Centrafrique : Quand Richard Pouambi dit « Tuez – les tous », « insultez – les », « enculez – les »….!

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Rwanda : «Tuez-les tous», «éradication totale», «nettoyage»… les voix funestes du génocide

LE PARISIEN WEEK-END. Au Rwanda, Radio mille collines, l’organe du gouvernement hutu, prônait quotidiennement l’éradication des Tutsi. Près d’un million d’entre eux seront massacrés entre avril et juillet 1994.

 

 D’un ton jovial, trois animateurs, le Belge Georges Ruggiu, Kantano Habimana et Valérie Bemeriki (de g. à d.) demandent que soit « réglée » la question tutsi.
D’un ton jovial, trois animateurs, le Belge Georges Ruggiu, Kantano Habimana et Valérie Bemeriki (de g. à d.) demandent que soit « réglée » la question tutsi. Illustrations Hippolyte

Le 21 avril 2019 à 10h45

Une table de bistrot branlante, trois verres posés dessus. À nos pieds, le clapotis des eaux claires et paisibles du lac Kivu. En arrière-plan, les hautes collines de Bisesero, aux flancs tachetés de forêts d’eucalyptus et de lumineuses plantations de thé. Il fait doux, il n’y a pas un poil de vent. Nous sommes vingt ans après le génocide des Tutsi du Rwanda. Eric Nzabihimana parle. Eric est un rescapé des collines de Bisesero, dans l’ouest du pays, haut lieu, en 1994, de l’extermination.

Il raconte la survie pendant cette « chasse » à l’homme de trois mois. Les enfants qui tombent les premiers parce qu’ils « ne courent pas assez vite ». Puis les femmes qui portent leurs nouveau-nés, mais ne parviennent pas à éviter les éclats de grenades, ni les rafales de fusils-mitrailleurs qui les fauchent, ni les lances qui les transpercent. « Nous, les hommes, nous n’avions que des bâtons pour défendre nos familles », dit Eric. Et eux, les hommes, chutent à leur tour sous les coups de boutoir de l’armée, de la gendarmerie et de la police rwandaise, suivis de miliciens qui chantent et boivent. Cent jours durant. Une colline tapissée de morts.

Fatigué, Eric interrompt son récit à juin 1994, ce mois où Paris annonce le déploiement de 2 500 soldats français au Rwanda dans le cadre de l’opération Turquoise, dite « neutre » et « humanitaire ». « Dis, Eric, pourrais-tu nous traduire une archive audio de cette période? » lui demande-t-on. L’extrait de six minutes et quarante-cinq secondes a été diffusé sur les ondes de Radio mille collines, cette « radio de la haine » qui fut un instrument de l’extermination. « L’état-major du génocide par les mots », ainsi se présentaient ses animateurs.

Joe Dassin pour accueillir les Français

Eric hésite, il est « vraiment fatigué ». Nous lui expliquons que cet extrait nous intrigue car il se termine avec le tube de Joe Dassin « Les Champs-Élysées ». Eric est étonné, pas surpris. Comme beaucoup de Rwandais, il écoutait Radio mille collines, « et puis les piles sont mortes ». En mai, un mois après le début du génocide. Il tripote son verre. L’effort lui coûte, c’est évident.

Le magnétophone tourne, Eric traduit les mots prononcés en kinyarwanda, la langue du pays. Il est concentré, les yeux mi-clos. Quand il parle, son « il » désigne l’animateur de Radio mille collines. « Il dit que cette fois c’est la fin de ces cafards (NDLR : les Tutsi), ces animaux, ces inhumains-là. Il dit qu’il faut écrire les mots qui montrent que nous sommes contents d’accueillir les Français, nos amis. » Le son crachote un peu, l’animateur joue de sa voix comme des accords d’une guitare. « Il dit qu’il faut lancer des fleurs en l’air, que les enfants peuvent descendre sur la route en dansant, qu’il y a des mots à prononcer : Merci, Bienvenue. Il dit qu’il faut se préparer à maîtriser ces slogans pour que l’accueil soit bien fait, pour montrer aux terroristes et aux enfants de Tutsi que c’est leur ennemi qui arrive. »

Illustrations Hippolyte
Illustrations Hippolyte  

Au loin, une pirogue de pêcheurs glisse sur les eaux du lac Kivu. « Il dit que les Tutsi qui viennent de l’Ouganda, ils viennent pour tuer les Hutu. Et même les manger, c’est ce qu’il dit. Il dit que les filles hutu se préparent aussi pour donner le moral aux militaires français, car le moral, c’est très important pour les militaires. » Sur Radio mille collines, l’animateur va crescendo : il est heureux, c’est la fête, il veut que toutes les mains du génocide se réjouissent avec lui. « Il dit, ces Français-là, je leur dédie cette chanson. » Du magnétophone s’élève alors la voix enveloppante de Joe Dassin : «… Il suffisait de te parler pour t’apprivoiser/Aux Champs-Élysées, aux Champs-Élysées, pala, pala, la…/Au soleil, sous la pluie, à midi ou à minuit/Il y a tout ce que vous voulez aux Champs-Élysées/Tu m’as dit J’ai rendez-vous dans un sous-sol avec des fous… »

Une radio créée par des extrémistes proches du pouvoir

Eric se tait, abattu. Il sait qu’en diffusant Joe Dassin avant l’arrivée des soldats français de l’opération Turquoise, Radio mille collines ne proposait pas, en cet été 1994, un « rendez-vous dans un sous-sol avec des fous ». Non, « Radio la haine » faisait sa part du « travail » : elle relayait les consignes du gouvernement génocidaire afin « d’accueillir » le contingent de Turquoise. C’était là son rôle, s’assurer de la bonne transmission des directives, verrouiller le contrôle politique du génocide par un usage calculé de la parole.

