Centrafrique : quand les élus de la nation légalisent et érigent les malversations financières et la corruption en mode de gouvernance

0
236

 

Conformément aux dispositions de la loi organique n° 17.011 du 14 mars 2017 portant règlement intérieur, les députés de la nation ont renouvelé le bureau de l’assemblée nationale, le mardi 7 mars 2023. Le député de Carnot 1 en la personne de Evariste Ngamana a été reconduit premier vice – président face au représentant de Dékoa Frédéric Yologaza. « C’est un exercice démocratique auquel j’ai participé. Je suis très content aujourd’hui car mes collègues m’ont reconduit à ce poste. Je suis également ému puisque, plus d’une centaine d’élus sur les 140 que compte le parlement, m’ont porté leur dévolu. C’est un score qui prouve que je bénéficie de la confiance de mes collègues » s’est – il exclamé à l’issue du vote.

Si la reconduction du député de Carnot 1 dans ses fonctions du responsable de l’administration de la représentation nationale est accueillie favorablement par la majorité parlementaire, ses laudateurs et ses communicants, elle est, par contre, appréciée par tous les Combattants de la Liberté et tous les Démocrates Centrafricains comme une décision hautement maladroite, singulièrement irresponsable et moralement criminelle et condamnable, parce que lourde de conséquences à venir, celle d’une législature ayant opté pour les malversations financières et la corruption comme mode de gouvernance de la République. De ce fait, les cent neuf députés qui ont apporté leur voix au 1er vice – président de l’assemblée nationale, porteront devant l’histoire, la nation tout entière et leurs électeurs, la lourde responsabilité d’avoir institutionnalisé les détournements de deniers publics, la gabegie, le clientélisme, le siphonages des crédits de l’Etat et la non – reddition des comptes à de nouvelles règles de gestion des finances publiques en République centrafricaine. Pourquoi ?

Tout simplement parce que ceux – ci se sont délibérément détournés de leurs pouvoirs de contrôle et de sanction à tout acte contraire aux nobles principes de la bonne gouvernance visant à garantir un bon système de gestion des finances publiques, dans toute société qui se dit et se veut démocratique, et dans laquelle tout citoyen en tant que contribuable a droit à la reddition de comptes de la part de toute autorité publique. En effet, conformément à la Loi organique n° 17.011 du 14 mars 2017, portant règlement intérieur de l’assemblée nationale en son article 128, qui dispose que : « L’Assemblée Nationale élit en son sein une Commission Spéciale de Comptabilité et de Contrôle composée d’un représentant par groupe parlementaire dont les attributions sont définies à l’article 129 », une Commission Spéciale de Comptabilité et de Contrôle dont les travaux se sont déroulés  du 02 juin au 26 octobre 2022, avait été créée et placée sous la  présidence du député Anatole NDEMAGOUDA-GBAGOT.

L’objet assigné à cette commission spéciale était d’identifier les entités, en fonction de leurs prérogatives, notamment ceux intervenant dans l’élaboration, le suivi et l’exécution du budget de l’Assemblée Nationale ; de se renseigner sur la procédure de l’exécution du budget de l’Assemblée Nationale depuis son élaboration jusqu’à l’apurement des comptes ; de réclamer les documents comptables pour une meilleur connaissance des données ; et d’auditionner tous les responsables intervenant dans les chaînes de dépenses. La conclusion du rapport de cette commission est sans appel et nécessite une clarification nette et précise de la part du 1er vice – président en sa qualité du responsable de l’administration :

« Après la mise en place de la commission Spéciale de Comptabilité et de Contrôle, elle a travaillé trois mois durant dans des conditions très difficiles et n’a même pas fait le travail de contrôle qui constitue l’une de ses missions prioritaires qui lui sont conférées par le Règlement Intérieur en son article 129. En dépit du refus catégorique du payeur et du Directeur Général des Finances, du Matériel et de la Logistique, la Commission a tablé sur le rapport de la questure et quelques documents des services financiers. Il en est ressorti des dépassements inédits ; les chiffres de la questure totalement différents de ceux de la Direction des Finances. Ce qui a amené la Commission à la conclusion selon laquelle il aurait des détournements sur toutes les rubriques depuis les évacuations sanitaires jusqu’aux salaires en passant par les missions et les frais de session. Ces détournements seraient la conséquence du dysfonctionnement dû au manque de contrôle réel de la questure aussi bien en amont qu’en aval. Cette hypothèse de détournement reste plausible à partir de la confiscation des justificatifs des dépenses par le payeur et le Directeur Général des Finances, du Matériel et de la Logistique, avec la complicité muette des collègues Députés Membres du bureau. Trois correspondances ont été adressées à cet effet au Président de l’Assemblée Nationale en vue de solliciter son pouvoir, mais elles sont restées lettres mortes. La Commission Spéciale de Comptabilité et de Contrôle accorde à titre exceptionnel le quitus à la questure. Cet accord exceptionnel n’est pas un chèque à blanc. Toutefois, la Commission, pour les prochaines fois sera trop regardante sur le contrôle et l’exécution du budget fait par la questure. Le travail de la Commission si superficiel soit-il a besoin de l’avis de la plénière afin qu’elle produise un bon rapport qui aiderait, la Commission en est persuadée, à la bonne gouvernance de notre noble Institution. »

