Centrafrique : Que la Vierge Marie, Notre Dame de l’Oubangui, intercède pour nous dans notre marche !

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MESSAGE DE SON EMINENCE DIEUDONNE CARDINAL NZAPALAINGA, ARCHEVÊQUE METROPOLITAIN DE BANGUI, AU PEUPLE DE DIEU, AUX FEMMES ET AUX HOMMES DE BONNE VOLONTE, POUR LE TEMPS DE L’AVENT 2022.

 

Chers frères et sœurs,

Et vous tous, hommes et femmes de bonne volonté,

  1. Nous entrons aujourd’hui dans le temps de l’Avent. Nous savons, en effet, que ce temps marque le début d’une nouvelle année liturgique. Comme par le passé, j’ai jugé utile, à cette occasion, de vous adresser le présent message en guise d’exhortation à vivre pleinement la grâce du temps de l’Avent. Car, si nous sommes éclairés et instruits par la signification spirituelle profonde de ce temps de grâce, nous serons mieux préparés à tirer profit des grâces particulières qui y sont attachées.
  2. Le temps de l’Avent est une période de quatre semaines environ, un temps qui prépare les fidèles à commémorer et à célébrer le mystère de l’incarnation, c’est-à-dire l’événement historique de la naissance de Jésus. L’origine latine du mot « Avent » est déjà suggestive : adventus, qui signifie venue, avènement. Nous savons par ailleurs que la foi chrétienne confesse une double venue du Seigneur, qu’elle maintient en tension : il s’agit, d’une part, de la première venue de Jésus en notre chair et, d’autre part, de sa seconde venue dans la gloire, à la fin des temps, lorsqu’il viendra juger les vivants et les morts. Le temps de l’Avent ne se contente donc pas seulement de rappeler à la mémoire chrétienne la portée d’un événement qui s’est déjà réalisé dans le passé, à savoir que, en Jésus, Dieu s’est fait homme (cf. Jn 1, 14) ; il en souligne également la dimension eschatologique, c’est-à-dire la pleine manifestation du Seigneur à la fin des temps. Les oraisons et la liturgie de la parole qui nous seront proposées pendant le temps de l’Avent mettent bien en valeur cette double dimension de l’avènement du Seigneur.
  3. Telles sont, brièvement décrites, la signification et l’importance du temps de l’Avent dans la vie des baptisés et de l’Eglise qui ne cesse jamais de mettre en valeur l’incidence de l’incarnation du Seigneur dans le cours de l’histoire de l’humanité. En cela, ce temps liturgique de l’Avent nous engage à le vivre, en Eglise, d’« un seul cœur et d’une seule âme» (Ac 4, 32). Je désire souligner fortement que la particularité de l’Avent de cette année est que ce temps liturgique se déploie au cœur de la dynamique du chemin synodal dans lequel nous sommes tous et toutes engagés. Le temps de l’Avent est plein de promesse de vie. En cela il interpelle vivement la situation que nous traversons sur le plan social, politique et économique. Si l’on n’y prend garde, ce contexte de crise risque d’obscurcir les perspectives de rencontre et de dialogue avec l’autre, valeurs pourtant indispensables à la construction d’une société paisible, fraternelle et solidaire. C’est pourquoi il m’a semblé opportun de porter une parole d’espérance et d’encouragement, de vous inviter à vivre le temps de l’Avent qui s’ouvre aujourd’hui comme un kairos. Un temps favorable de réflexion et de prière, un temps de conversion et d’engagement à collaborer activement au projet de « Dieu qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité » (1 Tim 2, 4).
