Centrafrique : pourquoi le ministron Rufin Bénam Beltoungou a pris un arrêté portant suspension de la délivrance de permis d’exploitation semi – mécanisée aux sociétés minières 

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Par un arrêté n°145 du 19 septembre 2023, le ministron Rufin Bénam Beltoungou a suspendu la délivrance de permis d’exploitation semi – mécanisée aux sociétés minières, sur toute l’étendue du territoire national jusqu’à nouvel ordre, pour motifs de destruction de l’environnement, d’utilisation des produits chimiques toxiques et prohibés, de non – respect de cahier de charge et de non – respect des directives administratives. Il a instruit, par conséquent, l’inspecteur général des mines et de la géologie, le directeur général des mines, le directeur général de la gendarmerie, le directeur général de la police nationale et le directeur de l’unité spéciale anti – fraude de l’application  stricte des dispositions de cet acte administratif.

Loin de vouloir remettre en cause les raisons ayant sous – tendu à l’adoption de cette mesure, telles que soulevées et énumérées ci – dessus par le ministron Beltoungou, il y a lieu de reconnaître, en réalité, que c’est incontestablement en réponse à la pollution de la rivière Ouham tant à Bozoum dans la préfecture de l’Ouham – Pendé qu’à Bossangoa dans la préfecture de l’Ouham, sans oublier d’autres dégâts intervenus ailleurs dans le pays, depuis l’avènement du pouvoir de l’Imposteur de Bangui, en mars 2016.

En effet, c’est depuis 2019 que les activités d’exploitation minière le long de la rivière Ouham menacent l’existence de ce cours d’eau et des espèces qui y vivent. Outre le Rapport de la commission d’enquête parlementaire y relative, la sortie médiatique des leaders des partis politiques et de la société civile au premier rang desquels le Pr Jean – François Akandji – Kombet dans une tribune intitulée « BozoumGate » et les nombreuses dénonciations des médias locaux le Journal Letsunami.net y compris, de nombreux habitants de la préfecture de l’Ouham, particulièrement ceux de Bossangoa, ont décrié et déplorent la pollution de cette rivière. L’inquiétude née au début des travaux d’exploitation minière sur la rivière Ouham par des entreprises chinoises, depuis Bozoum, devient de plus en plus importante. Si l’on a l’habitude d’affirmer que « l’eau c’est la vie », et bien, cette vie est menacée le long de l’Ouham. La pollution de cette rivière est un coup dur pour la population riveraine et plus particulièrement, celle de Bossangoa.

A l’international, l’Ong Amnesty International n’est pas allé, dans une Déclaration publique en date du 27 août 2020, avec le dos de la cuillère pour exiger, en dépit du départ des entreprises minières chinoises, l’impérieuse nécessité pour le gouvernement de mener des enquêtes, de rendre des comptes et d’apporter des réparations aux victimes de cet acte de graves atteintes à la santé publique. Comme dans ses habitudes, Touadéra et ses ouailles sont restés insensibles à cet appel et aux cris de détresse des populations riveraines et de toutes les forces vives de la nation. Visiblement, en prenant cet arrêté, plusieurs années plus tard, le gouvernement a préféré jouer sur l’érosion du temps. Malheureusement par cet acte, le gouvernement est loin de répondre aux préoccupations de l’enquête parlementaire révélant une « forte dégradation de l’environnement » et « l’opacité dans le processus d’attribution des permis d’exploitation semi – artisanale ». Quid des enquêtes devant être menées ? Quelles explications au peuple centrafricain et à toutes les forces vives de la nation suite à ces actes de pollution et d’empoisonnement public ? Où son les mesures de réparations pour les victimes ?

