Centrafrique : « Pourquoi Kagamé et ses rwandais doivent quitter notre pays dans les meilleurs délais »: Exploitation exogène et endogène de la RDC

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C. Exploitation exogène et endogène

Phase d’exploitation. L’ampleur du pillage systématique auquel se sont livrés à divers niveaux en République démocratique du Congo les rebelles et les militaires étrangers a jeté un voile sur les activités d’exploitation directe pendant les 12 premiers mois de la deuxième guerre. Une fois épuisés les stocks de ressources, les forces d’occupation et leurs alliés sont passés à une autre phase d’exploitation active. Les Congolais (civils et militaires) comme les étrangers (civils et militaires) entreprirent d’exploiter directement les ressources naturelles. Plutôt que de ne mentionner que brièvement quelques exemples, on examinera plus longuement ci-après un cas particulier, qui est une excellente démonstration des pratiques illicites auxquelles a recours une société, et de sa complicité avec les forces d’occupation et le Gouvernement, ainsi que des relations internationales qu’elle met en oeuvre pour exploiter les ressources naturelles de la République démocratique du Congo.

Étude du cas DARA-Forest. Une société forestière ougando-thaïlandaise appelée DARA-Forest s’est installée dans la région d’Ituri à la fin de l’année 1998. En mars 1998, cette société avait sollicité l’octroi d’une concession forestière en République démocratique du Congo, concession qui lui avait été refusée par les autorités de Kinshasa. En 1999, la société a commencé à acheter des produits forestiers et, pour ce faire, a loué les services de particuliers chargés de récolter le bois pour le lui revendre ensuite. Ces particuliers étaient initialement des bûcherons congolais opérant en partenariat avec des Ougandais. La société DARA s’est engagée la même année dans la production industrielle en construisant une scierie à Mangina. En 2000, elle avait obtenu du RCD-ML sa propre concession. L’analyse de séries d’images recueillies par satellite sur une certaine période révèle l’étendue de la déforestation qu’a subie la Province orientale entre 1998 et 2000. Les forêts les plus exploitées se situent autour de Djugu, Mambassa, Beni, Komanda, Luna, Mont Moyo et Aboro. L’abattage des arbres s’y est effectué sans considération d’aucune règle minimale acceptable d’exploitation assurant une gestion durable de la forêt ou ne serait-ce que des possibilités d’abattage durables.

Le bois d’oeuvre exploité dans cette région occupée par l’armée ougandaise et le RCD-ML transitait exclusivement par l’Ouganda ou était utilisé dans ce pays. Il ressort de l’enquête que le Groupe a menée à Kampala que l’on peut se procurer facilement dans cette ville de l’acajou provenant de la République démocratique du Congo que l’on paie moins cher que l’acajou ougandais. Cette différence de prix s’explique simplement par le fait que le bois est acquis à moindre coût en République démocratique du Congo. Le bois d’oeuvre que l’Ouganda se procure dans ce pays n’est pratiquement soumis à aucune taxe. En outre, les droits de douane ne sont généralement pas acquittés lorsque les camions passent la frontière sous escorte militaire ou simplement sur instructions du commandement local sous les ordres du général Kazini. Le bois d’oeuvre provenant de la République démocratique du Congo est alors exporté vers l’Ouganda, le Kenya et sur d’autres continents. Selon les autorités portuaires du Kenya, d’importantes quantités de bois d’oeuvre étaient exportées vers l’Asie, l’Europe et l’Amérique du Nord.

Le Groupe s’est aussi rendu compte au cours de son enquête que des bûcherons ougandais violaient la législation forestière, reconnue par leur allié RCD-ML, en abattant des arbres qu’ils exploitent directement comme bois d’oeuvre. La législation congolaise concernant le permis de coupe n’autorise que des particuliers ressortissants du Congo à exploiter du bois d’oeuvre et seulement en petites quantités. Pour se voir octroyer des concessions plus importantes, les étrangers doivent en faire officiellement la demande. Les Ougandais ont commencé par opérer en partenariat avec un Congolais titulaire d’un permis puis ont rapidement entrepris de le soudoyer pour qu’il leur sous-loue celui-ci en vue de s’en assurer à l’avenir la possession en violation directe de la loi.

L’abattage d’arbres destinés à la production et l’exportation de bois d’oeuvre en République démocratique du Congo n’a cessé de se faire en toute illégalité. Outre qu’elle exploite du bois d’oeuvre sans autorisation dans un pays souverain et en violation de sa législation, DARA-Forest exporte régulièrement sa production sans se soumettre à aucune procédure de certification. Elle a tenté de prendre contact avec des organismes de certification agréés par le Forest Stewardship Council. Ces organismes exigent de l’exploitant qu’il présente certains documents et pièces justificatives que DARA-Forest n’a jamais produits. Cette société exporte pourtant du bois d’oeuvre en violation de la procédure établie et généralement acceptée par la communauté mondiale des exploitants forestiers et qui est maintenant considérée comme un usage de droit international. Les sociétés qui importent ce bois d’oeuvre non documenté provenant de DARA-Forest sont essentiellement ressortissantes de grands pays industrialisés, notamment la Belgique, la Chine, le Danemark, les États-Unis d’Amérique, le Japon, le Kenya et la Suisse.