  4. Pour avancer sur ce chemin, une aide précieuse nous est fournie, sur le plan ecclésial, par les valeurs de communion, de participation et de mission impliquées dans toute démarche synodale véritable. Car, la dynamique synodale interroge, en réalité, notre capacité à marcher et à travailler ensemble. Elle montre que nos compétences respectives, nos différences de sensibilité et de savoir-faire constituent une richesse de grande valeur ; elles ne peuvent nullement être des obstacles qui remettraient en cause la possibilité d’un vivre-ensemble et de réalisation des projets communs. Et pourtant ! Oui, et pourtant, à moins de se boucher les oreilles et de se voiler la face, la situation que traverse notre pays est plus que préoccupante : elle est source de malaise, de frustrations et de suspicions ; elle est la cause de la persistance de la misère dans laquelle le peuple centrafricain croupit et de la résurgence des guerres de tranchées. Nous espérions tous que la convocation et la tenue du dialogue entre fils et filles de ce pays offriraient l’opportunité de surmonter les blocages qui nuisent à nos ambitions légitimes de construire une société vraiment habitable. Ce dialogue avait-il été sincère ? Où en sont les fruits escomptés ? Et pourquoi certains n’y ont pas participé ?  Pendant que nous tergiversons, une grande misère s’est installée dans le peuple, qui meurt en silence, à petit feu. Pourquoi habituer le peuple centrafricain à vivre dans la misère ? Dans ce contexte qui entrave gravement l’exigence de marcher ensemble dans la paix et l’unité, pouvons-nous rêver de connaître, un jour, la joie du bonheur partagé ?
  1. Imprégnée de l’esprit synodal, l’Eglise Famille de Dieu qui est dans l’Archidiocèse de Bangui entend apporter, dans l’espace public, sa contribution dans l’œuvre de construction d’une société fraternelle de paix et de joie partagées. Dès lors la question qui s’impose et à laquelle nous devons répondre est la suivante : vivants au cœur des réalités ecclésiales, sociales, politiques et économiques propres à notre contexte de vie, comment pouvons-nous nous préparer, en tant que baptisés, à accueillir et à vivre l’événement fondamental de la venue en notre chair du Prince de la Paix ?
  2. Pour répondre à cette question, il pourrait être utile de repartir des ressources contenues dans les lignes et orientations fondamentales du chemin synodal. Qui, en effet, est appelé à vivre la synodalité ? La dernière session diocésaine de rentrée pastorale a suffisamment mis en lumière le fait que la synodalité est un chemin de conversion : conversion personnelle et conversion communautaire à l’exigence du vivre-ensemble. De plus, le chemin synodal est une remise en question des convictions fondées plutôt sur une base ethnique ou tribale. En ce sens, promouvoir l’esprit synodal, c’est redécouvrir les bienfaits du dialogue, de la convivialité, du respect et de l’écoute de la parole de l’autre. C’est pourquoi l’appel à la synodalité doit retentir dans tous les secteurs de notre vie personnelle, familiale, ecclésiale, sociale, politique et culturelle. Mais sa plus grande exigence se laisse saisir, en particulier, dans les structures et institutions auxquelles les personnes appartiennent et qui les réunissent en une véritable communauté de destin. Ainsi en est-il dans la communauté ecclésiale où le mystère du Christ rassemble les baptisés dans une seule et même famille des enfants de Dieu unis dans la foi, l’espérance et la charité. Il en va de même dans la société civile : là, les citoyens se reconnaissent filles et fils de la même mère-patrie ; ils communient aux mêmes idéaux, ils partagent les mêmes valeurs qui structurent leur existence historique. Pour demeurer fidèle à son identité propre, il est nécessaire qu’un groupe ou une communauté historique mette en œuvre des mécanismes de réévaluation de ses pratiques et de son fonctionnement. Grâce à ces mécanismes, les nouveaux défis auxquels cette communauté est confrontée sont mieux perçus, ce qui permet également de rechercher des solutions appropriées et qui s’imposent.
