Centrafrique : »Projet de modification de la Constitution »: Mesdames et Messieurs les Juges, prenez vos responsabilités, selon le président du Chemin de l’Espérance Abdoul Karim Méckassoua !

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NOTE À L’ATTENTION DE LA COUR CONSTITUTIONNELLE

Prise de  position du mouvement Le Chemin de l’Espérance, présidé par  Karim MECKASSOUA, ancien Ministre d’Etat, ancien Président de l’Assemblée nationale, relative à la loi modifiant et complétant certaines dispositions de la Constitution du 30 mars 2016.

Construire une espérance maintenant

Indéniablement, il y a une crise. Et cette crise est une injonction faite à chacun de nous, CENTRAFRICAINE, CENTRAFRICAIN d’être à la hauteur de la gravité du moment et de nos responsabilités pour agir et construire une ESPERANCE.

La santé et la sécurité de nos compatriotes sont la première et la plus absolue des priorités de notre vie nationale.

Elu de la Nation, je ne ménagerai aucune des investigations qu’il sera nécessaire de conduire pour constater et vérifier la manière dont le Gouvernement a préparé la lutte des Centrafricains contre la pandémie de Covid-19. Je le ferai dans un objectif d’amélioration de nos performances publiques. Mais je le ferai après cette crise sanitaire, après que tous nos efforts individuels et collectifs aient été jetés dans cette bataille.

Aujourd’hui le Covid-19 nous pose une question ESSENTIELLE, c’est le respect de la démocratie, pouvoir du peuple centrafricain, par lui et pour lui. C’est le respect des délibérations collectives. C’est le respect du droit par tous. C’est le geste tremblant de tout législateur devant toute modification de notre ORGANISATION CONSTITUTIONNELLE.

Dès mon élection à la tête de l’Assemblée Nationale en mai 2016, j’ai inscrit la défense de la constitution comme principe et guide de mon action.

Je m’étais opposé, déjà à cette époque, à toute modification de la constitution et cela a été interprété, en manipulant l’opinion, comme étant un conflit entre le Président de la République et le Président de l’Assemblée Nationale.

J’avais dit HAUT et FORT que Président de l’Assemblée Nationale je n’accepterai pas et je serai vigilant contre toute violation ou tripatouillage de la constitution.

Les divergences avec la Présidence de la République ont débouché sur le misérable putsch dont j’ai été victime en octobre 2018, en violation de la constitution du 30 mars 2016.

Depuis les masques sont tombés.

Aujourd’hui c’est pour moi un Grand honneur de me trouver pour la première fois devant la Haute Juridiction qu’est la Cour Constitutionnelle pour donner mon avis. Et, à cette occasion, je souhaite vous remettre une note qui a pour objet de vous présenter la position du Mouvement Le Chemin de l’Espérance, relative à la loi modifiant et complétant certaines dispositions de la Constitution du 30 mars 2016.

I-      LES DOMAINES DE LA RÉVISION

D’abord, l’initiative de révision de la Constitution intervient dans un contexte national marqué d’une part par la fragilité des accords de consolidation de la paix et d’autre part, par la proximité des élections présidentielles et législatives. Il est aussi important d’avoir à l’esprit, qu’à l’instar de tous les États, la République Centrafricaine fait face aux défis sanitaires de la pandémie du COVID 19 et aux chocs sociaux qu’elle provoque. Il apparaît ainsi, au prime abord, que le contexte national n’est pas, à proprement parler, favorable à l’engagement d’un processus de modification de la loi fondamentale de notre pays. Ce type de processus, s’il n’est pas accompagné d’un consensus global des forces vives de la Nation, est susceptible d’exacerber les vieilles divisions et d’affecter encore un peu plus la stabilité de l’État.

Ensuite, les facteurs de la gravité de cette révision annoncée de la Constitution sont relatifs au contenu même de la loi constitutionnelle. En effet, les matières modifiées par la loi constitutionnelle sont suffisamment sensibles et graves. Cette révision concerne clairement les deux institutions politiques majeures de notre édifice constitutionnel : Le Président de la République et l’Assemblée nationale. Leur mandat qui est indirectement touché et la possibilité d’alternance politique peuvent se trouver obstrués par les alinéas complémentaires qui sont ajoutés au texte initial.

