Centrafrique : pourquoi nous devons mettre un terme au « Mercato » des députés

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Dans un article intitulé « Centrafrique : le Gangster de Bangui et le MCU lancent le marché des transferts des députés indépendants », publié le 25 mars 2021, nous avons alerté l’opinion nationale sur le lancement des opérations de débauchage des députés nouvellement élus, après les catastrophiques et honteuses élections du 27 décembre 2017, par le Gangster de Bangui pour le compte de son parti « MCU ».

Cette mission a été confiée à un certain Magloire – Ghislain Makango, député de la circonscription de Mbaïki 5, membre de la majorité parlementaire présidentielle, qui assume à la fois les fonctions de 3ème questeur à l’assemblée nationale. Pour ce faire, selon les méthodes d’achats des députés et de débauchage de certains cadres de leur parti, telles que conçues et expérimentées de manière décisive par Stève Koba, Mathurin Emmanuel Dimbélet Nakoé et Jean – Symphorien Mapenzi, pendant cette 6ème législature qui va finissant, tout a été mis en œuvre pour que leur successeur disposât à portée de la main d’un sac -banco plein de jolis et craquants billets de banque. Mais, alors que nous nous attendions tout naturellement à un vif et instantané tollé de réactions face à cette manière immorale dorénavant institutionnalisée de faire, grande a été notre surprise d’assister plutôt à un silence assourdissant de la part des uns et des autres tant sur le plan intérieur que dans les différents milieux de la diaspora. Un silence complice et coupable qui se résume tout simplement à un acte de résignation et de démission face à une véritable entreprise de déstabilisation des fondements de notre jeune démocratie.

 

En effet, s’il y a aujourd’hui un redoutable ennemi commun contre lequel tout l’ensemble du corps social, à savoir partis politiques, société civile, confessions religieuses, syndicats, organisations de femmes, associations de la jeunesse, organisations de défense des droits de l’homme et médias publics et privés, doit se lever comme un seul homme, c’est bel et bien le nomadisme ou la transhumance politique ; ce que nous avons appelé « Mercato » ou « Transfert des députés ». Réintroduit au sein de l’assemblée nationale par le Gangster de Bangui dès sa prise de fonction en 2016, après la douloureuse et très malheureuse expérience de Koudoufara, député du PDS, au lendemain des élections de 1999, qui a permis au MLPC d’obtenir la majorité parlementaire, cette pratique amorale et honteuse qui consiste, au moyen de l’argent et/ou de nominations, à débaucher ou acheter des députés et des cadres d’un parti politique, dans le but de les inciter à quitter leur organisation pour rallier le parti au pouvoir, a été institutionnalisée tout au long de la 6ème législature. Sa mise en œuvre systématique et systémique a été justement à l’origine, d’abord, de la modification des dispositions de la loi organique n°17.011 du 14 Mars 2017, portant  Règlement Intérieur de l’Assemblée Nationale, relatives à l’interdiction de toute transhumance d’un député élu appartenant à un parti politique, sous préjudice de perte de son siège, ensuite, de la mise en accusation et la destitution de l’ancien président de l’assemblée nationale Abdoul Karim Méckassoua, enfin, au regard de l’article 60 de la constitution, du transfert de la compétence exclusive de l’assemblée nationale, en ce qui concerne son autorisation préalable avant la signature de tout contrat relatif aux ressources naturelles ainsi que des conventions financières, au profit du seul bureau de l’assemblée nationale.

Si les projets de loi portant modification de la constitution du 30 mars 2016 et du code électoral, à l’initiative des députés de la majorité présidentielle parlementaire conduits par Jean Symphorien Mapenzi et Mathurin Emmanuel Dimbélet Nakoé en vue de proroger les mandats présidentiel et parlementaire, ont échappé grâce à la vigilance des députés de l’opposition, en dépit d’importants moyens financiers mis en jeu pour les corrompre, aucune adoption ou aucun vote de projet de loi n’a été cependant obtenu, au cours de ce mandat, sans l’achat de conscience de nos honorables devenus entretemps déshonorables du fait de leur goût immodéré à la cupidité, la corruption et à l’argent. A ce sujet, selon de fracassantes révélations faites par le 1er vice – président de l’assemblée nationale Jean Symphorien Mapenzi, l’un des stratèges du parti – Etat dénommé « MCU », qui n’était pas allé avec le dos de la cuillère pour l’affirmer dans une bande sonore, tous les votes des projets de loi de finances de 2016 à ce jour, ont été monnayés par le ministre des finances et du budget. Une grave accusation qui aurait dû faire l’objet d’une investigation par une commission d’enquêtes parlementaire, si les parlementaires n’étaient pas effectivement inféodés au pouvoir et corrompus.