  3. L’Eglise est en marche. Elle est en marche vers le Royaume. Aussi parcourt-elle les routes des hommes et des femmes créés à l’image et à la ressemblance de Dieu pour leur annoncer la bonne nouvelle du salut en Jésus-Christ. Oui, l’identité de l’Eglise est d’être missionnaire, sa raison d’être est de témoigner de Jésus-Christ. Certes, nous savons que la route de la mission est longue et exaltante ; mais elle est aussi difficile, voire périlleuse ; elle est parsemée d’embûches. Aux difficultés inhérentes à la mission de l’Eglise s’ajoutent, malheureusement, les crises causées par les péchés ; péchés qui défigurent sa beauté d’Epouse du Christ et, pour cette raison, affaiblissent la force prophétique de son témoignage. Mais l’Eglise sait qu’elle ne pourra répondre à sa mission prophétique dans le monde que si les baptisés inscrivent l’exigence de conversion au cœur de leur vie, s’ils se préoccupent réellement d’ajuster les options fondamentales de leur vie aux valeurs de l’Evangile. Il apparaît donc que le temps de l’Avent est un temps favorable de conversion pour tous. Se convertir, c’est revenir à Dieu de tout son cœur ; c’est surmonter et briser tout ce qui nourrit l’éloignement des uns à l’égard des autres. C’est à cette condition que l’on peut, ensemble, se mettre en route pour bâtir une société autour des valeurs partagées et qui rassemblent. La différence d’approches et d’analyses des situations peut-elle être un obstacle pour emprunter la route de l’homme ? Ne devrait-elle pas plutôt nous amener à nous interroger, comme en écho à la prédication de Jean-Baptiste, « Que devons-nous faire ? » (Lc 3, 10 ss) Si donc l’appel à la conversion se fera plus fort pendant ce temps de l’Avent, c’est parce qu’il est porteur de paix et de joie profondes. Qui s’engage à revenir à Dieu dans une démarche de conversion sincère connaîtra la joie de la paix : la paix avec Dieu, la paix avec soi-même, la paix avec les autres. Oui, la conversion authentique produit la paix.
  4. La paix, qui est source de vie, rend possible et consolide le vivre-ensemble. L’esprit synodal que l’Eglise promeut est ultimement ordonné à cette valeur fondamentale de la paix. En tant que Corps du Christ, l’Eglise sera, comme le dit le Pape François, une « maison sûre pour tous »[1] dans la mesure où chaque baptisé se sentira accueilli et reconnu dans sa dignité et dans sa singularité. Cela ne signifie pas que les problèmes et les difficultés, les différences et les divergences, les crispations et les frustrations auront disparu. Non, car en réalité, l’Eglise est une « maison sûre » parce qu’on y apprend à construire le Royaume dans la confiance et la foi, malgré et en dépit des contraintes inévitables. Elle est une « maison sûre » dans laquelle ses membres découvrent la joie de l’écoute mutuelle et du respect de la parole de l’autre. Elle est une « maison sûre » parce qu’elle a le courage de faire route avec les situations que traverse la société, parce qu’elle s’efforce de traduire dans le concret l’appel cher au Cœur de Jésus, à savoir vivre dans l’unité de l’amour. L’Eglise est une « maison sûre » qui témoigne que des situations difficiles ne peuvent se débloquer que par l’ouverture bienveillante à l’autre. Ce qui exige un renouvellement du regard qui pousse à m’approcher de l’autre, à entrer en dialogue avec lui, à consentir à marcher avec lui et contribuer avec lui à la construction d’une société plus juste et plus fraternelle.
  5. Dès lors, au regard des enjeux et défis auxquels nous sommes confrontés, se préparer en Eglise à accueillir le Prince-de-la-paix qui vient, l’Enfant-Jésus, signifie :
  • s’engager à vivre pleinement notre foi dans nos Mouvements, Fraternités et Groupes de prière respectifs ;
  • se garder de toute violence, tant physique que verbale et s’émerveiller du potentiel dont l’autre dispose, de ses compétences et de son savoir-faire ;
  • vouloir et rechercher les biens de la paix et de l’unité, de l’amour et de la solidarité, valeurs fondamentales pour la cohésion sociale ;
  • choisir la vie et la promouvoir en posant, chacun à son niveau, des actes prophétiques, fruits d’une authentique démarche de conversion intérieure.

