Centrafrique : pourquoi l’opposition dénonce un « coup d’État constitutionnel » ?

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Centrafrique : pourquoi l’opposition dénonce un « coup d’État constitutionnel » ?

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Faustin Archange Touadéra

Le président centrafricain Faustin Archange Touadéra annonce un référendum pour une nouvelle Constitution, le 30 mai 2017.

La Renaissance / AFP
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Faut-il changer la Constitution de 2016 en République centrafricaine ? Le président Faustin Archange Touadéra a tranché, le 30 mai, en annonçant un référendum prévu le 30 juillet sur un nouveau projet de Loi fondamentale. Un référendum « illégal » selon l’opposition qui dénonce une tentative du chef de l’État de briguer un troisième mandat.

« Le peuple est au-dessus de la Constitution. Président démocratiquement élu, je ne peux rester insensible aux demandes pressantes et légitimes du peuple souverain de doter notre pays d’une nouvelle Constitution ». C’est par ces mots, dans un message vidéo diffusé sur les réseaux sociaux le 30 mai, que le chef de l’Etat centrafricain Faustin Archanhe Touadéra justifie sa décision d’organiser un référendum constitutionnel, le 30 juillet 2023.

L’annonce, qui se veut solennelle, n’a surpris personne. En revanche, elle a suscité une vague de condamnations dans l’opposition centrafricaine qui dénonce une volonté du chef de l’Etat de briguer un troisième mandat de cinq ans en 2025, ce que lui interdit l’actuelle Constitution datée du 30 mars 2016, dans un contexte de guerre civile meurtrière. Cette Constitution est celle sur laquelle le président Touadéra a prêté serment la même année, lors de son premier mandat, comme il le rappelle lui-même, puis en 2020 pour son second mandat.

Guerre civile en République centrafricaine

Une guerre civile très meurtrière avait éclaté en 2013 quand une alliance rebelle dominée par les musulmans, la Séléka, a renversé le président centrafricain François Bozizé au pouvoir depuis dix ans. Ce dernier a mobilisé des milices d’auto-défense à majorité chrétienne et animistes, les anti-balakas, pour tenter de reprendre le pouvoir.

La France, l’ex-puissance coloniale, s’était déployée face aux violences intercommunautaires à travers l’opération Sangaris de 2013 à 2016, des dizaines de soldats français sont restés par la suite.

Des milliers de civils ont été massacrés jusqu’au paroxysme de la guerre en 2016 et l’ONU a accusé Séléka et anti-balakas de crimes contre l’Humanité, malgré la présence d’une importante force de maintien de la paix de Casques bleus.

En 2020, les plus puissants des groupes rebelles, qui occupaient alors plus des deux tiers du territoire, se sont rassemblés pour lancer une vaste offensive sur Bangui.

M. Touadéra a appelé Moscou à la rescousse de son armée démunie et des centaines de mercenaires de la société de sécurité privée Wagner sont venus renforcer des centaines déjà présents depuis 2018.

Ils ont permis de sauver le régime et de repousser les rebelles de la majeure partie des territoires qu’ils occupaient et qui mènent désormais des opérations de guérilla.

En 2021, la coopération militaire entre Paris et la RCA avait été suspendue, les ultimes militaires français présents sont partis en décembre 2022.

S’il ne dit mot sur le contenu du projet de nouvelle Constitution, en revanche le président énumère certaines critiques sur l’actuelle Loi fondamentale. « Insuffisante », selon ses mots, elle « comporte des dispositions qui pourraient compromettre le développement économique, social, culturel et politique de notre pays » et n’offre « pas de solution appropriée aux causes des conflits militaro-politiques récurrents ».

Cette Constitution est pourtant défendue ardemment par une coalition de partis d’opposition intitulée le Bloc Républicain pour la Défense de la Constitution (BRDC). Dans une interview accordée au média centrafricain Corbeau News, le député centrafricain et ex-Premier ministre Martin Ziguélé veut prendre aux mots le président. « Au BRDC, nous posons la question au pouvoir, comme la majorité des Centrafricains : Quelles ont les dispositions de la Constitution du 30 mars 2016 qui empêchent au Président Touadéra de construire les routes et les ponts dans tout le pays comme il l’a promis pendant ses deux campagnes électorales ? (…) de construire des écoles, des hôpitaux, des universités, de relance les filières coton, café et cacao ? (…) de faire sortir la RCA du dernier rang de l’Indice du Développement Humain du PNUD ? (…) de lutter efficacement contre la corruption endémique qui siphonne les maigres ressources de l’Etat ? ». Et Martin Ziguélé de dénoncer un « coup d’État institutionnel ».

