Centrafrique : pourquoi la communauté internationale, la Cemac et l’UA sont – elles restées si silencieuses et si immobiles aux tripatouillages de la constitution par l’Imposteur de Bangui ?

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Dans un rare élan d’unanimité, dirions – nous, tous les Etats membres de la Cedeao, les grandes démocraties occidentales, l’Onu et l’Ua ont condamné sans fioritures les coups d’état militaires intervenus au Mali, en Guinée, au Burkina – Faso  et tout récemment au Niger. A l’unisson, ils ont appelés à un retour à l’ordre constitutionnel. Joignant l’acte à la parole, la Commission économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et l’Union africaine (UA) ont sanctionné les putschistes dans le but de les contraindre à quitter le pouvoir. Cette posture nouvelle pour les sanctions de la part de ces institutions africaines paraît surprenante, étant donné la propension habituelle de l’UA à critiquer les sanctions internationales à l’encontre d’États africains.

Ainsi, cette condamnation interpelle sur le consensus qui semble se dessiner sur la notion de changement inconstitutionnel de gouvernement en Afrique. Qu’est-ce qui explique donc que les changements inconstitutionnels de gouvernement soient devenus le péché mortel du droit international africain sur la démocratie et la gouvernance ?

Et pourtant, la Déclaration de Lomé de 2000 et la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance ont défini toutes deux les changements inconstitutionnels de gouvernement, comme suit : les coups d’État militaires contre un gouvernement démocratiquement élu ; les interventions de mercenaires pour remplacer un gouvernement démocratiquement élu ; les remplacements de gouvernements démocratiquement élus par des groupes armés dissidents et des mouvements rebelles ; et le refus d’un gouvernement sortant d’abandonner le pouvoir suite à une défaite lors d’élections libres, justes et régulières.

La mention systématique de « gouvernement démocratiquement élu », qualificatif dont on a affublé le régime du président Ange Félix Patassé issu des élections véritablement démocratiques de 1993, traduit non seulement le contexte, mais également l’état d’esprit dans lequel a été pensée la Déclaration de Lomé. Alors que le constitutionnalisme démocratique était naissant sur le continent, il s’agissait de protéger ces institutions contre des forces militaires réactionnaires.

Depuis 2000, le débat citoyen sur la démocratie et la gouvernance en Afrique a évolué. Les priorités s’orientent désormais vers la qualité des processus électoraux, la limitation des mandats, mais aussi la performance économique et la reddition de comptes politiques et économiques. La grogne sociale, essentiellement traduite par des manifestations, se heurte à des degrés divers de répression, de cooptation et de consolidation du statu quo.

Mais tout aussi étonnant et révoltant que cela paraît, sur ces questionnements essentiels, les organisations régionales africaines et les différentes structures de l’UA sont restées globalement silencieuses, malgré l’adoption de l’Architecture africaine de gouvernance (AAG) en 2011. Seuls 18 pays, dont la République centrafricaine ne fait pas partie, ont signé et six ont ratifié la Charte africaine des valeurs et des principes de la décentralisation, de la gouvernance locale et du développement local, adoptée en 2014. Très peu d’attention est portée aux principes de réactivité, de transparence, de reddition de comptes et de responsabilité civique.

En 2014, le Conseil de paix et de sécurité de l’UA notait que les changements inconstitutionnels de gouvernements et les soulèvements populaires « tirent leurs causes profondes de carences en matière de gouvernance. […] La cupidité, l’égoïsme, la gestion inadéquate de la diversité, l’incapacité à saisir des opportunités, la marginalisation, les violations des droits de l’homme, le refus d’accepter la défaite électorale, les manipulations de Constitutions, ainsi que leur révision par des voies anticonstitutionnelles pour servir des intérêts étroits, et la corruption constituent autant de facteurs qui contribuent grandement à la survenance de changements anticonstitutionnels de gouvernements et de soulèvements populaires ».

En outre, le Conseil soulignait « la nécessité d’une tolérance zéro envers les politiques et actions qui peuvent conduire au recours à des moyens anticonstitutionnels pour renverser des systèmes oppressifs ». À rebours de cet éclair de lucidité, il s’est progressivement développé au sein de l’UA et d’autres organisations régionales une conception de la démocratie limitée à la tenue des élections et au respect, ou non-respect, de la limitation de mandats.

La qualité des processus électoraux demeure la principale source de tensions. Cela a notamment été le cas au Mali en 2020, lors des élections législatives controversées initialement prévues en 2018. L’UA et les organisations régionales se contentent désormais de mission d’observations électorales dont les conclusions contestent rarement les résultats officiels, quand bien même les tribunaux et les sociétés civiles locales identifient des fraudes électorales, comme cela a récemment été le cas au Kenya et au Malawi.

