Centrafrique : MM. les députés, avez – vous lu « Lutter contre la corruption au Cameroun » avant de voter le projet de loi portant prévention et répression de la corruption et ses infractions assimilées ?

0
263

Urbi&Orbi

La Documentation catholique

Lutter contre la corruption au Cameroun

Par les évêques camerounais , le 10/4/2013 à 12h52

 

Les évêques camerounais réunis en assemblée à Bamenda, le 3 septembre 2000, ont adopté une lettre sur la corruption qu’ils ont adressée aux chrétiens mais aussi à tous les hommes de bonne volonté. Leur attitude courageuse a suscité la colère des autorités politiques, en particulier envers le cardinal Christian Wiyghan Tumi, archevêque de Douala, qui s’est exprimé publiquement lors d’une homélie. Voici le texte de cette lettre pastorale (*) :

Lettre pastorale des évêques du Cameroun

FRÈRES ET SOEURS,

  1. 1. À plusieurs reprises dans l’histoire de notre pays, notre Église s’est exprimée au sujet de la c C’est ainsi qu’en 1977, les évêques de l’actuelle Province ecclésiastique de Bamenda avaient écrit une lettre pastorale conjointe sur la corruption, voulant ainsi attirer l’attention de tous sur un phénomène qui commençait à prendre de l’ampleur et qui portait déjà atteinte à plusieurs secteurs de la vie publique. Trois ans plus tard, en 1980, c’était au tour des évêques de l’actuelle Province ecclésiastique de Garoua de faire de même. En 1990 l’épiscopat du Cameroun, en examinant la crise économique qui sévissait dans le pays, avait signalé que la corruption et le vol généralisé des deniers publics dans l’impunité étaient parmi les principales causes de la crise ( Lettre Pastorale de la Conférence épiscopale du Cameroun sur la crise économique dont souffre le pays, 18) ( DC 1990, n. 2010, p. 710. NDLR). Cette question a été reprise lors de notre Séminaire de 1997 sur la Justice et la paix et de notre Séminaire de 1998 sur la Bonne Gouvernance.

Il est évident que, depuis lors, la corruption n’a pas cessé.

Elle a même avancé à pas de géant. Ce qui était pratiqué jadis en cachette se fait maintenant ouvertement. La corruption est devenue notre mode de vie. On a parfois l’impression qu’elle est officiellement tolérée, qu’elle a été institutionnalisée, et qu’elle fait désormais partie de notre système de gouvernance. En cette année du grand Jubilé de l’An 2000, au terme d’une réflexion menée depuis plusieurs années, nous, évêques du Cameroun, voulons vous adresser cette lettre sur la corruption.

  1. 2. La corruption est en train de détruire notre pays. Elle détruit notre économie, elle détruit notre vie sociale, elle détruit surtout nos consciences. Le Cameroun est sinistré à cause de ce fléau. La corruption, tout comme le détournement des biens qui nous sont confiés, est une tragédie qui nous concerne tous. C’est une maladie grave qui, de près ou de loin nous atteint tous, et qui touche tous les secteurs de notre vie sociale. Elle se trouve même dans nos communautés ecclésiales, elle pervertit la comptabilité et la vie de nos diocèses, de nos paroisses, de nos mouvements, de nos services.
  2. 3. Deux constatations nous alarment particulièrement : la première est que l’exemple vient d’en haut, en ce sens que des gens haut placés dans notre pays et dans notre société sont impliqués dans ce scandale, ce qui donne aux autres un prétexte facile pour faire de même. La seconde est que les enfants de notre pays naissent et grandissent désormais dans ce climat de corruption, qui fausse leur conscience dès le jeune âge en leur faisant croire que le succès s’obtient non par l’étude et le travail honnête, mais par la tromperie et le vol.
  3. 4. L’on considère comme naïfs, aujourd’hui, ceux qui ne sont pas impliqués dans la corruption et qui vivent honnêtement Les valeurs morales sont bafouées à tel point que les tricheurs sont qualifiés de forts, de courageux et d’intelligents. La rectitude morale, la conscience professionnelle et l’assiduité au travail sont regardées avec mépris. La corruption a atteint un niveau suicidaire dans notre société. Elle est acceptée aujourd’hui comme un mode de vie normal, à telle enseigne que l’on n’éprouve plus aucun sentiment de culpabilité en la pratiquant.
  4. 5. La corruption fait du mal, elle tue l’homme. La corruption engendre une société injuste qui ne garantit plus l’égalité des droits et des chances pour ses citoyens. Elle crée un climat de suspicion et de méfiance entre les individus, elle les condamne à vivre dans la peur et l’insécurité.
  5. 6. Le Catéchisme de l’Église catholique nous dit : « Toute manière de prendre et de détenir injustement le bien d’autrui est contraire au septième commandement. Ainsi, retenir délibérément des biens prêtés ou des objets perdus, frauder dans le commerce, payer d’injustes salaires, hausser les prix en spéculant sur l’ignorance ou la détresse d’autrui. Sont encore moralement illicites : la corruption par laquelle on détourne le jugement de ceux qui doivent prendre des décisions selon le droit, l’appropriation et l’usage privé des biens sociaux d’une entreprise, les travaux mal faits, la fraude fiscale, la contrefaçon des chèques et des factures, les dépenses excessives, le gaspillage » (Catéchisme de l’Église catholique, n. 2409).
  6. 7. Détenir injustement le bien d’autrui est donc vole Une vraie conversion exige de moi que je rende à mon frère ou à ma soeur, ou à mon concitoyen, ce que je lui ai soutiré malhonnêtement, et que je rende à l’État ou au service intéressé l’argent que j’ai détourné. L’argent acquis par la corruption ou le détournement ne m’appartient absolument pas, et si je le garde je continue à voler et à pécher gravement. Si je suis chrétien et que je vis dans une telle situation, je ne peux évidemment pas prendre part à la Communion eucharistique.
  7. 8. La corruption et le détournement des biens sociaux font partie de ce que le Pape Jean-Paul II a appelé dans l’Exhortation apostolique Reconciliatio et paenitentia ( sur la Réconciliation et la pénitence) le péché social, et dans la Lettre encyclique Sollicitudo rei socialis (sur l’Engagement social de l’Église) les structures de péché.

