Centrafrique : « Pourquoi Kagamé et ses rwandais doivent quitter notre pays dans les meilleurs délais »: Structures utilisées pour l’exploitation illégale des ressources naturelles en RDC

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D. Structures utilisées pour l’exploitation illégale des ressources naturelles

Structures administratives. L’exploitation illégale des ressources naturelles est facilitée par les structures administratives mises en place par l’Ouganda et le Rwanda. Les dirigeants de ces pays ont nommé directement et indirectement des gouverneurs régionaux ou des autorités locales, ou, plus généralement, nommé ou confirmé des Congolais à ces postes. Un exemple typique, du côté ougandais, est la nomination du Gouverneur de la province d’Ituri. Le 18 juin 1999, le général ougandais Kazini a nommé gouverneur de cette province Adele Lotsove, Congolaise qui avait déjà exercé des fonctions dans les gouvernements de Mobutu et Kabila. Il ressort clairement des informations obtenues qu’elle a participé à la collecte et au transfert de fonds de la région administrative qui lui avait été assignée aux autorités ougandaises en 1999. D’après certaines sources, elle aurait également contribué à la réaffectation de terres des Lendus aux Hemas. Du côté rwandais, d’après une source fiable, les autorités rwandaises seraient intervenues pour obtenir la nomination de Gertrude Kitembo comme gouverneur du Maniema.

Modes de transport. Les activités illégales ont été facilitées par l’évolution des moyens de transport dans la région. Avant la seconde guerre, la plupart des échanges de biens et de produits étaient effectués par route. Dans une large mesure, les trafiquants utilisaient les lacs Kivu et Tanganyika pour faire passer en contrebande des biens et produits à destination ou en provenance de la République démocratique du Congo, et dans certains cas, ils utilisaient des aéronefs. Le changement s’est accentué au cours des quatre dernières années. Un nombre croissant d’avions sont utilisés pour transporter des produits et des armes en République Démocratique du Congo et de vastes quantités de produits agricoles et de minéraux, en particulier vers Kampala et Kigali. L’autre fait nouveau concernant le recours accru au transport aérien a été l’utilisation d’avions loués par l’armée pour des fonctions commerciales et non militaires. Différentes catégories de personnes, notamment des soldats, des journalistes et des commerçants, ont décrit au Groupe d’experts leurs voyages dans des avions transportant également des sacs de café et d’autres produits non militaires.

Le changement intervenu dans les modes de transport s’accompagnait d’un changement dans les intervenants et d’une redéfinition des compagnies de transport. Les sociétés traditionnelles et bien établies, comme TMK, ont vu leur part de marché diminuer, tandis que d’autres ont simplement disparu (Air Cargo Zaïre). En même temps, de nouvelles sociétés sont apparues et se sont développées, comme Air Navette et Jambo Safari, dont les propriétaires sont des parents et amis des généraux, colonels et présidents, contrôlées par eux. De l’autre côté, les intervenants extérieurs qui sont arrivés dans la région avec la « conquête » de Kinshasa par l’AFDL pendant la première guerre, en transportant des troupes, sont restés et ont consolidé leurs positions; c’est le cas de Victor Butt, marchand d’armes notoire dans la région. La plupart des vols à destination et en provenance de la province de l’Équateur et de la province orientale partent de l’aéroport militaire d’Entebbe. Lors d’une visite à Kampala, le Groupe d’experts a été informé des préoccupations exprimées par la Direction des impôts ougandaise au Ministère de la défense concernant la question des pertes de recettes fiscales du fait que les produits entrant par avion en République démocratique du Congo en provenance de l’aérodrome militaire d’Entebbe ou quittant le territoire congolais à destination de cet aérodrome n’étaient pas contrôlés et qu’aucune taxe n’était recouvrée par les services douaniers.

Du côté ougandais, on mentionnera trois grandes compagnies privées :

• Air Alexander, dont la propriétaire est Jovia Akandwanaho, épouse de Salim Saleh et belle-soeur du Président Museveni. Cette société assurait essentiellement des vols entre Entebbe et Kisangani avant le dernier combat dans cette ville. D’après certaines sources, elle continue d’opérer dans le territoire contrôlé par les forces ougandaises;

• Air Navette, qui traite avec le général Salim Saleh et Jean-Pierre Bemba. La compagnie assure des vols à destination de Gbadolite, Gemena, Kisangani, Bunia et Kampala, utilisant deux appareils de type Antonov 26 et Antonov 12;

• Uganda Air Cargo, qui travaille principalement avec le Ministère ougandais de la défense. Auparavant, elle utilisait un appareil C-130 mais elle exploite actuellement un Iliouchine 76 et un Antonov 12. Cette compagnie assure des vols à destination d’Entebbe, de Gemena, de Basankasu, d’Isiro et de Buta.