II-    LES RISQUES DE LA RÉVISION

Dans le fond, cette initiative de révision présente des risques évidents et expose la République à l’incertitude de l’usage que les politiques en feront dans les années à venir.

Premièrement, pour l’élection du Président de la République, l’article 36 nouveau introduit la notion de « cas de force majeure » comme un facteur de blocage potentiel du processus de renouvellement du mandat du Président de la République. Cette option est risquée, car un Chef d’État mal intentionné ou désireux de s’accrocher au pouvoir, peut se fonder sur cette disposition pour se maintenir dans ses fonctions au-delà du terme normal de son mandat. Pour cette éventualité, il lui suffira d’entretenir, de susciter et d’exploiter la survenance du « cas de force majeure » pour justifier l’impossibilité de la tenue des élections et donc la rallonge du mandat présidentiel en cours.

Deuxièmement, le même raisonnement peut être mené au sujet des élections législatives. Ainsi, pour maintenir en fonction des députés et prolonger une législature, une majorité politique peut prétexter d’un « cas de force majeure » et obstruer le processus électoral.

Troisièmement, cette révision constitutionnelle peut sembler se justifier en raison des conséquences sanitaires de la pandémie du COVID 19 et des ajustements politiques et institutionnels qu’elle induit. Seulement, l’idée de constitutionnaliser le « cas de force majeure », ouvre au cœur du constitutionnalisme démocratique un front susceptible d’être mobilisé contre l’alternance. Cette possibilité du « cas de force majeure » est une arme qui peut être braquée contre l’alternance et aider à faire échec au renouvellement des institutions démocratiques.

C’est pour cette raison que, malgré les garde-fous, notamment l’intervention prévue de la Cour constitutionnelle pour se prononcer sur « la force majeure », le mouvement Le Chemin de l’Espérance émet des RESERVES FERMES pour ne pas dire plus sur la pertinence de cette modification. En conséquence, notre Mouvement DECONSEILLE  au Chef de l’État ainsi qu’à la majorité parlementaire, de recourir à de telles dispositions « crisogènes » dont l’usage est incertain dans l’avenir.

 III- EN GUISE DE PROPOSITIONS

Au regard de cette brève analyse, le mouvement Le Chemin de l’Espérance invite la Cour constitutionnelle ainsi que la classe politique à explorer les pistes ci-après :

La 1ere, c’est de renoncer à toute révision conjoncturelle ou opportuniste de la Constitution. La Constitution de la République centrafricaine a à peine, cinq (5) ans. Il serait judicieux que les acteurs politiques et les institutions de la République lui laissent le temps de la maturité, qu’ils prennent le temps de la connaître, de l’appliquer, de la roder afin qu’elle murisse et s’adapte à son temps, au pays et peuple qui l’appliquent.

La 2ème, c’est de privilégier le consensus politique pour faire face aux ajustements politiques et institutionnels que les circonstances actuelles peuvent nécessiter. Les forces vives de la Nation doivent être capables de s’asseoir autour d’une même table pour trouver des solutions consensuelles aux défis actuels.

La 3ème, c’est qu’il me semble sage, dans les circonstances actuelles, de faire jouer à la Cour Constitutionnelle, son rôle de régulateur du fonctionnement des institutions. Dans cette optique, et comme il est de tradition, la Cour constitutionnelle devrait être invitée à apprécier la situation et à prescrire, en conséquence aux acteurs, les mesures et dispositions exigées, sans qu’il soit nécessaire d’instrumentaliser ou de manipuler la Constitution.

Y a-t-il une fatalité en RCA pour qu’on ne respecte pas ce qui a été décidé démocratiquement ? Où est le droit où est la démocratie si on change la loi fondamentale au gré des intérêts particuliers ? La RCA est un Etat de droit. Nous avons une occasion historique de donner l’exemple d’un pays qui n’est pas en proie aux ambitions de ceux qui ne voient dans les institutions qu’une façon de trahir le peuple. La stabilité juridique est un marqueur de maturité.

Aujourd’hui les vrais démocrates, les démocrates authentiques doivent se manifester, aujourd’hui c’est soit un grand jour d’espoir, soit un jour de tristesse. Prenons nos responsabilités à la face du monde. Mesdames et Messieurs les Juges, prenez vos responsabilités !

 

Fait à Bangui le 28 Mai 2020

La rédaction

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