Notre pays semble de fait installé dans la corruption. Chacun de nous semble obligé de corrompre ou d’être corrompu. Nous sommes comme obligés de vivre avec la corruption, de l’accepter dans notre existence quotidienne, et ainsi, nous ne faisons que la renforcer sans cesse. Il semblerait que nous ne puissions rien faire pour nous en débarrasser. Écoutons cependant bien ce que nous dit le Pape : « La somme des facteurs négatifs qui agissent à l’opposé d’une vraie conscience du bien commun universel et du devoir de le promouvoir, donne l’impression de créer, chez les personnes et dans les institutions, un obstacle très difficile à surmonter à première vue. Si la structure actuelle relève de difficultés de nature diverse, il n’est pas hors de propos de parler de « structures de péché » lesquelles ont pour origine le péché personnel et, par conséquent, sont toujours reliées à des actes concrets des personnes, qui les font naître, les consolident et les rendent difficiles à abolir. Ainsi elles se renforcent, se répandent et deviennent sources d’autres péchés, et elles conditionnent la conduite des hommes » ( Sollicitudo rei socialis, 36).

« Quand elle parle de situations de péché ou quand elle dénonce comme péchés sociaux certaines situations ou certains comportements collectifs de groupes sociaux plus ou moins étendus, l’Église sait et proclame que ces cas de péché social sont le fruit, l’accumulation et la concentration de nombreux péchés personnels. Il s’agit de péchés tout à fait personnels de la part de ceux qui, bien que disposant du pouvoir de faire quelque chose pour éviter, éliminer ou au moins limiter certains maux sociaux, omettent de le faire par incurie, par peur et complaisance devant la loi du silence, par complicité masquée ou par indifférence, de la part de ceux qui cherchent refuge dans la prétendue impossibilité de changer le monde. Les vraies responsabilités sont donc celles des personnes » ( Reconciliatio et paenitentia, 16). L’expression « tout le monde le fait » ne justifiera donc jamais que moi, personne libre et responsable, je participe à ce scandale odieux de la corruption et des détournements de bien.

  1. 9. Une lumière brille pourtant dans ce tableau si sombre que nous avons présenté. Des chrétiens, et d’autres personnes de bonne volonté dans notre pays, ont dit non à la corruption et continuent à le dire. Nous connaissons tous, grâce à Dieu, des magistrats intègres, des agents chargés de l’ordre et de la sécurité corrects, des fonctionnaires consciencieux, des comptables honnêtes, des enseignants passionnés par leur tâche d’éducateurs et des agents de santé tout dévoués à leurs malades… Ils ne cherchent pas un enrichissement sordide et égoïste mais poursuivent, dans la vérité et l’honnêteté, le bonheur et le progrès de leurs concitoyens et de leur pays. Merci à Dieu pour leur présence au milieu de nous.
  2. 10. Des citoyens honnêtes disent non à la corruption en refusant de payer ce qui est exigé par le corrompu, et cela demande un courage parfois héroïque : Je veux inscrire mon enfant au lycée, mais le proviseur exige 20 000 francs (francs C NDLR). Si je ne les donne pas, mon enfant sera refusé. Quel sera alors l’avenir de mon enfant ? Un agent de l’ordre me propose de lui donner 2 000 francs pour mes freins mal réglés. Je ne veux pas les donner, mais je sais que c’est 25 000 francs que je devrai donner au tribunal !

Je peux refuser de donner au caissier les 30 % qu’il réclame, mais dans ce cas il retiendra mon salaire, et comment alors vivra ma famille ? Que vais-je faire quand le juge me dit : « Si vous me donnez 500 000 francs votre frère sera acquitté, si vous me donnez 250 000 francs il aura un an de prison, si vous ne me donnez rien il aura le maximum de la peine ? Je veux voir le médecin avec en main les 2 000 francs prévus pour les frais, mais on exige que je donne en plus 5 000 francs pour cette consultation. Que dois-je faire ? Ceux qui refusent de corrompre dans de telles circonstances accomplissent un acte de grande noblesse et sont l’honneur de notre pays.

  1. 11. Nous inspirant de la Parole de Dieu et de l’enseignement social de l’Église, nous, vos pasteurs, en prière et dans la réflexion, voulons dénoncer et combattre le scandale de la corruption qui mine la société camerounaise. En donnant la loi à son peuple, Dieu connaît bien la méchanceté et la dureté de coeur qui peuvent caractériser les relations humaines souvent marquées par de profondes injustices : « Vous ne commettrez point d’injustice dans les sentences. Tu ne feras pas de faveurs au petit ni ne te laisseras éblouir par le Vous ne commettrez pas d’injustice dans les sentences, dans les mesures de longueur, de poids ou de capacité. Vous aurez des balances justes, des poids justes, des mesures justes » (Lv 19, 15. 35).