Ceci étant dit, qu’en est-il des conséquences de ce phénomène sur la jeune démocratie centrafricaine, la séparation des pouvoirs, la vie politique nationale, en termes de stabilité, de fonctionnement du parlement, de l’observation des règles de la bonne gouvernance et de la transparence, et des dispositions de la loi sur les partis politiques ? Les députés sont-ils désormais nommés, et le sont-ils à des fonctions honorifiques ? Comment comprendre l’abandon d’une mission basée sur la confiance de citoyens ? Comment qualifier autrement la rupture unilatérale d’un contrat, même s’il est moral ? Que dire de la programmation, confortable, d’abandon d’une mission basée sur le choix des électeurs qui, eux, ne peuvent y mettre un terme légalement ? Quelle que soit la solidité des raisons généralement évoquées par les uns et les autres pour soutenir cette migration politique, il n’y a pas de mot plus juste et plus grave pour la qualifier que la trahison. Car, en quittant leur organisation politique et en abandonnant du coup leurs électeurs, ceux – ci ont mis un terme unilatéralement au contrat qui les liait, sacrifiant au passage notre « démocratie » sur l’autel de leurs intérêts personnels, et doivent être astreints, par conséquent, à les dédommager à un prix élevé. Comme des militaires déserteurs en temps de guerre, ils sont passibles du poteau d’exécution.

C’est ce que confirme le président de l’Association « Citoyens Acteurs » Yves Delafon dans sa Tribune « Du nomadisme électoral : la rupture immorale du contrat avec les citoyens », en ces termes : « ils sont élus au suffrage universel direct, sur la base d’engagements personnels et collectifs. Ils représentent le Peuple qui leur confie l’exercice de sa souveraineté pour une durée de cinq ans. A ce titre, ils votent les lois et contrôlent le gouvernement. Ce qui est tout, sauf honorifique. Lors des législatives, il y a formation d’un contrat entre le député élu et les électeurs. Si le premier promet son temps et son énergie pour l’objet et la durée de la mission qui lui est confiée, les seconds acceptent de ne pas contester la légitimité du mandat qu’ils lui donnent, majoritairement, librement et consciemment, pour le temps de la législature. C’est ainsi que fonctionne notre démocratie ».

Mais, cette analyse doit être relativisée, si les députés mis en cause n’appartiennent pas à un parti politique et agissent en indépendants. Malheureusement, c’est de ce type de variant dont souffre actuellement et cruellement la République centrafricaine. Cette question qui tire sa substance de la « possession » du mandat électoral a souvent été discutée par le passé sans qu’aucune réponse définitive n’ait été proposée et apportée. Compte tenu de son développement dans les pays francophones, la Commission des Affaires Parlementaires de l’APF en avait fait le thème de sa réunion du 19 au 20 mars 2012 tenue à Vancouver au Canada. A l’issue des travaux, le concept de libre mandat des députés qui prévaut dans certaines sociétés démocratiques contemporaines, a retenu l’attention des participants. En bref, tout la différence entre le mandant représentatif et le mandat impératif. En effet, la Constitution établit que les citoyens, indépendamment du mode de scrutin de l’élection des députés, élisent des députés en tant que leurs représentants et non des représentants des partis politiques. Ainsi, le mandat obtenu des citoyens n’appartient qu’au député. Le député représente donc tous les citoyens de la République et pas seulement ceux de son électorat, il a pleine liberté de décider selon ses convictions. Dans l’hypothèse de l’application de ce concept de libre mandat parlementaire, le nomadisme politique ne ferait pas perdre son mandat au député nomade. Cependant, on peut arguer que les députés sont d’abord élus en fonction de leur appartenance politique et de leur adhésion aux idées défendues par ce dernier. Preuve en est qu’il est très rare que des candidats indépendants obtiennent un mandat parlementaire dans les « Grandes Démocraties », sauf en Afrique, en général, et en Centrafrique, en particulier. Ce qui est tout à fait justifié dans la mesure où les élus ont un devoir moral envers leurs électeurs, De ce fait, et il leur est inconcevable de quitter leur parti politique et rejoindre un autre, sans être d’abord retournés devant leurs citoyens pour se faire réélire.

C’est dire donc que la situation est grave et mérite qu’on y prête davantage attention pour éviter de ressembler à ceux dont on dit par ailleurs « qu’ils sont nés avant la honte ! » Et pourtant, tous les apprentis de la politique ont lu Michel ONFRAY qui, de façon lapidaire mais juste, soutient que « la politique, c’est de l’éthique et l’éthique c’est de la politique ». Autrement dit, en politique il s’agit de dégager des normes de justice sociale, des règles pour l’éthique de la vie en commun, des procédures assurant la justice, la bonne gouvernance, la transparence, la séparation des pouvoirs et l’indépendance des institutions nationales. Au nom, donc, de ces valeurs pour lesquelles se sont battus les artisans de notre démocratie en 1990, et face aux dérives autoritaires du Gangster de Bangui, il est urgent que les Centrafricains se lèvent pour exiger le retrait de ces dispositions du règlement intérieur de l’assemblée nationale et obtenir la modification de la constitution en ce qui concerne exclusivement le statut du député.

Jean – Paul Naïba

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