Afin que nul n’en ignore, voici la Déclaration de l’Ong Amnesty International sur la pollution de la rivière Ouham :

« Les autorités de la République centrafricaine doivent mener une enquête indépendante sur les préoccupations relatives aux dégâts environnementaux et aux atteintes aux droits humains dans le cadre de l’exploitation de l’or à Bozoum, ville du nord-ouest du pays. Amnesty International a déjà fait part de ses vives inquiétudes concernant les activités de quatre entreprises exploitant les mines aurifères et les risques pour l’environnement et les droits humains des habitant·e·s du secteur. Ces quatre entreprises minières – Tian Xiang, Tian Run, Meng et SMC Mao – qui exploitaient l’or à Bozoum ont quitté la région fin avril 2020, a appris Amnesty International par l’intermédiaire des médias et d’un contact local, le prêtre catholique Aurelio Gazerra. La cessation des opérations met apparemment fin à tout nouveau risque de répercussions négatives sur les droits humains dues aux activités des entreprises, risques qu’Amnesty International avait soulignés en avril. Toutefois, la mort de sept personnes sur les sites miniers abandonnés et le fait que la rivière Ouham n’ait pas été remise en état, la rendant potentiellement dangereuse, ne font que renforcer la nécessité d’une enquête indépendante sur les allégations mises en avant par Amnesty International et la nécessité d’amener les responsables présumés à rendre des comptes et à garantir un recours effectif pour les préjudices causés.

SEPT MORTS EN SEPT JOURS SUR LES SITES MINIERS ABANDONNÉS

D’après La Voix de Koyale, une station de radio communautaire, et Corbeau News Centrafrique, sept personnes sont mortes noyées sur les sites miniers désaffectés le long de la rivière Ouham sur une période de sept jours, fin avril. D’après les médias, ces morts ont pu être causées par l’état dans lequel les berges ont été laissées lorsque les compagnies minières ont quitté les sites. Selon un article : « Désormais, il n’y a que du gravier et beaucoup de gros trous aux parois raides, pleins d’eau, où les gens incapables de nager meurent facilement . » Le père Aurelio Gazzera a également confirmé que des personnes sont mortes dans la rivière fin avril.

NOUS RÉITÉRONS NOS APPELS AVEC UNE URGENCE RENOUVELÉE

Étant donné les morts récentes dans la rivière Ouham sur les sites des mines abandonnées, Amnesty International engage de nouveau les autorités centrafricaines à : diligenter sans délai une enquête indépendante et impartiale sur la mort de sept personnes sur les sites miniers abandonnés, en vue de déterminer la cause de leur décès et de faire en sorte que le secteur soit remis en état et ne soit pas dangereux pour les habitant·e·s ; • diligenter une enquête visant à déterminer si les activités d’exploitation et le processus de fermeture des mines ont respecté les lois pertinentes – relatives aux droits humains, à l’environnement, à la santé et à la sécurité, et le droit administratif, minier et pénal – et s’ils ont mis en péril la vie humaine et la santé. Cette enquête doit englober les éventuelles noyades qui se sont déroulées après le départ des entreprises minières de Bozoum. Afin de garantir l’indépendance et l’impartialité, l’équipe en charge de l’investigation sera pluridisciplinaire par nature et composée de membres de la société civile, de porte-parole des populations concernées, de scientifiques, d’experts techniques et de représentants du gouvernement ; • s’il est établi qu’il existe un risque actuel ou imminent pour la vie ou la santé des populations des zones minières, prendre des mesures immédiates pour protéger leur vie et leur santé, qui peuvent notamment consister à fournir de l’eau potable saine, à garantir l’accès à des soins de santé, à clôturer les parties dangereuses des berges, et à apporter un soutien à ceux dont les moyens de subsistance ont été impactés et qui ont de plus grandes difficultés à pêcher et mener des activités agricoles qui dépendaient de la rivière ; • s’il s’avère que les activités minières sont à l’origine de violations des droits humains ou y ont contribué, prendre de toute urgence des mesures pour que les entités responsables soient amenées à rendre des comptes, fournir aux personnes affectées l’accès à un recours utile, prenant la forme notamment d’une indemnisation, de restitution et de garanties de non-répétition ; • envisager de ratifier la Convention de Minamata sur le mercure et d’élaborer un plan d’action national pour réduire, et si possible, éliminer l’utilisation du mercure pour l’extraction artisanale et à petite échelle de l’or ; • autoriser de futures exploitations minières dans la région à condition que toutes les procédures régulières soient respectées, notamment des évaluations approfondies portant sur les conséquences environnementales et sociales. Amnesty International appelle les entreprises à : • mener une enquête et prendre des mesures correctives adaptées si les compagnies minières ont causé des atteintes aux droits humains ou y ont contribué à un moment quelconque. Cela suppose, en consultation avec les populations touchées, de restaurer la rivière dans son état initial et de fournir des réparations aux victimes d’atteintes aux droits humains ; • publier toutes les informations concernant la conception des mines, les évaluations menées par les entreprises des impacts au niveau social et environnemental, ainsi que les analyses d’eau ou d’autres activités pertinentes ; • adhérer aux principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits humains communiqués par la Chambre de commerce chinoise des importateurs et exportateurs de métaux, minerais et produits chimiques (CCCMC), notamment les directives sur la responsabilité sociétale des investissements miniers chinois à l’étranger et les directives à l’intention des entreprises chinoises pour le développement de chaînes d’approvisionnement en minerais responsables.

Complément d’information

Le 17 avril 2020, Amnesty International a publié une déclaration demandant au gouvernement centrafricain de suspendre les activités de quatre sociétés d’exploitation aurifère près de Bozoum et de diligenter de toute urgence une enquête indépendante sur les impacts environnementaux et relatifs aux droits humains que ces entreprises ont pu avoir. Amnesty International a fait état de ses vives inquiétudes concernant les opérations de ces entreprises. Trois rapports du gouvernement et d’autres témoignages – corroborés par des images satellites, des photographies et des vidéos – attestent de grands changements le long du cours d’eau de l’Ouham. Des bulldozers et des pelles mécaniques ont été utilisés pour construire des barrages en terre visant à détourner le cours d’eau pour draguer les sédiments, le sable et les graviers dans le lit de la rivière, avant de les passer au crible pour chercher de l’or. Des monticules et des trous se sont ainsi formés le long de la rivière, l’eau a nettement changé de couleur et son niveau de turbidité (eau trouble) a augmenté. Les poissons sont morts. Les échantillons d’eau recueillis ont révélé de fortes concentrations de mercure, souvent utilisé dans les mines aurifères artisanales et ayant des effets toxiques sur la santé humaine. Cette situation est d’autant plus préoccupante que les villageois·e·s dans les zones environnantes dépendent de la rivière pour leur usage domestique, notamment pour l’eau potable, la pêche et l’agriculture.

En cas de violations ou d’atteintes aux droits humains, le droit international relatif aux droits humains exige que les États réagissent en enquêtant sur les allégations, en amenant les responsables présumés à rendre des comptes et en garantissant un recours effectif pour les préjudices causés. Le devoir de garantir un recours effectif s’inscrit dans le cadre de l’obligation plus large d’offrir une protection contre les atteintes aux droits humains commises par des acteurs non étatiques, notamment par des entreprises. De même, les Principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme et d’autres normes internationales relatives aux droits humains disposent clairement que, lorsque des entreprises causent des violations ou y contribuent, elles sont tenues de remédier aux incidences négatives .

Le gouvernement centrafricain doit donc diligenter une enquête indépendante et garantir l’accès à un recours effectif pour les personnes touchées. Dans ce cas, le recours doit au minimum englober la réparation et la remise en état de la rivière Ouham, qui a été détournée en de nombreux endroits et dont de grandes parties des berges sont aujourd’hui dangereuses, avec des monticules de gravier instable. En raison de la turbidité de l’eau et de la présence de mercure, une substance toxique, le gouvernement doit aussi veiller à ce que la population puisse voir accès à de l’eau potable sûre et à de l’eau sûre pour un usage domestique. Enfin, il doit exiger des entreprises qu’elles coopèrent et, si elles sont reconnues responsables de dégâts environnementaux et d’atteintes aux droits humains, qu’elles financent les programmes de réhabilitation ».

la Rédaction

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