Centrafrique: «Pas de justice du deux poids deux mesures», dixit Me Nicolas Tiangaye à RFI

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Faut-il brûler la Cour pénale internationale ?

Cette année 2018 a été marquée, le 8 juin dernier, par une volte-face incroyable : l’acquittement de l’ancien chef de guerre congolais Jean-Pierre Bemba. Et dans l’attente du prochain jugement sur Laurent Gbagbo, beaucoup affirment déjà que la CPI n’est plus crédible.

Le célèbre avocat centrafricain Nicolas Tiangaye a présidé la Ligue centrafricaine des droits de l’homme pendant 13 ans, de 1991 à 2004. Il a aussi été Premier ministre de RCA de 2013 à 2014. En ligne de Bangui, Me Tiangaye répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

Rfi : Nicolas Tiangaye, Jean-Pierre Bemba condamné en première instance à dix-huit ans de prison pour crime de guerre en Centrafrique et acquitté en appel, cela vous inspire quoi ?

Nicolas Tiangaye : Cela m’inspire vraiment de l’indignation, parce qu’il n’est pas contesté qu’il y a eu crime de guerre et crime contre l’humanité [en Centrafrique en 2002]. La Cour pénale internationale a enregistré plus de 5 000 victimes. Les faits étaient établis, particulièrement les viols, les viols collectifs et tueries de masse. Et donc le jugement qui a été rendu par la Cour pénale internationale constitue, à mon avis, une régression par rapport à la lutte contre l’impunité.

Les juges de la CPI n’ont pas nié l’existence des crimes commis par la milice de Jean-PierreBemba à Bangui en 2002, mais ils ont dit ne pas avoir la preuve que Bemba avait ordonné ces crimes.

Les textes du Statut de Rome prévoient que la responsabilité du supérieur hiérarchique doit être engagée lorsque ses troupes commettent des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité et qu’il n’a rien fait pour empêcher ces crimes ou bien qu’il n’a pas pris des sanctions contre leurs auteurs. Je pense que cette décision ne peut pas nous satisfaire.

Mais ce jugement, maître Tiangaye, est-ce la faute aux juges de la Cour ou est-ce la faute au Bureau du Procureur de la Cour, qui a engagé des poursuites contre un seul homme, Jean-Pierre Bemba, alors qu’il fallait peut-être viser d’autres personnes ?

Il me semble qu’au départ la Fédération internationale des Ligues des droits de l’Homme [la FIDH] – puisqu’à l’époque j’étais le président de la Ligue Centrafricaine des Droits de l’Homme – avait mené des investigations et donc plusieurs personnalités étaient visées par rapport à ces crimes-là. Et donc je pense que l’erreur du Bureau du Procureur, c’est d’avoir poursuivi Bemba tout seul, alors qu’il y avait aussi des responsables centrafricains dont les noms étaient évoqués à l’époque et qui, malheureusement, n’avaient pas fait l’objet de poursuites.

Des responsables centrafricains et peut-être des responsables congolais, subalternes de Jean-Pierre Bemba, qui étaient sur le terrain à la tête de la milice de Bemba à Bangui ?

Bien sûr. Comme, par exemple, le colonel congolais [Moustapha Mukiza] qui dirigeait les opérations, c’est-à-dire le chef des opérations militaires qui commandait les troupes de Bemba sur le terrain. Celui-là aurait pu aussi être poursuivi. Malheureusement, ce n’est pas le cas.

Donc on peut parler d’une erreur tactique de la part du Bureau du Procureur ?

On peut parler peut-être de la recherche d’une justice spectaculaire. C’est-à-dire arrêter les plus gros poissons et laisser le menu fretin. Mais je crois, comme vous le dites, qu’il s’agit peut-être d’une erreur de la part du procureur.

Il y a les crimes de 2002 et il y a ceux qui ensanglantent la Centrafrique depuis le début de la guerre civile entre Séléka et anti-Balaka, il y a cinq ans. Est-ce que la CPI réagit à ces crimes avec suffisamment de fermeté ?

Pour l’instant, il y a deux personnes qui ont déjà fait l’objet d’arrestations et qui sont envoyées à la Cour pénale internationale, mais cela n’est pas encore suffisant par rapport au nombre des auteurs principaux, c’est à dire les chefs de ces groupes armés qui ne font pas encore l’objet de poursuites.

Donc vous approuvez les arrestations récentes des deux chefs de milices anti-Balaka, Alfred Yekatom et Patrice-Édouard Ngaïssona ?

Je n’ai pas à approuver ni à désapprouver. N’oubliez pas que nous avons tenu en Centrafrique un forum national [en mai 2015]. Et au cours de ce forum, il s’est dégagé un consensus national sur la question de l’impunité. C’est l’impunité zéro. Donc, tous ceux qui pourraient être suspectés d’avoir commis des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité doivent répondre de leurs actes devant la justice nationale et devant la justice internationale.

A la suite des arrestations de ces deux chefs anti-Balaka, deux milices ont décidé de se retirer du processus de désarmement. « Pourquoi la justice ne vise-telle que les anti-Balaka ? », demandent ces protestataires.

Toutes choses étant égales par ailleurs, je pense que beaucoup de Centrafricains se posent légitimement la question. Il faudrait, bien évidemment, que les auteurs des crimes des deux camps puissent répondre aussi de leurs actes devant la justice nationale et internationale. Et donc les gens pensent qu’il s’agit d’une justice partiale, qui n’arrête que les gens d’un camp et qui laisse les auteurs de crimes qui appartiennent à un autre camp. Qui les laisse en liberté.

Pensez-vous notamment aux criminels de la Séléka, ceux qui ont tué des centaines de civils cette année 2018 en République centrafricaine ?

Bien entendu. Je pense aux responsables des groupes armés appartenant à l’ex-Séléka, qui ont commis de graves exactions et des tueries ces derniers temps, particulièrement à Batangafo, à Alindao et à Bambari. Ces personnes-là doivent aussi être arrêtées. Il ne faut pas qu’il y ait une justice du deux poids, deux mesures.

Est-ce que la réalité, Nicolas Tiangaye, ce n’est pas tout simplement que les anti-Balaka sont plus accessibles que les Séléka ?

C’est la raison qui a été invoquée. Mais il n’en demeure pas moins qu’à un moment donné, des responsables Séléka qui se trouvaient dans une situation où il était possible de les arrêter ont été laissés en situation d’échapper à la justice.

Sur le continent, beaucoup reprochent à la Cour pénale internationale de ne s’intéresser qu’aux crimes commis en Afrique. Du coup, ils disent que la CPI n’a plus de crédibilité. Est-ce que vous y croyez encore ?

Je pense qu’il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Cette justice pénale internationale est de création récente. Elle n’a pas encore tous les moyens qu’il faut. Elle ne dispose pas de police propre à elle pour procéder à des arrestations.

Elle est obligée de se confier à la bonne volonté des Etats et, dans ces conditions, son action ne peut être que limitée. Mais je pense que, malgré tout, la Cour pénale internationale reste un instrument de dissuasion par rapport à ceux qui commettent les crimes les plus graves qui heurtent la conscience universelle.

RFI

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