CENTRAFRIQUE: POURQUOI LE RÉGIME TOUADÉRA MARGINALISE-T-IL LA SOCIÉTÉ CIVILE DANS LA RECHERCHE DE SOLUTIONS A LA CRISE ACTUELLE?

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La table ronde de Khartoum ne cesse de créer des surprises au peuple centrafricain. On se souvient que les groupes armés qui s’y étaient rendus, nantis des revendications très musclées avec pour objectif principal l’amnistie inconditionnée et la gestion des grands ministères, sont aujourd’hui les maîtres du terrain malgré leurs menaces de retrait de l’accord. Cependant, la grande surprise est du côté de la société civile qui est mise de côté par le régime Touadéra. Sans motif. Non représentée dans le gouvernement Ngrébada, elle est écartée de la rencontre d’Addis Abéba consacrée, dit-on, à la première évaluation de l’état de mise en œuvre de l’accord de Khartoum. Et le peuple dans tout ça !
Comme des bœufs que l’on traine à l’abattoir, les Centrafricains ont été présents à Addis-Abeba pour faire du théâtre dans le processus de reconstruction de leur propre pays livré en pâturage par certains fils imbus du clanisme et traîtres, car ayant vendu le pays à des étrangers prédateurs, éventreurs et égorgeurs. Faut-il encore accuser la France dans la mise en place de gouvernement sur la base de positionnement du parti-Etat MCU pour les prochaines élections de décembre 2020? Or, la crise centrafricaine a une piste de sortie si la volonté du régime en place était manifeste.
Beaucoup d’observateurs de la vie politique centrafricaine jugent anormal le fait de faire déplacer les Centrafricains sur une terre étrangère pour discuter des problèmes de leur propre pays. Ils qualifient cette attitude d’«immaturité politique » des autorités et leaders politiques centrafricains et pensent que les accords signés à l’extérieur ou négociés hors des frontières centrafricaines sans la bénédiction des ancêtres ne produiront jamais des fruits escomptés. Pour preuve, le dernier accord paraphé à Khartoum capitale du Soudan le 04 février dernier est la nouvelle source des problèmes du pays. Car, les facilitateurs de cet accord n’ont pas eu le temps d’analyser le degré de moralité politique des différents signataires dudit accord.
Comme on le sait, la crise militaro-politique qui perdure dans le pays s’origine de la politique d’exclusion des régions entières du pays par le régime Bozizé qui ne privilégiait que les ressortissants de sa propre région, ceux des régions de culture et de langue assimilées aux siennes, et des militants de son parti, le KNK. De surcroît, les partisans de Bozizé se permettaient de narguer les natifs et ressortissants des régions exclues, allant jusqu’à les traiter de «sous race», de «sous ethnie», de «minorités sociales», d’«éternels accompagnateurs», etc. Et puisque dans ce pays les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets, la partie gouvernementale qui devrait avoir plus de fonction régalienne dans la protection des personnes et des biens, a brillé par la violation grave de cet accord dans la mise en place du gouvernement qui devait pourtant être inclusif comme stipulé à l’Article 21 de l’Accord.
Comme on le sait, la plupart des leaders des groupes armés n’ont pas le bagage intellectuel qu’il faut, l’expérience de gestion des affaires publiques, la compétence sinon la culture administrative et institutionnelle suffisante pouvant convaincre le peuple qu’ils sont à même de relever les défis actuels. Aussi, toutes les préfectures et les groupes politiques et la Société civile ne sont pas représentés dans le gouvernement. D’où le sentiment largement partagé du pouvoir qui aurait dupé les parties signataires de l’accord et le peuple sur le concept de gouvernement inclusif, synonyme d’«union nationale». Le commun des Centrafricains se demande encore qu’est-ce qu’un gouvernement inclusif? Est-ce celui où on reprend les mêmes et on recommence?
Dès l’annonce officielle du gouvernement Ngrébada dans sa première version du 03 mars 2019, le constat est que le camp Touadéra s’est taillé la part du lion avec 26 postes ministériels sur les 36 que comptait ce nouveau gouvernement dit inclusif. Plus grave, 4 préfectures (Sangha-Mbaéré, Nana-Mambéré, Haute-Kotto, Haut Mbomou) et les organisations de la Société civile ne sont pas représentées dans le gouvernement, en violation du principe d’inclusivité consacrée dans l’accord de Khartoum et du simple bon sens. Cette manière de créer toujours des frustrations au point de développer la haine contre les autres ethnies et régions marginalisées au détriment des autres qui vivent dans l’opulence est souvent à l’origine des crises dans ce pays.
Ce qui choque dans tout cela c’est le fait que ceux qui ont pillé ce pays, qui ont massacré les populations civiles innocentes, ont incendié les maisons et les villages, sont dans ce gouvernement alors que la Société civile qui lutte chaque jour pour la paix et la réconciliation est totalement exclue de cette course, et les victimes parmi lesquelles plusieurs compétences avérées sont oubliées. En voyant leurs bureaux nommés ministres, elles n’ont que leurs yeux pour pleurer. Quel paradoxe ! Du coup, l’on trouve une Centrafrique avec un régime qui a montré toutes les couleurs en peu de temps.
A dire vrai, le président Touadéra s’oppose à la contribution de la société civile et de certains partis politiques pour la résolution de la crise centrafricaine, démontrant ainsi son mépris pour le peuple. Car en démocratie, la société civile est la meilleure défenseure des intérêts des populations, clé de voûte du règlement des conflits et de tout développement du pays. Car la société civile au même titre que les partis politiques anime aussi la vie sociale, politique, culturelle et économique du pays, à travers ses idées, ses prises de position, ses interpellations, ses critiques et diverses activités de sensibilisation, d’information et de formation qu’elle mène auprès des populations, des pouvoirs publics et des partenaires nationaux et internationaux. Elle est la voix du peuple, la voix des sans voix. Dès lors, la société civile devrait être associée à tout débat et toute initiative qui prend en compte la population.
Malheureusement, ceux qui sont au pouvoir et qui se font des donneurs de leçons de démocratie ne respectent pas ces règles élémentaires du jeu démocratique. Ils se lancent dans les manœuvres de manipulation pour se maintenir au pouvoir aussi longtemps que possible.
Aujourd’hui, Touadéra et les siens estiment que la société civile et les partis politiques d’opposition démocratique sont des obstacles pour sa réélection en décembre 2020 et qu’ils seraient au service des puissances occidentales pour semer les troubles dans le pays. De ce point de vue, il faudrait absolument les écarter des négociations. Malheureusement, une telle conception a toujours été à l’origine des crises centrafricaines.
Dans le souci de redorer l’image du pays mise à mal par le gouvernement exclusif, les partenaires internationaux ont invité toutes les parties signataires de l’Accord de Khartoum dans la capitale éthiopienne pour évaluer le schéma parcouru depuis la signature dudit accord, chercher à comprendre les causes du mécontentement de certains, les amener à accorder les violons et à plus d’honnêteté et de sérieux dans les engagements pris. Un compromis dynamique devra absolument être trouvé et le président Touadéra signataire de l’accord devra tout faire pour rétablir la paix dans son pays en mettant en place un vrai gouvernement inclusif, c’est-à-dire qui renferme toutes les préfectures centrafricaines, toutes les couches sociales, tous les groupes armés, toutes les forces vives de la nation dont la société civile, vecteur de la culture de la paix, de l’unité, de la cohésion sociale et de la réconciliation nationale, sentinelle de la constitution, des lois et règlements de la république.
Malheureusement, le rendez-vous d’Addis Abeba n’a été que la consécration de l’illégalité et de l’impunité en Centrafrique, avec des groupes armés qui sont par nature informels et illégaux car non reconnus par un acte du ministère de l’Administration du territoire, de surcroît remplis de criminels impénitents, qui ont été à l’honneur et qui entrent en force dans le gouvernement, alors que les organisations de la société civile officiellement reconnues par l’Etat sont écartées. Quel intérêt Touadéra a en poussant tout le monde à devenir rebelle dans le pays? Qui vivra verra.
Wait and see.
Passi Kôdro
Source: MEDIAS+

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