Quant au suivi de la gouvernance, l’UA dispose du Mécanisme africain d’évaluation par les pairs dont il est légitime de questionner l’utilité. L’impact de cet organe sur l’amélioration de la gouvernance n’a jamais été mesuré en deux décennies d’existence.

C’est dans ce contexte singulièrement flou, que le concept de changement inconstitutionnel de gouvernement est devenu la priorité de l’AAG, alors que les dimensions d’une gouvernance légitime et responsable ont été systématiquement sabordées par les États membres. Or, dans des contextes comme celui du Mali, en donnant la priorité à un symptôme, à savoir un coup d’État, plutôt que de s’attaquer aux causes profondes telles que la légitimité douteuse et la corruption de gouvernements controversés, la réponse de l’UA et de la CEDEAO ressemble davantage à une prime au président sortant.

En effet, les normes et les instruments de paix, de sécurité et de gouvernance adoptés par l’Afrique seront de plus en plus mis à l’épreuve par des défis complexes. La majorité des rapports établis par les systèmes d’alerte précoce et les organisations de la société civile permettent d’identifier les défaillances de la gouvernance. À défaut d’un engagement politique en faveur de la prévention de conflits, l’UA et les organisations régionales se tournent progressivement d’une logique préventive vers une logique strictement réactive. Ainsi, il devient beaucoup plus aisé de condamner un coup d’État que d’avoir le courage politique d’en traiter les causes profondes.

Cette focalisation sur les élections produit une conception simpliste des crises de gouvernance. Les appels internationaux à la tenue d’élections hâtives afin de revenir à l’ordre constitutionnel suscitent des questions, en particulier lorsque les constitutions ou les systèmes de vote des pays en question sont également sujets à la controverse. Or, le cas du Mali en 2020 démontre qu’une telle accélération du calendrier électoral peut reproduire des gouvernements défaillants et favoriser la classe politique existante, souvent co-responsable de la crise de confiance. La tenue d’élections précipitées entrave souvent le renouvellement qui reflèterait davantage les nouvelles dynamiques socio – politiques.

En République centrafricaine, s’il faut noter une implication directe du Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’Union africaine (UA) dans les négociations entre les groupes armés et le régime de Faustin Archange Touadéra ayant abouti à l’Accord de Paix de Khartoum du 6 février 2019, le commissaire algérien Ismaël Chergui et ses collaborateurs ne se sont jamais appesantis sur les causes profondes de la crise centrafricaine, lesquelles ont pour noms mal – gouvernance, exclusion, corruption, injustice, incompétence notoire, gabegie, absence d’eau potable et d’électricité, inexistence de routes, chômage endémique des jeunes, inflation galopante, refus de dialogue, etc.

Certes, il a été prévu des mécanismes d’application et de suivi de cet Accord, cependant aucun moyen de coercition n’a été mis en place pour les accompagner et les rendre plus efficaces et efficients. C’est pourquoi, une année plus tard, les cumuls de flagrantes et permanentes violations des engagements pris par le gouvernement, en dépit de maintes alertes lancées au Comité de Sanctions, restées sans suite, ont fini par précipiter sa dénonciation par les principaux groupes armés signataires. En effet, le 15 décembre 2020, six groupes armés qui réclamaient vainement la tenue d’un nouveau dialogue politique inclusif, ont signé une déclaration commune remettant en cause l’accord de paix. C’est la « déclaration de Kamba Kota », une localité du nord-ouest. Mais, au lieu de réagir, la Cemac, l’Ua, l’Onu et la Minusca ont préféré s’accrocher à leur bébé pompeusement appelé « Accord politique pour la paix et la réconciliation en République centrafricaine » (APPR-RCA).

Cette posture de la Cemac et de l’UA soutenue par la Ceeac et la Cirgl a été interprétée par les pouvoirs publics comme un indéfectible soutien au président Faustin Archange Touadéra et à sa volonté d’organiser les élections groupées du 27 décembre 2020 dans les délais constitutionnels. Comme le redoutait la Coalition des partis politiques de l’opposition démocratique, ces scrutins à l’issue desquels le candidat Touadéra a été déclaré élu par l’ANE par seulement 17% du corps électoral et desquels plus de 300.000 Centrafricains ont été délibérément exclus, ont été singulièrement marqués par des actes de graves irrégularités dont la véracité a fini par leur ôter tout critère de démocratie, de crédibilité, de sincérité, de justice, de liberté, d’inclusivité, de transparence et de résultats apaisés.