Le même souci de justice revient tout au long de la Bible : « Tu n’exploiteras pas le salarié humble et pauvre, qu’il soit d’entre tes frères ou étranger en résidence chez toi. Tu ne porteras pas atteinte au droit de l’étranger et de l’orphelin, et tu ne prendras pas en gage le vêtement de la veuve » (Dt 24, 14. 17). Pour Dieu, l’injustice est certainement plus odieuse encore quand elle se passe dans les tribunaux : « En vérité, magistrats, parlez-vous de justice ? Jugez-vous avec rectitude les fils de l’humain ? Mais non ! De coeur, vous fabriquez le faux, et de vos mains, sur terre, vous balancez la violence » (Ps 58, 2-3). « Maudit soit celui qui accepte un présent pour frapper mortellement une vie innocente » (Dt 27, 25). Injustices et corruption dans les procès peuvent conduire l’homme à ôter la vie à l’innocent.

12.Les prophètes ont eux aussi été confrontés à la situation déplorable que nous vivons aujourd’hui. Au nom de leur foi en Dieu et de leur mission d’envoyés du Seigneur, ils ont dénoncé avec force les injustices de leur temps.

Michée condamne la corruption des dirigeants, des juges et des prêtres : « Écoutez donc ceci, chefs de la maison de Jacob, et princes de la maison d’Israël, vous qui avez en horreur la justice et qui pervertissez tout ce qui est droit, vous qui bâtissez Sion avec le sang, Jérusalem avec l’iniquité ! Ses chefs jugent pour des présents, ses prêtres énoncent leurs sentences pour un salaire, et ses prophètes vaticinent à prix d’argent. Et ils osent s’appuyer sur le Seigneur, ils disent : le Seigneur n’est-il pas au milieu de nous ? Le malheur ne nous atteindra pas… » (Mi 3, 9-11). Amos fait le procès du royaume d’Israël, en s’attaquant aux « vaches du Bashân » (Am 4, 1), femmes repues de hauts fonctionnaires véreux et corrompus. Celles-ci demandent à leurs maris de continuer à exploiter le peuple afin qu’elles soient mieux servies. Amos dénonce alors le luxe insolent des exploiteurs des petits : « Vous croyez lointain le jour du malheur, mais vous hâtez le règne de la violence ! Étendus sur des lits d’ivoire, vautrés sur leurs couches, ils mangent les agneaux du troupeau, les veaux pris à l’étable. Ils braillent au son des instruments de musique, ils boivent le vin dans de larges coupes, ils se frottent avec les meilleurs parfums mais ils ne s’affligent pas de la ruine de Joseph ! C’est pourquoi ils seront emmenés en tête des déportés, et c’en sera fini de l’orgie des vautrés ! » (Am 6, 3 -7).

Et c’est encore à nous qu’Amos semble s’adresser quand il dit : « Écoutez ceci, vous qui dévorez le pauvre et qui ruinez les malheureux du pays ! Vous dites : quand la nouvelle lune sera-t-elle passée, afin que nous vendions le grain ? Quand finira le sabbat, afin que nous ouvrions les greniers ? Nous diminuerons la mesure, nous augmenterons le prix, nous falsifierons les balances, puis nous achèterons les misérables pour de l’argent et le pauvre pour une paire de sandales : nous les ravitaillerons avec les déchets du grain. Le Seigneur l’a juré par la gloire de Jacob : jamais je n’oublierai aucune de leurs actions ! » (Am 8, 4-7).

Le tapage de la corruption finit par couvrir parfois entièrement la voix de la sagesse et de l’honnêteté : « Ils haïssent celui qui les réprimande à la porte, ils ont en horreur celui qui parle avec honnêteté. C’est pourquoi en des temps comme ceux-ci, le sage se tait, car ces temps sont mauvais » (Am 5, 10.13).

  1. 13. À l’aube du Nouveau Testament, Jean-Baptiste prépare la venue de Jésus en exigeant la justice : « Des publicains vinrent se faire baptiser et lui dirent : Maître, que nous faut-il faire ? Il leur répondit : n’exigez rien au-delà de ce qui vous est fixé. À leur tour, des soldats lui demandèrent : et nous, que nous faut-il faire ? Il leur répondit : ne prenez d’argent à personne par la force, ne dénoncez pas faussement, et contentez-vous de votre solde » (Lc 3, 12 -14).
  2. 14. Jésus a parlé avec une force jamais égalée contre ceux qui, par amour de l’argent et du pouvoir, méprisent et écrasent les pauvres, contre « ceux qui dévorent les biens des veuves et le dissimulent en faisant de longues prière « Ils subiront », dit Jésus, « la plus rigoureuse condamnation ! » (Mc 12, 40). « Malheureux êtes-vous, vous qui versez la dîme de toutes les plantes du jardin, et qui laissez de côté la justice et l’amour de Dieu. Malheureux, vous qui chargez les hommes de fardeaux accablants ! » (Lc 11, 42.46). Et Jésus continue : « Au-dehors vous offrez aux hommes l’apparence de justes, alors qu’au-dedans vous êtes remplis d’hypocrisie et d’iniquité. Serpents, engeance de vipères, comment pourrez-vous échapper au châtiment de la géhenne ? » (Mt 23, 28-23). « Va-t-en loin de moi, maudit, au feu éternel qui a été préparé pour le diable et ses anges. Car j’avais faim, j’avais soif, j’étais étranger, nu, malade et en prison, et tu ne m’as pas visité » (cf. Mt 25, 41-43). Tu ne m’as même pas regardé, ajouterait Jésus aujourd’hui, sinon pour me voler le peu que j’avais pour vivre. « Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice ! » (Mt 5, 6). La corruption est une atteinte grave au Commandement de Dieu qui demande à l’homme d’aimer le prochain comme Jésus nous a aimés. Tu es mon frère, tu es ma soeur, enfant de Dieu comme Moi, et je t’aime. Je ne viens pas pour te voler ! Que puis-je au contraire te donner ? mon temps ? mes biens ? mon coeur ? ma vie ?
  3. « À l’heure de passer de ce monde à son Père, Jésus, qui a aimé les siens qui sont dans ce monde, les aime jusqu’à l’extrême. Il se lève, dépose son vêtement, noue le tablier. Il verse ensuite de l’eau dans un bassin, et se met à laver les pieds de ses disciples » (Jn 13, 1.4-5). « Si je vous ai lavé les pieds, moi le Seigneur et Maître, vous devez vous aussi vous laver les pieds les uns aux autres. Je vous donne un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous devez vous aussi vous aimer les uns les autres » (Jn 13, 14 -34).