Ne nous trompons donc pas de cible. Car, ce contre quoi chacun et chacune de nous doit lutter c’est la tentation du repli sur soi, la posture orgueilleuse de l’autosuffisance, la conviction erronée de posséder l’ultime vérité, la peur injustifiée de s’ouvrir au dialogue, de tenir la main de l’autre pour marcher avec lui, à la rencontre du Christ.

Chers frères et sœurs,

Et vous tous, hommes et femmes de bonne volonté,

  1. Je désire terminer ce message en revenant sur la parole que le Pape St. Jean-Paul II avait dite, au tout début de son ministère, le 22 octobre 1978, sur la Place Saint-Pierre : « N’ayez pas peur, au contraire, ouvrez tout grand les portes au Christ». Et le Pape Benoît XVI d’ajouter, au moment d’inaugurer son pontificat, le 24 avril 2005 : « N’ayez pas peur du Christ ! Il n’enlève rien et il donne tout. Celui qui se donne à lui reçoit le centuple. Oui, ouvrez, ouvrez tout grand les portes au Christ – et vous trouverez la vie ». Ces paroles sont source de joie profonde et appellent à la confiance. Le risque est grand, humainement parlant, de se laisser aller à la peur, de se résigner, de douter de l’avenir et de nos capacités d’agir sur le présent pour l’orienter vers des perspectives heureuses pour notre pays. Mais, tout n’est pas perdu. Certes, nos péchés nous ont détruits, ils ont également détruit les autres. Dieu demeure cependant le Maître de l’Histoire ; c’est pourquoi nous ne pouvons désespérer, ni de nous-mêmes ni de notre avenir commun. J’en appelle donc au sens du dépassement. Renouons avec la confiance.
  2. En entrant aujourd’hui dans le temps de l’Avent, nous accueillons avec confiance et grande espérance la promesse que le Seigneur nous fait par la voix du prophète Isaïe : « En ce jour-là, le loup habitera avec l’agneau, le léopard se couchera près du chevreau, le veau et le lionceau seront nourris ensemble, un petit garçon les conduira… » (Is. 11, 6). Cette prophétie met en lumière un contraste saisissant : contraste entre la puissance du loup et la faiblesse de l’agneau ; entre la force du léopard et la fragilité du chevreau. Dans ce contraste, Dieu nous rassure en nous invitant à croire qu’il est possible de marcher ensemble, de travailler ensemble, d’avancer ensemble pour le bien de notre pays. Laissons cette prodigieuse promesse retentir à nos oreilles et dans nos cœurs. Puisse-t-elle raviver notre espérance dans l’inattendu de Dieu qui germe dans les cœurs simples et les rend libres pour aimer. Oui, laissons-nous saisir par l’incroyable puissance d’amour du Prince-de-la-Paix, Lui qui peut tout mais qui, cependant, n’écrase personne. Dieu, en son Fils, se dépouille de tout et vient à nous. Il y a là tout un programme de vie chrétienne : l’amour est puissance de vie ; puissance qui rend libre et rétablit l’être aimé dans sa dignité d’enfant de Dieu. En cela il devient chemin vers Dieu.

Que l’Esprit du Seigneur nous donne de vivre ce temps de l’Avent avec une grande ferveur, dans la confiance et l’espérance joyeuse d’être renouvelés dans l’amour pour sa gloire. Et que la Vierge Marie, Notre Dame de l’Oubangui, intercède pour nous dans notre marche ensemble à la rencontre de son Fils.

 

+ Dieudonné Cardinal NZAPALAINGA

Archevêque Métropolitain de Bangui

[1] cf. Lettre que le Pape François a adressée, le 14 octobre 2021, à Mgr Eric de Moulins-Beaufort, Archevêque de Reins et Président de la Conférence des évêques de France.

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