Cetrte critique est partagée par un autre opposant résolu au régime du président Touadéra, le juriste Jean-François Akandki-Kombé. Ce professeur de droit l’université Paris 1 Panthéon Sorbonne défend lui aussi cette Constitution de 2016 lourde de symbole à ses yeux. « [Elle] est la seule de notre histoire depuis l’indépendance où les Centrafricains de toutes les provinces ont pu participer. Ils y ont participé lors du Forum de Bangui dans des conditions difficiles, avec de la violence et des morts lors du référendum constitutionnel. Il s’agit non seulement de la volonté des Centrafricains mais aussi de leur sang ».

Avec d’autres, ce juriste a saisi la Cour constitutionnelle qui, le 29 août 2022, lui a donné raison en déclarant « contraires à la Constitution et nuls les actes gouvernementaux organisant la vente de la nationalité, du sol et du sous-sol centrafricains dans le cadre de l’exécution de la loi régissant la cryptomonnaie en République centrafricaine ». Un coup dur pour le régime.

Le coup de grâce est tombé le 23 septembre suivant, avec l’annulation par la Cour constitutionnelle des décrets organisant la rédaction d’une nouvelle Constitution par un Comité de chargé de rédiger le projet, mais aussi statuant que « toute révision ne peut être entamée qu’après la mise en place du Sénat ».

Mais rien ne semble pouvoir enrayer la volonté du régime centrafricain du président Touadéra de changer la Constitution. « Le processus voulu par le président a été ralenti en 2022 par la décision de la Cour constitutionnelle. Le président centrafricain a dû se débarrasser de la présidente de la Cour constitutionnelle », résume Thierry Vircoulon, Coordinateur de l’Observatoire pour l’Afrique centrale et australe de l’Institut Français des Relations Internationales. La présidente de la plus haute juridiction centrafricaine, Danièle Darlan, est mise à la retraite par décret présidentiel. Elle est remplacée en novembre par son propre vice-président Jean-Pierre Waboé. « L’éviction de Danièle Darlan était illégale mais je n’ai rien à y voir », se défend ce dernier dans un entretien à Jeune Afrique où il dit se donner pour mission « la reconquête de la légitimité » de la Cour constitutionnelle dont les décisions ne font l’objet d’aucun recours.

Force est de constater que, en dépit de sa décision du 23 septembre 2022, l’institution remaniée n’a pas contesté l’annonce par le président Touadéra de la date d’un référendum sur un projet de Constitution. Le président dit s’appuyer sur « l’article 90 de la Constitution du 30 mars 2016 et l’article de la loi du 13 janvier 2023 fixant les procédures du référendum en République centrafricaine ».

Cette dernière loi, adoptée en décembre 2022 par une Assemblée nationale largement acquise à la majorité, a été validée par la Cour constitutionnelle. Mais l’institution « n’a plus de légitimité à nos yeux, conteste Jean-François Akandji, ni pour dire la Constitution, ni en tant que juge électoral impartial ». 

Dans ces conditions, l’opposition n’a guère de recours. « Le recours international au Comité des droits de l’Homme ne sert à rien compte tenu des délais et de la situation d’urgence en République centrafricaine », déplore ce juriste et opposant qui préside le groupe d’un « Conseil de Résistance et de Transition réunissant des citoyens centrafricains partout dans le pays et dans la diaspora ».

Sollicité par TV5MONDE pour une réaction, le gouvernement centrafricain n’a pas donné suite à notre demande d’entretien.

Le pays toujours fracturé par un conflit armé, avec une partie du territoire contrôlé par des rebelles, se trouve dans une impasse. En dépit des déclarations du président Touadéra qui assure que le projet de nouvelle Constitution garantirait l’alternance politique, la République centrafricaine rejoint le club des pays africains minés par la question d’un troisième mandat, source d’instabilité voire de changements inconstitutionnels dans un passé récent. Un cycle duquel la République centrafricaine n’est peut-être pas sortie à en croire le chercheur Thierry Vircoulon qui rappelle à cet égard que « l’ex-président Bozizé a été renversé car il voulait un troisième mandat, c’est la preuve que les présidents centrafricains n’apprennent rien des leçons de l’histoire ».

L’ex-président François Bozizé en exil

En tant coordinateur de la la Coalition des Patriotes pour le Changement (CPC), l’ex-président François Bozizé (2003-2013) est l’un des principaux chef de la rébellion centrafricaine. Il a quitté le Tchad début mars 2023 où il était exilé pour la Guinée-Bissau qui a accepté de l’héberger.

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