Tout naturellement, la publication du Rapport des travaux de cette Commission Spéciale a soulevé un tollé dans la presse. Au lieu de convoquer immédiatement les hommes des médias afin d’informer le grand public et le peuple sur les nombreux cas d’irrégularités contenus dans ce Rapport, le bureau de l’assemblée nationale a préféré fort étonnement se taire. «  Le chien aboie, la caravane passe », n’est – ce pas ? Cependant, comme pour secouer le cocotier, à la veille de la rentrée parlementaire, le journaliste de RNL Igor Djeskin Sénépaye revient sur cette affaire. Dans un article intitulé « Centrafrique : les députés convoqués en session dans un contexte de forts soupçons de mal gouvernance », publié le mercredi 1er mars 2023, il interpelle les députés sur les accusations de mal – gouvernement révélées par cette Commission Spéciale, en ces termes :

« Depuis quelques mois, la gestion de l’Assemblée nationale souffre de transparence. Une note de son président, Simplice Mathieu Sarandji, a dénoncé en 2022, des missions parallèles qui échappent au contrôle du N°1 de l’institution ainsi que des appels de fonds qui n’ont pas respecté les règles de l’art.Selon certaines sources proches du parlement, le gouvernement décaisse mensuellement 75 millions de francs CFA pour le fonctionnement de ladite institution. Cependant, cet argent n’est pas utilisé à bon escient. Nos sources expliquent que pour preuve, les députés n’ont pas de toilettes répondant au critère d’une institution digne de ce nom.

Des dysfonctionnements observés

Le personnel travaille dans des conditions précaires faute d’accès à l’internet. L’institution est confrontée au manque de fournitures de bureau, au retard dans le paiement à terme échu de salaire. Pour illustration, en 2022, le bureau actuel a fait savoir aux députés que 10 mois de frais de fonctionnement n’ont pas été versés par l’Etat. Mais à la fin de l’année, le même bureau est revenu à la charge pour dire que la ligne concernée était déjà consommée. Cette situation a entraîné la mise en place d’une Commission de comptabilité et de contrôle, dirigée par le député de Bambari 3, Anatole Demagouda Gbago.

Toutefois, le rapport de cette commission, remis au bureau depuis le 21 octobre 2022, n’est pas présenté à la plénière jusqu’aujourd’hui. Une pratique en violation du Règlement intérieur de la Représentation nationale. Selon nos informations, les députés, membres de cette Commission, ont relevé des cas de détournement, corruption, trafics d’influence et malversations financières sur presque toutes les lignes du budget de l’institution. Cette session sera rude, car les députés, élus au bureau en mars 2022, doivent défendre leur bilan afin de convaincre leurs collègues s’ils souhaitent rester membres du bureau qui sera mis en place quelques jours après l’ouverture de cette session. »

La réaction du bureau de l’assemblée ne s’est pas fait attendre. Le jeudi 2 mars 2023, le 1er vice – président Evariste Ngamana prend une note de service faisant interdiction formelle au journaliste d’accéder au palais de l’assemblée nationale pour « Traitement partiel et diffusion de fausses informations ». A la veille du renouvellement du bureau, cette décision prise par le 1er vice – président, candidat à sa propre succession, sonne et résonne comme l’expression de la nature oligarchique du régime avec ses accointances mafieuses et les malversations financières de ses responsables au sein de l’appareil d’État qui nécessitait d’intimider le journaliste et de le réduire au silence. Car, par son article, le journaliste de RNL a effectivement voulu signifier aux plus hautes autorités de l’assemblée nationale et au responsable de l’administration que son « métier n’est pas de faire plaisir, non plus que de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie », ut dixit Albert Londres.

En effet, dans toute démocratie digne de ce nom, le parlement est censé contrôler l’exécution du budget de l’État via la loi de règlement. Celle-ci est l’une des trois types de lois de finances (initiale, rectificative) qui, à la fin de chaque exercice, permet d’arrêter le montant effectif des dépenses et des recettes de l’État et le résultat financier qui en découle. Autrement dit, c’est un bilan qui permet aux parlementaires d’apprécier la conformité de l’exécution au projet budgétaire qu’ils ont voté initialement. Et en ce qui concerne l’assemblée nationale, le bureau est tenu avant son renouvellement de faire le bilan de ses activités. Or, ces activités, s’agissant de la gouvernance de Evariste Ngamana sont émaillées « ….Des cas de détournement, corruption, trafics d’influence et malversations financières sur presque toutes les lignes du budget de l’institution ». Comment alors reconduire dans ses fonctions une autorité publique dont la gestion est manifestement et outrancièrement caractérisée par la mal – gouvernance, et qui refuse de se soumettre à l’exercice du noble principe de la reddition des comptes ?

Mais aussi invraisemblable et révoltant que cela puisse paraître, les cent neuf députés de la nation, en considération du fait majoritaire se traduisant par l’existence d’une majorité de parlementaires favorable à la politique de détournements et de mal – gouvernance, mise en place par le pouvoir, ont fort étonnement fermé les yeux sur ces graves anomalies et ont tourné le dos à leurs devoirs, pour lui redonner leur confiance.  Un vrai acte de forfaiture d’Etat. C’est à se demander tout simplement que valent les affaires politico-gouvernementales très lucratives pour les clans, à l’honneur, la dignité et au respect des règles du droit budgétaire et de la comptabilité publique ? Ne leur sont – elles pas bien supérieures ?

KassaMongoda

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici