CENTRAFRIQUE : QUAND LA VIOLATION DE LA CONSTITUTION DEVIENT UNE VERTU: CAS DES CHEFS D’INSTITUTIONS APOLITIQUES ET INDÉPENDANTS NOMMÉS DANS LA STRUCTURE POLITIQUE DÉNOMMÉE DIRECTION NATIONALE DE CAMPAGNE DU RÉFÉRENDUM CONSTITUTIONNEL

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CENTRAFRIQUE : QUAND LA VIOLATION DE LA CONSTITUTION DEVIENT UNE VERTU: CAS DES CHEFS D’INSTITUTIONS APOLITIQUES ET INDÉPENDANTS NOMMÉS DANS LA STRUCTURE POLITIQUE DÉNOMMÉE DIRECTION NATIONALE DE CAMPAGNE DU RÉFÉRENDUM CONSTITUTIONNEL
Par John-Christian DANGUIMBO et Gaëtan Judicaël YÉZO-SÉKÉLA
On croyait faire l’économie des joutes oratoires, des dénonciations, critiques et alertes de l’opinion tant nationale qu’internationale sur des cas de violations avérées ou présumées des textes et lois de la République dont singulièrement la constitution qui est la loi fondamentale du pays, à l’approche des quatre (4) grands évènements qui marquent la vie de la nation, à savoir:
-le référendum constitutionnel prévu pour le 30 juillet 2023;
-la fête de l’indépendance nationale dont le 63ème anniversaire de la proclamation aura lieu le 13 août 2023, soit deux (2) semaines après le scrutin référendaire;
-la fête de la proclamation de la République centrafricaine dont le 65ème anniversaire aura lieu le 1er décembre 2023; et probablement
– les élections municipales et régionales avant la fin d’année 2023.
Quand bien même toute consultation populaire comme le référendum ou les élections donnent toujours lieu à des polémiques politiquement correctes, on pouvait faire l’économie des critiques ou accusations ayant trait à ce qu’on appelle couramment « violations de la constitution », surtout si ces violations viennent des princes qui nous gouvernent dont par exemple le président de la République, chef de l’Etat, le gouvernement, les députés de l’Assemblée nationale et les chefs des institutions. On constate malheureusement qu’en l’espace de 2 semaines seulement il y a eu plusieurs cas de violations manifestes et caractérisées de la constitution et des lois de la République par les princes qui nous gouvernent. Voici quelques preuves.
PREMIER CAS DE VIOLATION DE LA LOI: LA NON ANNEXION DU PROJET DE NOUVELLE CONSTITUTION AU DÉCRET CONVOQUANT LE CORPS ÉLECTORAL POUR LE RÉFÉRENDUM CONSTITUTIONNEL
Par décret n°23.134 du 30 mai 2023, le président de la République centrafricaine a convoqué le corps électoral pour le référendum constitutionnel dont la date est fixée au 30 juillet 2023. On a constaté malheureusement qu’à la date de la convocation du corps électoral jusqu’à ce jour, le texte du projet de constitution, objet du référendum annoncé, demeure un mystère parce que les électeurs convoqués pour l’apprécier n’ont pas vu ni les yeux ni la couleur du texte qu’ils doivent apprécier.
Or, la loi n°23.003 du 13 janvier 2023, fixant les procédures référendaires en République centrafricaine, initiée par le gouvernement, adoptée par l’Assemblée nationale et promulguée par le chef de l’Etat, stipule en son article 6 que « Le projet ou la proposition de loi soumis(e) au référendum est annexé au décret de convocation du corps électoral », ce qui n’a malheureusement pas été fait. Il s’agit là ni moins ni plus que d’une violation de la loi référendaire qui tire sa légalité de la constitution, loi fondamentale du pays.
Si on attaquait ce décret devant la Cour constitutionnelle, on est sûr de gagner le procès à 100% et leur référendum constitutionnel n’aura pas lieu. Mais puisque la nouvelle Cour constitutionnelle présidée par M. Jean-Pierre Waboé n’est qu’un simple instrument au service du pouvoir et que le régime aux abois n’est capable que du mal et ne se rend pas compte que lui-même se fait du mal en se comportant ainsi, ça ne vaut pas la peine de saisir ce machin qui est devenu une institution beaucoup plus politique que juridique et judiciaire.
S’asseoir sur la constitution pour établir une nouvelle constitution en violant la constitution en vigueur est déjà un indicateur de tendance que celui qui a initié la nouvelle constitution ne la respectera jamais. N’y-a-t-il pas des hommes sans scrupule qui violent leur propre fille? Ça sera certainement le cas de ce que les princes qui nous gouvernent feront de leur propre constitution. Et on ira de violation en violation des textes dont nous nous sommes dotés nous-mêmes. Plus incestueux que les Centrafricains, on meurt. Jusqu’où ira cette pratique ?
DEUXIÈME CAS: DÉSIGNATION DU DIRECTEUR NATIONAL DE CAMPAGNE DU RÉFÉRENDUM CONSTITUTIONNEL PAR LE CHEF DE L’ÉTAT
Ayant peut-être tiré les leçons des terribles gifles que lui avait administrées la Cour constitutionnelle présidée par la brave et courageuse juriste Danièle Darlan qui avait invalidé tous les décrets relatifs au Comité de rédaction de l’avant-projet de nouvelle constitution, le président Touadéra a cru devoir changer de tactique. Il ne prend pas un décret pour nommer son homme à tout faire le député Evariste Ngamana comme directeur national de campagne du référendum constitutionnel, mais il lui envoie une simple lettre datée du 09 juin 2023 ayant pour Objet: Lettre de mission, le sollicitant pour piloter la direction nationale de campagne pour le référendum à venir.
Cette tâche aurait dû incomber au parti MCU dont il est le fondateur. Mais sa supercherie tombe sous le coup de l’éthique politique et des principes républicains et démocratiques pour deux raisons:
Premièrement, en sollicitant Evariste Ngamana en sa qualité de 1er vice-président de l’Assemblée nationale et donc ès qualité, le président Touadéra est bel et bien dans la posture institutionnelle car il sait que Ngamana représente une institution publique à savoir l’Assemblée nationale qui est par ailleurs la deuxième institution de la République après l’Exécutif. S’il était respectueux de l’éthique publique et des principes qui gouvernent la gestion des institutions de la République, il aurait dû laisser le parti MCU désigner en interne le directeur national de campagne référendaire.
Deuxièmement, ce faisant et même si ce n’est pas un décret qu’il a signé cette fois-ci, le président Touadéra a tout de même violé la constitution en faisant fi des décisions de la Cour constitutionnelle de 2020 et 2022 qui lui rappelaient constamment le serment qu’il avait prêté de respecter la constitution, de respecter le nombre et la durée de son mandat, de ne pas utiliser les prérogatives publiques à des fins personnelles. Or, en utilisant les sceaux de la République (armoirie et cachets présidentiels) pour demander au premier vice-président de l’Assemblée nationale de diriger la direction nationale de campagne référendaire, le président Touadéra s’est mis dans la posture de président de la République qui est une fonction officielle et constitutionnelle; il a donc violé la constitution et son serment. Il persiste ainsi dans l’erreur et surtout l’entêtement de ne point respecter la constitution sur laquelle il avait pourtant prêté serment. Ces subterfuges et supercheries sont faciles à éventrer.
TROISIEME CAS: EMBASTILLEMENT DE CERTAINS CHEFS DES INSTITUTIONS DE LA RÉPUBLIQUE DANS LA STRUCTURE POLITIQUE DÉNOMMÉE DIRECTION NATIONALE DE CAMPAGNE DU RÉFÉRENDUM CONSTITUTIONNEL
Nanti des pouvoirs qu’il croit détenir du chef de l’Etat qui l’a nommé par simple courrier comme Directeur national de la campagne référendaire, le député Evariste Ngamana, qui est tout sauf un professionnel du droit, va trahir à son tour la vraie moralité du régime Touadéra qui considère la constitution comme un simple chiffon de papier. En violation des pertinentes dispositions de la constitution, il va nommer des chefs d’institutions de la République pourtant apolitiques et indépendants, dans des commissions techniques et spécialisées à la Direction nationale de la campagne du référendum constitutionnel qui est, faut-il le rappeler, une structure politique, partiale et partisane, dont la mission est de faire triompher le OUI au référendum du 30 juillet prochain.
Ainsi, par décision n°003/DNC/P.023 du 10 juin 2023, le DNC référendaire Evariste Ngamana nomme les chefs des institutions suivantes:
1- M. Guy Eugène DEMBA, président de la Haute autorité chargée de la bonne gouvernance (HABG), au poste de vice-président de la Commission texte de la direction nationale de campagne, alors que l’institution qu’il préside est apolitique et indépendante de tout pouvoir et de toute influence politique (cf. article 147 de la constitution);
2- M. Alfred POLOKO TAINGA, président du Conseil économique et social (CES), au poste de président de la Commission communication de la Direction nationale de campagne référendaire, alors qu’en tant que chef de cette institution il doit préserver la neutralité et l’impartialité face à toutes questions et situations à caractère politique. Les attributions constitutionnelles du CES sont d’ailleurs très éloignées de la tâche que le pouvoir MCU vient de lui confier;
3- M. José Richard POUAMBI, président du Haut conseil de la communication (HCC), au poste de vice-président de la Commission communication de la Direction nationale de la campagne référendaire, alors que son institution et lui-même sont sommés par la constitution d’observer la neutralité, l’impartialité et l’indépendance par rapport à tout ce qui est politique et ne doivent pas appartenir à une structure pérenne ou temporaire à caractère politique. Et si un organe de presse battait campagne contre le référendum constitutionnel, M. Pouambi va-t-il le sanctionner ? Être juge et partie en même temps, voici la bêtise dans la désignation du chef du HCC dans la structure politique qui prône le OUI au référendum. Comble de bêtises !
Et voici les pertinentes dispositions de la constitution concernant ces trois personnalités qui doivent démissionner sans tarder et sans condition des institutions constitutionnelles qu’ils dirigent:
● S’agissant du Conseil économique et social
Art.130 : Le Conseil Economique et Social est une Assemblée consultative en matière économique, sociale, culturelle et environnementale.
(…)
Le Conseil Economique et Social est obligatoirement consulté sur tout plan ou tout projet de loi de programme d’action à caractère économique, social, culturel et environnemental.
Art.131 : Le Conseil Economique et Social donne son avis sur toute proposition et tout projet de loi, d’ordonnance et de décret ainsi que sur toutes mesures nécessaires au développement économique, social, culturel et environnemental de la République, qui lui sont soumis. Il peut être chargé de toute étude d’ordre économique, social, culturel et environnemental.
Il veille à un développement harmonieux et équilibré de toutes les régions de la République.
Observations: La mission dévolue par la constitution à M. Poloko est très éloignée de ce que le parti MCU, à travers Evariste Ngamana, lui demande de faire. La loi organique de l’institution est claire sur l’indépendance du CES. Or, en étant membre d’une structure politique qui défend un camp contre un autre, on est dans la dépendance, la partialité, la subjectivité.
● S’agissant de la Haute autorité chargée de la bonne gouvernance (HABG)
Art.147 : La Haute Autorité chargée de la Bonne Gouvernance est une institution indépendante de tout pouvoir politique, de tout parti politique, de toute association ou de tout groupe de pression.
Art.148 : Elle veille à la représentation équitable de toutes les régions de la République centrafricaine dans les institutions publiques et parapubliques.
Elle veille à proscrire toute gestion familiale, clanique, patrimoniale et partisane de la chose publique.
Observations: Les dispositions de la constitution sont claires: M. Eugène Demba doit purement et simplement démissionner de cette structure politique liée à la campagne référendaire pour conserver l’indépendance de l’institution et la sienne propre devant la politique. En cas de détournement ou de malversations des fonds publics mis à la disposition de sa commission, comment va-t-il faire ? Être juge et partie ?
S’agissant du Haut conseil de la communication
Art.136 : Le Haut Conseil de la Communication est indépendant de tout pouvoir politique, de tout parti politique, de toute association ou de tout groupe de pression.
Art.137 : Le Haut Conseil de la Communication est chargé d’assurer l’exercice de la liberté d’expression et l’égal accès pour tous les médias, dans le respect des législations en vigueur.
Art.141 : Les fonctions de membre de Haut Conseil de la Communication sont incompatibles avec l’exercice de toute fonction politique, administrative ou au sein d’un parti politique, de toute activité lucrative, de toute fonction de représentation professionnelle ou de tout emploi salarié, à l’exception de l’enseignement et de l’exercice de la médecine.
Observations : Si Evariste Ngamana et le président du HCC avaient lu la constitution, on n’aurait pas dû arriver à cette situation. Ils font comme si dans ce pays on ne pouvait trouver mieux en dehors du président du HCC dont les carences professionnelles sont pourtant connues au pays et à l’extérieur. On ne discute jamais des incompatibilités. On constate et on corrige en faisant amendes honorables ou en démissionnant. On ne peut pas être dans une institution publique indépendante, neutre et impartiale, et appartenir encore à une structure politique partisane, dépendante et politique. On doit choisir.
On le voit, la décision du député Ngamana, 1er Vice-président de l’Assemblée nationale et Directeur national de campagne du référendum constitutionnel, est un attentat contre la constitution en vigueur et indique s’il en est encore besoin que la nouvelle constitution à venir ne sera jamais respectée par ceux-là mêmes qui l’ont voulu, rédigé ou fait rédiger, défendu lors de la campagne référendaire et promulguée. Dès lors, en l’état actuel des choses, il n’est pas exagéré de dire que la République est en danger.
Prions pour que Dieu préserve ce pays de tout mal. En attendant, les trois chefs d’institutions nommés à leur demande au sein des commissions de la direction nationale de campagne référendaire, structure politique, doivent démissionner des institutions qu’ils dirigent depuis 6 ans ou de la structure politique engagée dans le parti pris pour le OUI à la constitution.
Ces chefs d’institutions de la République n’avaient-ils pas prêté serment ? Cela risque de se retourner contre eux. Tôt ou tard. Car ils ne peuvent pas imaginer comment ils sont devenus ridicules aux yeux du monde en acceptant de violer la constitution et le serment qu’ils avaient prêté, à cause des perdiems derrière lesquels les mauvaises langues les accusent de courir. Ils ont déjà grillé leurs cartes politiques.
Par John-Christian Danguimbo et Gaëtan Judicaël Yézo-Sékéla
Source: MEDIAS PLUS N°3017 du Mardi 20 juin 2023

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