15.Marie s’est fait l’écho de cette révolution incroyable qui est celle de l’amour et qui bouleverse tous les calculs sordides de la cupidité et du pouvoir : « Le Puissant a fait pour moi de grandes choses, il a regardé sa petite servante, et de toute la force de son bras il disperse les orgueilleux, renverse les puissants de leurs trônes, renvoie les riches les mains vides » (Lc 1, 48-53).

  1. 16. Avec son réalisme tranchant, saint Jacques dénonce lui aussi les situations d’injustice et rappelle aux grands leurs devoirs : « À vous maintenant, les riches ! Pleurez, hurlez pour les malheurs qui vont vous arrive Vos richesses sont pourries, vos vêtements sont rongés par les vers, votre or et votre argent sont rouillés, et leur rouille s’élève en témoignage contre vous et dévorera vos chairs comme un feu. Vous amassez des trésors et ce sont les derniers jours ! Voici, le salaire que vous avez volé aux ouvriers qui ont moissonné vos champs, et les cris des moissonneurs sont parvenus aux oreilles du Seigneur de l’Univers » (Jc 5, 1-4). Frères et soeurs, comme vous le voyez, la Parole de Dieu lance un appel pressant à tous, et de façon particulière à ceux qui détiennent le pouvoir ou une parcelle d’autorité dans ce pays. Qu’ils cessent de faire souffrir les plus petits, les pauvres et les faibles, « créés à l’image et à la ressemblance de Dieu » (Gn 1, 27).
  2. 17. L’Assemblée du Symposium des Conférences épiscopales d’Afrique et de Madagascar (SCEAM) nous disait en 1984, dans un document intitulé L’Église et la Promotion humaine en Afrique aujourd’hui. « Des facteurs tant externes qu’internes entravent le développement harmonieux de l’Afrique, nous les dénonçons. À tout cela s’ajoute la corruption sous toutes ses formes : mépris de la personne humaine, violation des droits de l’homme, tribalisme, prostitution, détournement des deniers publics, gaspillage du patrimoine national à des fins de prestiges, mauvaise gestion du bien commun, entraînant des catastrophes économiques même dans des pays très richement pourvus par la nature ».

Un autre document du SCEAM consacré à Justice et Paix et publié en 1981 dénonçait déjà « la désorganisation des services administratifs privés de leur âme que sont la conscience professionnelle et le dévouement aux autres ».

« Et qui en récoltera les fruits amers ? demande ce document. Le petit monde de la classe rurale et ouvrière, le fonctionnaire moyen dont le pouvoir d’achat s’effrite de jour en jour, face à la prospérité insultante d’une minorité de nantis » ( DC 1981, n. 1818, p. 1011. NDLR).

  1. 18. L’Assemblée spéciale pour l’Afrique du Synode des évêques a elle aussi profondément déploré cette situation, et dans l’Exhortation apostolique « Ecclesia in Africa » (L’Église en Afrique) qu’il a publié chez nous à Yaoundé à la suite de ce Synode, le Pape Jean-Paul II rappelle que des actions énergiques doivent être entreprises afin d’enrayer ce mal qui mine les jeunes pays d’Afrique : « Les Pères du Synode furent unanimes à reconnaître que le plus grand défi pour réaliser la justice et la paix en Afrique consiste à bien gérer les affaires publiques dans les deux domaines connexes de la politique et de l’économie. Beaucoup de problèmes du continent sont la conséquence d’une manière de gouverner souvent entachée de corruption. Il faut un vigoureux réveil des consciences, avec une ferme détermination de la volonté, pour mettre en oeuvre des solutions qu’il n’est désormais plus possible de remettre à plus tard » ( Ecclesia in Africa, 113). Au lieu d’être sel de la terre et lumière du monde (Mt 5, 13-14), bon nombre de chrétiens sont eux aussi responsables de tels forfaits !