Le Groupe d’experts dispose d’informations indiquant que la plupart des compagnies aériennes privées ne sont pas propriétaires des appareils qu’elles utilisent, ceux-ci appartenant généralement à des personnes comme Victor Butt.

Du côté rwandais, diverses compagnies privées opèrent dans le territoire :

• New Gomair qui assure des vols à destination de Kisangani-Goma et Kigali. D’après certaines sources, l’épouse du Ministre rwandais des finances figurerait parmi les actionnaires;

• Air Navette, qui assure des liaisons à destination de Goma, Bukavu, Kisangani et Kigali. D’après certaines sources, l’un des principaux actionnaires, Modeste Makabuza, également propriétaire de la compagnie Jambo Safari, est une personnalité connue dans l’entourage du Président Kagamé;

• Air Boyoma, service de navette entre Goma et Lodja; d’après certaines sources, M. Ondekane, ancien premier Vice-Président du RCD-Goma, figurerait parmi les actionnaires;

• D’autres compagnies, comme la Compagnie aérienne des Grands Lacs et Cargo Fret International, Sun Air Services et Kivu Air Services, assurent des vols dans la région.

Des clients et d’autres sources très fiables ont indiqué que Sabena Cargo transportait des ressources naturelles illégales extraites en République démocratique du Congo. Cette compagnie transporterait du coltan extrait de ce pays, de l’aéroport de Kigali vers des destinations européennes. Le Groupe d’experts a demandé à rencontrer des membres de la direction de Sabena à Kampala et à Bruxelles, mais personne n’a été mis à sa disposition pour un entretien.

Réseau financier. Toutes les activités illégales menées dans l’est de la République démocratique du Congo, mais principalement les opérations commerciales, utilisent le réseau financier dans une certaine mesure. L’une des caractéristiques de ce réseau est le fait qu’il est capable de s’adapter rapidement au nouveau contexte politique et économique. Des villes comme Kisangani et Goma étaient déjà des centres commerciaux importants pour les diamants et les biens de consommation. La plupart des banques opérant dans les zones occupées étaient déjà établies en République démocratique du Congo avant la guerre d’août 1998. Leur siège ou les banques correspondantes se trouvaient généralement à Kinshasa. Avec l’occupation, ces banques et leurs correspondants ont souvent transféré leur siège à Kigali. On mentionnera entre autres les établissements suivants :

• Union des Banques congolaises; bien que son siège demeure à Kinshasa, elle poursuit des activités dans des secteurs contrôlés par le Rwanda;

• Banque commerciale du Congo, dont le siège est à Kinshasa; elle a des filiales dans l’est de la République démocratique du Congo. Le Directeur a été transféré à Kigali afin de superviser l’opération dans l’est du pays. Cette banque est liée à la Belgolaise, consortium de banques belges;

• Banque commerciale du Rwanda, dont le siège est à Kigali mais qui a des opérations à Kisangani, Bukavu et Goma. Le Gouvernement rwandais figurerait parmi les actionnaires;

• Banque à la Confiance d’or (BANCOR), l’une des nouvelles banques de Kigali qui a commencé ses activités en 1995. Jusqu’en 1999, elle appartenait à une famille mais, au début de 2000, un homme d’affaires, Tibere Rujigiro, l’a achetée pour un prix très bas, d’après diverses sources.

Cas particuliers de la Banque de commerce, de développement et d’industrie (BCDI) et de la Banque de commerce et de développement (BCD). La BCDI, banque la plus récente, a été créée en novembre 1996; son siège est à Kigali. Ses liens avec la République démocratique du Congo remontent au début de la conquête de l’ex-Zaïre par l’AFDL. Elle effectuait la plupart des transactions financières de l’Alliance avant l’arrivée au pouvoir de Laurent-Désiré Kabila. Le Groupe d’experts a appris que ses actionnaires étaient essentiellement le Front patriotique rwandais,
COMIEX, Alfred Khalissa et plusieurs Angolais. Les véritables actionnaires sont les alliés, à l’exception de l’Ouganda. Certains documents, acquis de virement et autorisations de paiement établis par plusieurs grandes sociétés en République démocratique du Congo entre le début et la fin de 1997 indiquaient clairement que les versements devaient être effectués par l’intermédiaire de la BCDI, au titre de la contribution à « l’effort de guerre ». Lorsque le Président Kabila, aujourd’hui décédé, est arrivé au pouvoir, il a créé la BCD, dont la particularité est d’avoir pour actionnaires Tristar,
COMIEX et Alfred Khalissa, de la BCDI. Le FPR demeure actionnaire de la BCD, par l’intermédiaire de la BCDI et de Tristar, malgré la guerre.