Conformément à la Déclaration de Lomé de 2000 et à la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, « la qualité des processus électoraux, la limitation des mandats, mais aussi la performance économique et la reddition de comptes politiques et économiques » dont l’UA se prévalait être la garante, afin d’éviter toute grogne sociale et de consolider les acquis démocratiques, venaient ainsi d’être mises à rudes épreuves par le nouveau président « déclaré démocratiquement élu ». En comparaison aux élections qui se sont tenues dans ce pays, en 1993, en 2005 et en 2010, la République centrafricaine venait de connaître une grande régression, avec une remise en cause de la légitimité de nouvelles institutions. De ces honteuses élections, l’Ua et le Conseil de paix et de sécurité vont observer, comme toujours, un silence fort étonnement complice, alors que l’opposition démocratique les conteste et que les groupes armés reprennent les armes.

Après l’attaque de la ville de Bangui, le 13 janvier 2021, par les rebelles de la Coalition des Patriotes pour le Changement (CPC), l’Imposteur de Bangui va déployer sur toute l’étendue du territoire des mercenaires du Groupe Wagner et rwandais, sur la base de contrats bilatéraux. Si, en application de la feuille de route de Luanda, les groupés armés se sont retirés de leurs positions, les populations civiles n’échapperont aux opérations de reconquête lancées par les Faca soutenues par leurs supplétifs russes et rwandais. Considérées à tort des supposés rebelles, elles subiront la loi des conquistadores. A l’arrivée, d’abominables exactions, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, enquêtés et documentés par le Groupe de Travail des Experts de l’Onu et publiés dans leur rapport le 21 juin 2021. Il s’en suivra un tollé général de dénonciations et de condamnations ; des personnalités liées au Groupe Wagner, reconnu dorénavant comme une organisation terroriste, et les entreprises dont elles se servent vont être frappées de sanctions par les Etats – Unis, l’Ue, le Royaume – Uni. Le mardi 9 mai 2023, l’Assemblée a adopté à l’unanimité la proposition de résolution visant à appeler la France et l’Union européenne à inscrire le groupe militaire privé Wagner sur la liste des organisations terroristes. Depuis lors, ni la France, ni les Etats – Unis, ni l’Onu, ni la Ceeac, ni l’Ua, ni la Cemac ne se sont prononcés officiellement sur cette manoeuvre de liquidation de la jeune démocratie centrafricaine.

Lors de ce sommet du 35ème sommet de l’Ua, tenu à Addis – Abeba en mai 2022, et marqué par la condamnation unanime de la vague de coups d’États en Afrique de l’Ouest, la question de l’intervention de paramilitaires étrangers a été soulevée par le commissaire aux affaires politiques, à la paix et à la sécurité, Bankole Adeoye. Lors de son allocution, le Nigérian a appelé à un effort commun pour « exclure complètement les mercenaires de notre continent ». Pour cela, il souhaite la coopération du Conseil de sécurité de l’ONU ainsi que de l’Union européenne. Depuis lors, aucune déclaration, aucun communiqué de l’UA n’ont été publiés sur la situation catastrophique que vivent les Centrafricains sous le règne de la terreur qui leur est imposé par l’Imposteur de Bangui et ses mercenaires dont la présence est pour lui une assurance – vie. C’est même fort de leurs appuis et du silence inacceptable de la Cemac et de l’Ua qu’il a convoqué le corps électoral à un référendum constitutionnel, le 30 juillet 2023, afin d’adopter une nouvelle constitution et de s’octroyer une présidence à vie à la tête du pays.

Fort de ce tout ce qui précède, les crises politiques actuellement en cours au Mali, au Burkina – Faso, en Guinée, en Centrafrique et au Niger, constituent une opportunité de remettre à plat les instruments africains de prévention de conflits, notamment en ce qui concerne les vecteurs liés à la gouvernance. En lieu et place d’une conception de la gouvernance centrée sur les élections et les changements inconstitutionnels de gouvernement, il est impératif que d’autres dimensions telles que l’institutionnalisation du dialogue et des cadres inclusifs de gestion de crise soient incluses.

Comme l’a dit un analyste indépendant, « en l’absence d’une conception plus holistique de la gouvernance démocratique, se contenter de dénoncer les changements inconstitutionnels de gouvernement risque d’être interprété comme une prime au sortant. La gageure pour l’UA et les organisations régionales consiste donc à combler le fossé avec la société civile et à développer une capacité plus efficace de prévention de crises politiques ».

La rédaction

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