19.L’Association des Conférences épiscopales de la Région de l’Afrique Centrale (ACERAC) a consacré son assemblée plénière, en 1999 à Yaoundé, au thème de la sécurité et de la paix en Afrique Centrale, dénonçant elle aussi les intérêts sordides du pouvoir et de l’argent comme étant les maux principaux qui minent nos pays : « Quant la corruption devient un mode de vie banalisé, pratiqué par la plupart en toute bonne conscience, celui qui se l’interdit en vient à se demander s’il ne commet pas une injustice à l’égard de ceux de sa famille, en les privant d’un droit auquel tous recourent… » ( Document final, p. 56).

  1. 20. Si nous voulons maintenant entrer dans le vif du sujet et dénoncer les situations de corruption au Cameroun, ce n’est pas pour mettre en cause des personnes déterminées, mais pour nous remettre tous en cause. Il ne suffit pas que l’un ou l’autre Camerounais seulement se sente visé par nos paroles, mais il faut que tous nous nous sentions visés, interpellés, à commencer par les chrétiens, particulièrement ceux qui ont des responsabilités importantes dans l’Église ou dans la société. Il faudrait que chaque Camerounais comprenne que cette lettre lui est adressé personnellement, bien sûr, mais il faudrait aussi qu’il la considère comme écrite par lui, adressée par lui à ses frères et soeurs.
  2. 21. Le niveau très élevé de la corruption dans notre pays a été relevé par certaines études locales et confirmé par Transparency International, une Organisation Non Gouvernementale dont la mission est de suivre l’indice de perception de la corruption dans le monde entie Par deux fois, en 1998 et en 1999, cette organisation a classé le Cameroun comme le pays le plus corrompu sur quatre-vingt-dix-neuf pays enquêtés. Ce classement déshonore notre peuple. Il a fini par attirer l’attention de la plupart des Camerounais sur ce fléau considéré à juste titre comme l’un des plus grands maux de notre société.
  3. 22. Dans plusieurs secteurs de la vie nationale, parallèlement à la réglementation de l’État qui a pour but de garantir le bien commun, il existe un ensemble de règles informelles et de pratiques douteuses. Ces pratiques de corruption font rarement l’objet de poursuites judiciaires, elles s’étalent apparemment en toute impunité. La recherche du bien commun se trouve remplacée par l’injustice sociale ; la paix est compromise.

La corruption est à la racine de l’actuelle crise économique et du montant élevé de la dette extérieure. Les montants empruntés sont rarement utilisés de façon efficiente ou pour les fins prévues. C’est pourquoi la dette et les intérêts n’ont cessé de croître, ne garantissant rien d’autre que la pauvreté pour les futures générations qui continueront à devoir payer cette dette.

  1. 23. La forme de corruption la plus onéreuse pour notre pays se situe au niveau de l’attribution des marchés. Au lieu de considérer uniquement le sérieux et la compétence de l’entreprise qui propose ses services, on cherche d’abord à savoir combien elle est prête à verser sous la table. On se met ainsi, comme certains l’ont souligné, à la merci des aventuriers que l’on retrouve trop souvent dans les appels d’offre, gens incompétents dont la seule activité sera de gaspiller les fonds de l’État.

Il arrive aussi que des responsables de service exigent pour eux 30 %, 50 % des sommes prévues par le contrat, parfois davantage, comme prix de leur signature. Par leurs exigences odieuses, ils retardent longuement et parfois même empêchent la réalisation de projets qui seraient souvent si utiles au pays et que les bailleurs de fonds seraient prêts à financer. Comment se fait-il que de telles personnes ne soient pas punies par la loi et les tribunaux ? De plus, selon la pratique courante, les projets publics et privés sont surfacturés parfois très largement. Il est si facile, par exemple, de déclarer l’achat de 50 tonnes de ciment alors que 20 ou 30 tonnes seulement seront utilisées dans la réalisation du projet. Le reste sera volé par les responsables de l’entreprise et revendu sur les marchés à leur bénéfice personnel. Quant à l’ouvrage réalisé avec la moitié du ciment prévu, il restera inachevé ou fragile et sera à recommencer l’année suivante. Cette situation compromet gravement notre coopération avec les pays amis.

  1. 24. L’État perd également de gros montants d’argent dans le domaine des impôts. Des percepteurs sans scrupule sont prêts à annuler des sommes importantes qui seraient dues par les entreprises, moyennant des bénéfices personnels. Et c’est toute la nation camerounaise qui est perdante, puisque cet argent qui aurait pu être investi dans le développement du pays, pour construire des routes, des écoles et des centres de santé, est détourné et gaspillé.
  2. 25. Encouragés par ces exemples, des agents de l’État malhonnêtes se livrent à leur tour à de multiples marchandages. Douaniers et forces de l’ordre extorquent l’argent des usagers au bord des routes, alors que le règlement leur interdit d’accepter des dons dans l’exercice de leurs fonctions. On vend des permis de conduire à des chauffeurs inexpérimentés. En échange de quelques billets, les agents de la sécurité ferment les yeux sur les véhicules en mauvais état ou sans signalisation, qui représentent pourtant pour tous les usagers un danger mortel.
  3. 26. Les affectations du personnel administratif et l’accès aux postes de responsabilité se négocient souvent selon des taux convenus ou sur la base de l’appartenance au réseau du fonctionnaire en charge. Il en est de même de certains examens officiels et concours d’entrée dans les grandes écoles, qui sont parfois remplacés par des études de dossier.