Autres sociétés privées. Diverses sociétés ont été créées afin de faciliter la poursuite des activités illégales en République démocratique du Congo. D’autres, établies depuis des dizaines d’années dans la région, ont suivi le mouvement, attirées par les bénéfices évidents résultant de l’exploitation des ressources du pays. Aux côtés de l’Ouganda, du MLC et du RCD-ML, les chefs rebelles et les cadres militaires ougandais ont créé de nouvelles sociétés et entreprises en recourant à des « prête-noms ». Pratiquement toutes ces entités appartiennent à des particuliers ou à des groupes de personnes.

Parmi les sociétés participant à l’acquisition illicite de ressources naturelles dans la République démocratique du Congo, Trinity et Victoria semblent les plus intéressantes, compte tenu de leur mode de fonctionnement, de leurs activités et de leurs actionnaires respectifs. Le Groupe Victoria est présidé par M. Khalil et son siège est à Kampala. D’après des sources fiables, ce dernier traite directement avec Mme Akandwanaho pour les questions relatives aux diamants. M. Khalil a deux collaborateurs en République démocratique du Congo, l’un à Kisangani et l’autre à Gbadolite. Tous deux viendraient du Liban; il s’agit de Mohammed Gassan et de M. Talal. Lorsqu’il s’est rendu à Gbadolite, le Groupe d’experts a reçu confirmation de la présence de l’un d’eux et du rôle prépondérant qu’il joue dans l’achat de diamants dans la région. Une source fiable a indiqué à ses membres que le groupe Victoria appartenait conjointement à Muhoozi Kainerugabe, fils du Président Museveni, et à Jovia et Khaleb Akandwanaho. Le groupe Victoria est lié au commerce des diamants, de l’or et du café. Il achète ces minéraux et produits agricoles à Isiro, Bunia, Bumba, Bondo, Buta et Kisangani. Il acquittait des taxes au MLC mais non au RCD-ML. Lorsque des faux billets (francs congolais et dollars des États-Unis) ont été trouvés dans les secteurs où la société achète les ressources naturelles, on a accusé le groupe Victoria. D’autres sources ont confirmé aux experts que le groupe avait participé à la fabrication de fausse monnaie.

Trinity est également un cas intéressant.
Aseenyi Tibasima, deuxième Vice-Président du RCD-ML et actuellement Commissaire général adjoint du FLC, était « directeur » de la société. D’après des sources fiables, il s’agit d’une société fictive, conglomérat regroupant diverses entreprises appartenant à Salim Saleh et à son épouse. Son objectif principal était de faciliter leurs activités commerciales dans la Province orientale. À cette fin, M. Tibasima a accordé une exonération fiscale temporaire pour toutes les activités poursuivies dans les secteurs contrôlés par l’Ouganda et administrés par le RCD-ML en novembre 1999. La société a importé divers biens et produits et s’est procurée, dans la Province orientale, de l’or, du café et du bois sans acquitter de taxes. Diverses personnes, des Ougandais et Congolais, ont profité de la confusion au sujet de la société pour exporter de la République démocratique du Congo (pour le compte de Trinity) diverses ressources naturelles sans non plus acquitter de taxes.

Du côté rwandais, la plupart des sociétés poursuivant des activités importantes liées à l’exploitation de ressources naturelles de la République démocratique du Congo appartiennent soit au Gouvernement, soit à des personnes très proches des collaborateurs du Président Kagamé. Rwanda Métals, par exemple, est une société liée au commerce du coltan. Elle achète ce minerai et l’exporte hors du continent. Le Groupe d’experts dispose d’informations sérieuses indiquant que le FPR contrôle cette société. Au milieu de janvier 2001, certaines sources très fiables ont eu des entretiens avec la direction de Rwanda Métals à Kigali. À cette occasion, le Directeur leur a déclaré que la société était une entreprise privée qui n’avait pas de relations avec l’armée. Il a ajouté qu’il devait rencontrer des partenaires clefs le matin même. Tandis que les discussions se poursuivaient, les « partenaires » sont arrivés comme prévu mais, malheureusement, ils portaient l’uniforme de l’armée rwandaise et étaient des officiers supérieurs. Cet incident confirme les informations de différentes sources indiquant que Rwanda Métals est contrôlée par le FPR. Entre-temps, d’autres éléments ont été obtenus, indiquant que l’Armée patriotique rwandaise (APR) figurait parmi les actionnaires de la société Grands Lacs Métals, qui se livre également au commerce du coltan.

