sur les listes électorales tant à Bangui qui regorge habituellement le plus grand nombre de citoyens motivés pour les élections, qu’en provinces pendant 3 semaines (30 juin-21 juillet 2020), signifie tout simplement qu’il ya crise de légitimité. Les citoyens ne font pas confiance en leurs dirigeants actuels. Beaucoup le disent d’ailleurs et donnent les raisons à prendre au sérieux.
Première raison généralement partagée
Le chef de l’Etat et les députés les auraient déçus, si bien qu’ils sont découragés d’aller se faire inscrire pour voter d’autres personnes qui vont encore leur tourner le dos comme par le passé. Les élus n’auraient pas pensé à eux et les auraient abandonnés à la famine, à la misère, à l’obscurité, à l’insécurité, aux caprices des groupes armés, à la mort violente, à l’analphabétisme de retour, aux épidémies et maladies de tout genre, disent-ils.
Deuxième raison avancée
La mauvaise gouvernance et les fausses promesses. De nos enquêtes, il est apparu que des chefs de familles entières notamment les fonctionnaires et agents de l’Etat, accusent les dirigeants d’avoir détourné l’argent décaissé par les partenaires internationaux pour payer les arriérés de salaires et de pensions, pour lutter contre la Covid-19, pour mettre en œuvre le programme DDRR, la réconciliation nationale et la Réforme du secteur de la sécurité (RSS). Cela est d’autant vrai que les arriérés de salaires et pensions sont payés aux compte-gouttes et surtout après des grèves ou manifestations publiques des ayants-droit. « Le président Touadéra n’a pas la volonté de nous mettre à l’aise en payant nos droits avec l’argent donné par l’extérieur et qui n’est pas son argent», déclare un syndiqué sur le point d’aller à la retraite.
La Covid-19 s’y est ajoutée: véritable fonds de commerce qui engraisse les princes qui nous gouvernent et abandonne à la mort le personnel de la santé et les patients qui ne sont pas pris en charge comme il se doit, et la population qui ne voit pas les signes de sa protection par la prévoyance. Les intellectuels, cadres et agents de l’Etat et des secteurs privé et parapublic interrogés disent leur appréhension face à l’impunité qui a pris une propension et une ampleur inquiétante:
-POUR LA RSS: Ils notent que plus d’un (1) milliard de FCFA a été détourné au ministère de la Défense nationale d’après un Rapport de contrôle fait par la Haute autorité chargée de la bonne gouvernance (HABG) en 2019, sans que les personnalités mises en cause par le rapport ne soient jusque-là inquiétées. Bien au contraire, ces personnalités continuent de bénéficier de la confiance du chef de l’Etat et certaines sont même promues par décret à des postes de responsabilité, ce qui démontre que « le chef de l’Etat, qui a pourtant connaissance de ce rapport accablant, cautionne les prédateurs et n’est donc pas prêt à sanctionner » (sic).
Idem au niveau du ministère du DDRR et de l’organe technique d’exécution du programme DDRR, et bien d’autres départements ministériels et entreprises et offices publics où des actes de détournements avérés ne sont toujours pas sanctionnés comme il se doit. « Le pouvoir ne donnant aussi signe et ne manifestant aucune volonté de mettre fin à de tels crimes économiques y compris des crimes humains comme ceux commis par Sidiki, Alkatim, Ali Darass, Abdoulaye Hissène, Nourredine Adam et autres, ça ne vaut pas la peine d’aller s’inscrire pour voter !», martèle un autre.
LES ARRIÉRÉS D’INDEMNITÉS ET DE PERDIEMS DES AGENTS RECENSEURS ET GESTIONNAIRES DES BUREAUX DE VOTE (PRÉSIDENTS, ASSESSEURS, SCRUTATEURS…)
Cette crise de légitimité s’explique aussi par le fait que la population semble être indifférente aux multiples appels lancés par les autorités de l’ANE, les maires des arrondissements et chefs de quartiers de Bangui, sans oublier les préfets, sous-préfets, maires et chefs de groupes, des quartiers et villages des provinces, à l’endroit de tous les Centrafricains et Centrafricaines en âge de voter, pour leur inscription massive dans les centres d’enregistrement répartis sur toute l’étendue du territoire. Ce boycott est dû aussi à la mauvaise et triste expérience des élections de 2015-2016 qui ont laissé des arriérés d’indemnités et perdiems des agents recenseurs et gestionnaires des bureaux de vote (présidents, assesseurs, scrutateurs notamment). Ces arriérés n’étant pas payés depuis plus de 4 ans, les victimes s’organisent pour faire échouer les opérations de recensement électoral en cours, avons-nous remarqué. C’est ce qui vient de se passer à Boali où les agents recenseurs et les chefs des quartiers et villages en activité de recensement depuis 17 jours ont cessé de travailler depuis le mercredi 22 juillet 2020 pour réclamer le paiement de leurs perdiems.
Malgré le bonus de 7 jours accordés par l’ANE pour que les gens aillent se faire enregistrer pour le vote, les choses ne semblent toujours pas bouger. Il y a à craindre un fort taux de non participation ou d’abstention aux prochaines élections, ce qui risque d’impacter sur la légitimité de ceux qui sortiront des urnes. A supposer que le président de la République soit élu avec 250 000 voix seulement sur les 2 millions d’électeurs représentant la voix de 5 millions de Centrafricains, on ne peut pas dire que ce président-là n’a pas de problème de légitimité.
Wait and see.
Damoclès Diriwo
Source: MEDIAS+

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