À leur tour, enseignants, professeurs et directeurs d’établissements secondaires et professionnels réclament de l’argent pour inscrire un élève ou pour le faire monter dans la classe supérieure. De l’école primaire à l’Université, le recours à l’argent ou au cadeau de toute nature pour bénéficier de la faveur de l’enseignant est aujourd’hui de règle. À l’approche des examens, élèves, étudiants et parents, défiant toute moralité, s’activent à la recherche de l’épreuve ou du bon réseau de négociation de diplômes. Notre jeunesse, il faut le répéter, est ainsi de plus en plus convaincue que la réussite est moins dans l’effort et la recherche de l’excellence que dans la capacité d’user de son pouvoir et de son avoir pour corrompre.

Ce sont bien sûr les enfants de familles riches qui peuvent acheter les places intéressantes et donner les pots-de-vin nécessaires pour obtenir les diplômes. Mais quelle est la valeur réelle de tels diplômes, puisqu’en réalité ces fraudeurs n’ont rien appris ni acquis une quelconque compétence ? Quel avenir sommes-nous en train de préparer, quelle élite sommes-nous en train de former ?

  1. 27. Des agents de santé, médecins, infirmiers, matrones, exigent de l’argent avant de regarder un patient.  Les malades de condition modeste, qui ont déjà tant de difficultés à avoir accès aux soins à cause de la crise économique, ne peuvent faire face à ces exigences infâmes et renvoient sans espoir leur visite médicale à plus tard.

D’autres agents de santé détournent les médicaments pour les revendre à leur bénéfice personnel. Même des échantillons gratuits sont l’objet de ce commerce. Le trafic honteux des produits pharmaceutiques est bien connu. Des médicaments de qualité douteuse sont ainsi disponibles sur le marché et constituent une réelle menace, parfois mortelle, pour les populations.

Les malades sont ainsi devenus la proie de certains professionnels véreux de la santé, qui ont évacué de leur conscience l’esprit de sacrifice et d’abnégation au service de la cause humaine pour le remplacer par la course effrénée au gain facile. De plus l’accès à cette profession si noble, qui exige de solides aptitudes techniques, scientifiques et morales, se négocie pour de nombreux candidats sur la base de l’avoir et du pouvoir, depuis le concours d’entrée jusqu’à la sortie de l’école.

28.La forme de corruption la plus grave pour notre pays se situe au niveau de notre système judiciaire qui a pourtant pour mission de faire régner l’équité. Des magistrats, juges et procureurs vendent leur jugement au plus offrant. Les prévenus qui sont incapables de payer devront passer des années en prison, parfois même sans avoir été jamais jugés, en flagrante violation des droits humains et des lois du pays. Et lorsqu’une décision de justice est finalement rendue, son exécution n’est pas évidente. Nos palais de justice deviennent de plus en plus des épouvantails pour les justiciables pauvres et sans relation. Parce qu’ils sont exclus du réseau de la corruption, ils se trouvent exposés à toutes les injustices. La situation est particulièrement angoissante pour ceux qui sont innocents de ce dont on les accuse.

Les sociétés publiques et parapubliques surfacturent les consommations et les services sans que les victimes aient le moyen d’être rétablis dans leurs droits, par suite de ces déficiences de notre système judiciaire. Rares sont ceux qui croient encore en la capacité de certains tribunaux de rendre la justice honnêtement. Et lorsqu’un peuple perd confiance dans son système judiciaire, il se fait justice lui-même. L’arbitraire s’instaure. Ainsi, l’une des conséquences les plus visibles chez nous de la corruption est le remplacement de la justice officielle par la justice populaire. Des Camerounais se plaignent que les bandits arrêtés soient remis en liberté sans que la justice soit appliquée. Ils estiment donc, au mépris de la vie humaine, que la meilleure solution est de tuer ces malfaiteurs sur place. Il suffit de crier Au voleur ! pour que la foule batte à mort l’individu.

La lutte contre le grand banditisme devient prétexte à de nouvelles formes de violence, se manifestant par de nombreux cas de tortures, de blessures graves et d’assassinats pratiqués sur des personnes qui n’ont pas encore été jugées et dont on ne sait même pas si elles sont coupables ou innocentes. Nous condamnons des innocents et laissons libres des coupables dans notre société de corruption et de violence.

  1. 29. Même si l’on assiste à certains redressements, la corruption dans le secteur financier est encore souvent pratiquée ouvertement. Des caissiers ne remettent au bénéficiaire le montant de son bon de caisse que s’il abandonne le tiers de la somme. Dans certains services, un taux, non officiel mais bien connu, doit être payé à des démarcheurs experts dans le suivi des dossiers. Parmi ces démarcheurs, se trouvent souvent des employés du Ministère des Finances, et aucun dossier ne peut aboutir sans leur intervention. Ils vous font comprendre qu’avec 10 000 ou 20 000 francs le dossier avancerait plus facilement. L’individu ainsi escroqué, sans défense, éprouve un profond sentiment d’humiliation et d’amertume.
  2. 30. Voilà donc comment la corruption s’installe chez nous.  La nation camerounaise y perd plus que son argent et sa prospérité économique : elle y perd son âme. Nos jugements de valeur sont faussés, notre conscience est déformée. Comment en sommes-nous arrivés là ?
  3. 31. C’est la cupidité, c’est-à-dire l’amour de l’argent, qui a perverti les plus belles de nos valeurs traditionnelles africaines. La solidarité, la protection des personnes faibles et vulnérables ainsi que leur insertion dans la société sont évacuées au profit de l’égoïsme. La cupidité favorise une situation où chacun s’occupe de soi-même et où les démunis sont écrasés. Dans ce climat, les gens cherchent à acheter des postes de responsabilité, non pour servir, mais pour en tirer des avantages financiers. Car à l’amour de l’argent est lié l’amour du pouvoir, qui donne accès à l’argent. L’égoïsme, l’individualisme, le chacun pour soi si étranger à notre sagesse ancestrale, s’est installé chez nous de façon incompréhensible, à cause de l’amour de l’argent.