Jambo Safari est une autre société dont l’émergence et le développement ont indisposé certains à Goma et Bukavu. Lorsque la guerre d’août 1998 a éclaté, Modeste Makabuza achetait du pétrole au Kenya et le revendait dans l’est de la République démocratique du Congo. La société a tiré avantage d’un réseau interne de faux récépissés au sein du RCD-Goma et de l’APR. D’après une source très fiable, Jambo Safari facturait au RCD-Goma trois fois les quantités de pétrole livrées et toute contestation des chiffres était rejetée. Dans un effort exceptionnel visant à éclaircir la situation, certains membres du RCD-Goma, lors de la dernière réunion de l’Assemblée générale en juin 2000, ont demandé la création d’une commission aux fins d’une vérification interne des comptes. Kigali a accepté de dépêcher un colonel pour effectuer l’audit, en collaboration avec une équipe du RCD. Une fois réglée la question des faux récépissés et du trop-payé, Kigali a rappelé le colonel et suspendu l’enquête. Certaines sources ont confirmé l’existence de liens étroits entre M. Makabuza, propriétaire apparent de Jambo Safari et le Président Kagamé. Jambo Safari a diversifié ses activités commerciales, poursuivant maintenant des opérations dans le café, a récemment acheté une flotte de nouveaux camions et est également associée au transport aérien avec Air Navette.

D’autres compagnies moins importantes opèrent également avec la protection de certains commandants locaux. Par exemple, Établissement Habier participe à la fourniture de pétrole et d’essence à Goma et Bukavu. Cette société appartiendrait à Ernest Habimana, qui est étroitement lié à l’APR, et en particulier au commandant Karasira et à M. Gakwerere. STIPAG, société appartenant à M. Mbugiye, opérant en collaboration avec le commandant Kazura (chef de la sécurité de l’Armée rwandaise en République démocratique du Congo) et le commandant Gatete, est l’une des nouvelles sociétés associées au commerce du café et des diamants. Enfin, de nombreuses petites sociétés ont été créées, dont les actionnaires sont toujours des personnalités influentes dans la nomenklatura rwandaise ou dans les structures de la République démocratique du Congo. C’est le cas de Grands Lacs Métals dont seraient actionnaires les commandants Gatete, Dan et Kazura. Dans d’autres cas, des sociétés étrangères intègrent des potentats locaux dans leurs conseils d’administration : comme c’est le cas de Gesellschaft Für Elektrometallurgie (GFE), avec Karl Heinz Albers et Emmanuel Kamanzi comme partenaires, ou de MDM, avec M. Makabuza.

Se fondant sur les données, rapports et documents reçus et analysés, le Groupe d’experts a conclu que les systèmes d’exploitation illégale établis par les Ougandais et les Rwandais étaient différents. Dans le cas de l’Ouganda, des particuliers, en général des officiers supérieurs, usant de leur pouvoir sur leurs collaborateurs et certains cadres des mouvements rebelles, exploitent les ressources de la République démocratique du Congo. Toutefois, cela est connu dans le milieu politique à Kampala.

Dans le cas du Rwanda, les activités ont un caractère plus systémique. Il existe des liens et des échanges entre certaines grandes sociétés, comme dans le cas de Tristar et de la BCDI, et, en premier lieu, entre l’APR, le FPR, la BCDI, Rwanda Métals, Grands Lacs Métals et Tristar. La direction de ces sociétés semble faire rapport séparément aux mêmes personnes en haut de la pyramide. Par ailleurs, les principaux dirigeants entretiennent des relations personnelles avec divers commandants, lesquels font eux-mêmes rapport à la hiérarchie. Cette structure pyramidale intégrée, associée à la stricte discipline du groupe, a rendu l’exploitation des ressources congolaises plus systématique, efficace et organisée. Il existe également des liens entre les structures rwandaises internes d’exploitation illégale et celles du RCD-Goma. Le Gouvernement rwandais a conclu des arrangements avec le RDC-Goma afin de transférer des ressources hors de la République démocratique du Congo. Il existe un cas où des prêts sont consentis par la BCDI au RCD afin de payer les fournisseurs dont les activités sont liées à l’APR. Ce « relais financier » est statutaire; en fait, le statut du RCD reconnaît indirectement le rôle du Rwanda dans la supervision des ressources financières du mouvement et sa participation à la prise de décisions et au contrôle ou à la vérification des comptes.

Source : Rapport du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres richesses de la République démocratique du Congo

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