Le faire-part de naissance de Radio mille collines date du 8 avril 1993. Ce jour-là, un an avant le début des massacres, un notaire de Kigali, la capitale rwandaise, enregistre son acte de création sous le numéro K0115325. Il est signé par 50 actionnaires, pour la plupart des extrémistes qui noyautent la présidence du pays. Son représentant officiel s’appelle Félicien Kabuga. Riche homme d’affaires, c’est un parent par alliance du chef de l’Etat, Juvénal Habyarimana. Désormais inculpé par le Tribunal pénal international qui l’accuse d’avoir été « le financier du génocide », Félicien Kabuga est en fuite depuis vingt-cinq ans. Le département de la Justice des Etats-Unis a mis sa tête à prix pour 5 millions de dollars. Mais il reste insaisissable.

À l’été 1993, des locaux sont aménagés à quelques pas de la résidence officielle du chef de l’Etat. Les coupures d’électricité étant fréquentes, Radio mille collines est directement raccordée aux générateurs des bâtiments de la présidence rwandaise. Les émissions débutent en juillet 1993. Deux heures de musique le matin, deux heures de musique en fin d’après-midi, pas plus. C’est qu’il faut constituer une équipe. Des « stars » de la presse extrémiste sont recrutées. Tous entendent « régler » la question tutsi.

« Cancrelats », « cafard » et « race ennemie »

L’antenne s’anime fin 1993. Débats, musique, info, sport, c’est la recette. Mais il y a surtout un ton, un ton à nul autre pareil dans les médias rwandais. Pas de tabou, de la dérision, du cynisme, de l’entrain. Une brutalité qui bouscule. Des modulations de voix, des stridences, des mots choisis, des calembours. Et une programmation musicale qui balaie les codes de la société traditionnelle rwandaise. De l’infotainment avant l’heure. C’est un grand succès. Et plus le Rwanda s’enfonce dans la crise, plus la réussite se confirme. Les auditeurs sont captivés, comme hypnotisés. Trois animateurs vedettes émergent : Kantano Habimana, « l’idéologue », toujours en fuite aujourd’hui ; Valérie Bemeriki, « la louve », condamnée en 2009 à la prison à perpétuité ; Georges Ruggiu, le « Belge en rupture de ban », condamné en 2000 à douze ans de prison.

Illustrations Hippolyte
Illustrations Hippolyte  

Hors cases musicales, le trio occupe près de 100 % de l’antenne. Il fait carton plein. L’idéologie anti-Tutsi est revendiquée et mise en scène dans une surenchère permanente. Les Tutsi sont une « race », « une race ennemie », des « cancrelats », « des cafards », qu’il faut donc « nettoyer » parce que le « cafard » est « le diable ». Oui, les Tutsi sont « diaboliques » et, pour ces « malfaisants », la mort est un « juste prix ». Pas une « petite mort », non, « l’éradication totale ». Ils doivent « disparaître », « tous », « tuez-les tous ». Et « envoyez la musique », « dansons », « buvons », « réjouissons-nous », c’est la « fête ». En juillet 1994, le studio mobile s’installe dans la « zone humanitaire sûre » mise en place par les soldats français

Des brassées de Tutsi assassinés, entassés en fagots

Préparée pendant des semaines, la sinistre « fête » se déclenche le 6 avril 1994, avec le tir mortel de deux missiles contre l’avion transportant le président rwandais. Le génocide des Tutsi débute quelques heures plus tard. D’une terrible efficacité, il se poursuit sans interruption durant trois mois. En mai 1994, alors que les combats font rage à Kigali entre les forces armées du gouvernement génocidaire et les rebelles du Front patriotique rwandais, Radio mille collines suit les autorités extrémistes parties se réfugier dans la ville de Gitarama, à une quarantaine de kilomètres au sud-ouest de la capitale. Dans le sillage de la débandade, des brassées de Tutsi assassinés, entassés en fagots sur des kilomètres et des kilomètres.

Le noyau dur de l’extermination – le gouvernement, la garde présidentielle, des éléments de l’armée et de la gendarmerie – s’établit dans un stade en bordure de la ville. À dix mètres d’une cage de gardien de football, un gros camion vert olive, couleur camouflage, six roues, type militaire. Une antenne sommaire est montée. C’est le studio mobile de « Radio la haine ».

Illustrations Hippolyte
Illustrations Hippolyte  

Dans son camion, « l’état-major du génocide par les mots » va encore parcourir des centaines de kilomètres sans cesser d’émettre. Début juillet 1994, le studio mobile s’installe dans la « zone humanitaire sûre » mise en place par les soldats français de l’opération Turquoise. La voix de Radio mille collines disparaît des ondes le 31 juillet 1994, avec le début du retrait du contingent français. Elle aura vécu un an. Le génocide a fait près d’un million de morts.

Source : https://www.leparisien.fr/

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