32.La misère consécutive à la crise économique et à la réduction des salaires passe pour être une autre cause de la corruption. Les agents corrompus se donnent ainsi bonne conscience en croyant trouver une raison pour transformer les administrations publiques et privées en lieux de marchandages permanents. Il est vrai que notre peuple ploie aujourd’hui sous le poids d’une pauvreté indigne. Certains citoyens ont alors la tentation de croire que la corruption est la seule possibilité qui leur est offerte pour améliorer leurs conditions de vie. Ces corrupteurs oublient seulement que cet argent volé, soi-disant destiné à résoudre leurs propres problèmes de pauvreté, est violemment et injustement extorqué à des gens souvent bien plus pauvres qu’eux.

33.Les intérêts politiques et ethniques sont également à la racine de la misère morale que nous connaissons aujourd’hui. Le tribalisme, que nous avons vigoureusement dénoncé par notre Lettre pastorale sur le Tribalisme, en 1996 ( DC 1997, n. 2155, p. 240-242. NDLR), est intimement lié à la corruption et à ses conséquences que sont la pauvreté économique et la misère morale.

Ces intérêts politiques et familiaux nous rendent aveugles et nous empêchent de combattre la corruption. Nous avons tendance à excuser et à couvrir les fautes de ceux qui nous sont proches par les liens politiques ou tribaux. Ce faisant, nous favorisons l’impunité qui nous fait tant de mal dans notre lutte contre la corruption.

  1. 34. Ne pas parler haut et fort de la corruption serait garder un silence coupable. Ne pas la combattre énergiquement serait une lâcheté inacceptable. Et ne rien faire de sérieux pour éradiquer ce fléau serait trahir notre peuple. Il faut donc former nos concitoyens à une plus forte perception de ce mal pour mieux le soigner. Il s’agit de développer un peu partout une plus grande prise de conscience des droits et des devoirs des citoyens, pour dénoncer la corruption et combattre ses conséquences à travers la nation, surtout chez les jeunes en quête d’idéal et de repères solides pour leur épanouissement harmonieux.

C’est pourquoi, fidèles à notre mission de Pasteurs, nous rappelons aux chrétiens et à tous les hommes de bonne volonté le devoir de s’opposer à la corruption sous toutes ses formes, et d’instaurer dans notre pays la justice et la paix. La corruption, contrairement à ce que certains pensent, n’est pas une fatalité qui nous tomberait du ciel et contre laquelle nous ne pourrions rien faire. « Je suis avec vous », nous a dit Jésus, « jusqu’à la fin des temps » (Mt 28, 20). Avec l’aide de Dieu, prenons ensemble la décision d’extirper désormais de nos comportements toute corruption, dans l’Église, dans nos services publics et privés, dans tous les lieux où elle se manifeste. Pour combattre la corruption, quels remèdes apporter aux trois causes que nous avons signalées ?

35.Le remède à la cupidité, c’est le partage. Les biens de la terre ne sont pas faits pour un profit égoïste et personnel, ils sont faits pour être partagés et pour servir au bonheur de tous. Tout ce que nous avons nous a été confié pour procurer le bonheur à notre entourage, à notre famille, aux pauvres, aux malades.

Si j’accumule des richesses inutiles et superflues alors que mon frère, mon voisin, vit dans le besoin, je crée une situation d’injustice. Et ceci est bien sûr encore plus vrai si j’ai volé ces richesses à mon voisin par la corruption. Le Catéchisme de l’Église catholique cite saint Jean Chrysostome : « Ne pas faire participer les pauvres à ses propres biens, c’est les voler et leur enlever la vie. Ce ne sont pas nos biens que nous détenons, mais les leurs ». Il cite aussi saint Grégoire le Grand : « Quand nous donnons aux pauvres les choses indispensables, nous ne leur faisons point de largesses personnelles, mais nous leur rendons ce qui est à eux. Nous remplissons bien plus un acte de justice que nous n’accomplissons un acte de charité » (Catéchisme de l’Église catholique, n. 2446). « Tout ce que tu as, donne-le aux pauvres » dit Jésus (Lc 18, 22). Ceci nous renvoie loin des préoccupations sordides et égoïstes des corrompus !

Les premiers chrétiens avaient bien compris cela : « Ils mettaient tout en commun, partageaient selon les besoins de chacun, aussi nul parmi eux n’était dans le besoin » (Ac 2,44-45 ; 4, 34).

  1. 36. Le remède à la pauvreté, tout comme à la paresse et au parasitisme, c’est le travail honnête. Notre Cameroun est riche, riche des ressources qui proviennent de son sol et de son sous-sol, riche des citoyens compétents et bien formés. Nous devrions depuis longtemps être un pays aisé et prospère, où chacun trouve sa joie dans un travail épanouissant, source de profits honnêtes et de prospérité croissante. Par notre corruption, nos détournements et nos gaspillages, nous sommes aussi, nous-mêmes, les premiers responsables du sous-développement de notre pays.
  2. 37. Le remède aux intérêts sordides, c’est la bonne gouvernance : la clarté des comptes, le désintéressement des autorités, qui décident enfin de travailler non pour elles-mêmes ou pour leurs intérêts tribaux ou politiques mais pour le pays, pour le bien commun, pour le vrai bonheur de tous.