Le Groupe s’est également rendu compte qu’il y avait collusion entre la société DARA Great Lake Industries (DGLI) dont DARA-Forest est une filiale, de même qu’entre la société jumelle ougandaise Nyota Wood Industries et le Ministère ougandais de l’aménagement du territoire et des eaux et forêts aux fins de la mise en place d’un système facilitant la certification du bois d’oeuvre en provenance de la République démocratique du Congo. En mai 2000, DGLI a signé un contrat avec Smart Wood et le Rogue Institute for Ecology and Economy d’Oregon, États-Unis, concernant la délivrance de certificats de conformité des produits forestiers. Le 21 mars 2000, le Directeur du groupe DARA, Prossy Balaba, a envoyé une lettre au Commissaire le priant d’autoriser un représentant de Smart Wood à visiter certaines forêts, notamment celles de Budongo et Bugoma; celui-ci était attendu dans la région vers la mi-avril. Cette visite n’était qu’un artifice destiné à abuser le représentant de Smart Wood auquel ces forêts étaient présentées comme étant celles sur lesquelles porteraient les certifications afin de le convaincre de certifier conforme la production de bois d’oeuvre de DARA-Forest. Or, au moment de cette visite, qui a eu lieu du 14 au 16 avril, le groupe DARA n’avait même pas sollicité de concession dans la forêt de Budongo (Ouganda). Ce n’est que le 5 juillet 2000 que John Kotiram du groupe DARA écrivit au Commissaire sollicitant l’octroi d’une concession forestière dans cette forêt.

Derrière tout cela se cache la volonté de se servir de la forêt de Budongo exploitée en conformité des exigences internationales de certification comme modèle des forêts d’où est tiré le bois d’oeuvre en provenance de la République démocratique du Congo, de telle sorte que celui-ci soit certifié conforme en l’absence de tout élément justifiant cette certification. Les plans qui doivent permettre de contourner à l’avenir le système international sont déjà en place. Selon des documents internes de la société DGLI,
DARA-Forest importera du bois d’oeuvre de la République démocratique du Congo en Ouganda, où ce bois sera transformé en différents types de produits dans une nouvelle usine à Namanve qui débitera ce bois en même temps que du bois provenant de l’exploitation de forêts ougandaises. Les partenaires de DGLI dans ce montage sont les suivants : DARA Europe GmbH d’Allemagne, Shanton President Wood Supplie Co. Ltd. de Chine, President Wood Supply Co. Ltd. de Thaïlande, DARA Tropical Hardwood, Portland (Oregon) des États-Unis. La répartition des ventes de la société restera vraisemblablement la même soit environ 30 % à destination de l’Extrême-Orient, de la Chine, du Japon et de Singapour, 40 % à destination de l’Europe et 25 % à destination de l’Amérique du Nord. L’actionnariat et la gestion de DARA Great Lakes Industries sont aux mains de ressortissants ougandais et de ressortissants thaïlandais dont M. John Supit
Kotiran et Pranee Chanyuttasart, l’un et l’autre ressortissants thaïlandais, et Prossy Balaba, ressortissant ougandais. Selon certaines informations non confirmées, des membres de la famille du président Museveni seraient actionnaires de DGLI, encore qu’un supplément d’enquête soit nécessaire pour le vérifier.

Le groupe DARA a également mis en place un autre montage lui permettant de mener ses activités frauduleuses en République démocratique du Congo. Les activités de DGLI consistent en l’exploitation forestière et en diverses activités financières et industrielles. Profitant de la confusion qui s’est créée entre DARA-Forest, à laquelle a été octroyée une concession par le RCD, et DGLI, DARA-Forest se livre également au commerce des diamant, de l’or et du coltan. Des rapports émanant des postes douaniers de Mpondwe, Kasindi et Bundbujyo concernant l’exportation par camion, en provenance de la République démocratique du Congo, de minéraux tels que la cassitérite et le coltan ont été communiqués au Groupe. Au cours de la visite qu’il a effectuée à Bunia, celui-ci a été informé que d’autres produits que du bois étaient chargés dans les camions censés ne rien transporter d’autre; il y a tout lieu de penser qu’il s’agissait de coltan et de cassitérite. La fraude s’étend, en outre, à l’établissement de faux documents et déclarations « en provenance » de Kinshasa.

Le taux d’abattage aux alentours de Butembo, Beni, Boga et Mambassa est inquiétant. L’administration du RCD-ML a reconnu qu’elle n’exerçait aucun contrôle sur le taux d’exploitation, le recouvrement des taxes concernant les activités d’abattage et les droits de douane aux points de sortie. D’après les récits de témoins oculaires, les images recueillies par satellite, les déclarations d’acteurs principaux et la propre enquête du Groupe, il est suffisamment prouvé que l’exploitation de bois d’oeuvre est directement liée à la présence ougandaise dans la Province orientale. Ces activités ont atteint des proportions alarmantes et les Ougandais (civils, militaires et sociétés) y participent très largement. En mai 2000, le RCD-ML a octroyé une concession de 100 000 hectares à DARA-Forest. Depuis septembre 1998, cette société exporte en gros chaque année environ 48 000 mètres cubes de bois d’oeuvre.

Source : Rapport du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres richesses de la République démocratique du Congo

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