Il faut avoir la volonté effective de dépister la corruption et de la combattre. Les traces de la corruption sont visibles là où, par exemple, la prospérité matérielle de certaines personnes n’est manifestement pas justifiable par leurs revenus officiels. Il suffit donc d’avoir la volonté politique de les rechercher et, après les avoir vues, de faire appliquer correctement la loi.

L’impunité dont jouissent corrupteurs et corrompus accentue les pratiques de la corruption au sein de la société camerounaise.

Que sont devenues les affaires de corruption qui ont défrayé la chronique des journaux depuis dix ans ? Où est parti l’argent volé ? Où se trouvent aujourd’hui les fonds volés et comment l’État envisage-t-il de les récupérer pour réparer le préjudice causé au pays ? Les responsables politiques ont l’impérieux devoir de clarifier ces situations, quels que soient les liens politiques ou familiaux qu’ils ont avec les coupables.

Déjà le Message final de l’Assemblé spéciale pour l’Afrique du Synode des évêques, en mai 1994, attirait fortement l’attention sur cette exigence. Les Pères du Synode disaient en effet : « Nous rappelons à tous nos frères africains qui ont détourné des fonds publics qu’ils sont tenus en justice de réparer le tort fait à nos peuples » (Message, 32) ( DC 1994, n. 2095, p. 530. NDLR). Ce qui est dit pour les fonds publics est évidemment valable aussi quand il s’agit des fonds de sociétés privées ou de l’Église ainsi que des torts commis contre des personnes. Ce que j’ai volé par la corruption ou pris par ruse ou sous la menace ne m’appartient pas, et je dois le rendre à celui à qui je l’ai extorqué. « La réparation de l’injustice commise exige la restitution du bien dérobé à son propriétaire » (Catéchisme de l’Église catholique, n. 2412).

  1. 38. Notre pays s’est donné, tout au long des années quatre-vingt-dix, des moyens juridiques d’accroître la solidarité entre tous les Camerounais. Des textes de lois nous permettent aujourd’hui de nous mettre ensemble ou face à face pour discuter et résoudre, par le dialogue, nos problèmes communs. Il ne semble pas que ces possibilités de concertation soient bien perçues par tout le monde. Pourtant la corruption ne saurait être vaincue par un combat solitaire, ou si nous restons en rangs dispersés.

Les Camerounais devraient saisir tous les moyens politiques et juridiques disponibles, et les parfaire là où ils sont insuffisants, pour détruire les structures de corruption dans notre pays. Nous devrons ensuite nous fixer ensemble des priorités, dans le domaine de l’éducation, de la santé, des infrastructures. Tant de populations de notre pays sont encore enclavées au fond des forêts ou derrière les montagnes, manquant d’eau, d’écoles, de centres de santé, de routes pour circuler et écouler les biens qu’ils produisent, pendant que l’argent de l’État qui pourrait leur rendre la vie et la dignité est détourné pour aller enrichir les banques étrangères.

  1. 39. Que les moyens de communication publics et privés entreprennent et animent une campagne permanente de lutte contre la corruption. Les initiatives prises déjà ici et là n’ont été ni suffisantes ni efficace. Certains journalistes semblent même s’acharner à démontrer contre toute évidence que ceux qui taxent notre pays de corrompu nous accusent injustement, la situation n’étant pas plus brillante chez eux. De telles réactions nous démobilisent, elles nous font croire que la corruption, chez nous, ne serait pas aussi grave qu’on le dit, ce qui est contraire à la réalité.

C’est pourquoi nous invitons les journaux du pays à présenter aux lecteurs de nombreux articles et bandes dessinées sur la corruption. Nous invitons aussi la radio et la télévision à organiser de manière plus régulière et rationnelle des conférences – débats, tables rondes, reportages, interviews, documentaires et spots publicitaires sur ce thème. Que les artistes qui en ont le talent, au cinéma, au théâtre, par la danse et les ballets, les chansons, les contes, la poésie, la musique, la sculpture ou la peinture mettent leur génie créateur au service d’une telle cause, vitale pour la société camerounaise.

40.Les chrétiens engagés dans l’Église et dans la société, laïcs, prêtres, diacres, religieux et religieuses doivent être les premiers à s’interroger sur leur propre comportement vis-à-vis de l’argent et à s’investir dans la pastorale de lutte contre la corruption. En paroisse, au sein des communautés ecclésiales vivantes et des associations de fidèles, dans nos collèges et nos écoles, on recherchera et on mettra en oeuvre les moyens de combattre la corruption, partout, en commençant par nos propres institutions ecclésiales. Nous, vos évêques, recommandons aux prêtres et à tous les ouvriers apostoliques d’annoncer courageusement et dans son intégralité la doctrine sociale de l’Église, nourrie de la Parole de Dieu, et en particulier son enseignement sur l’usage de l’argent et des richesses.

41.La famille est par excellence le lieu où l’on doit enseigner et promouvoir les valeurs humaines et chrétiennes essentielles à la vie. « Le foyer est la première école de vie chrétienne et une école d’enrichissement humain » (Catéchisme de l’Église catholique, n. 1657). L’acquisition de ces valeurs ne se fait pas d’abord par des paroles mais par le témoignage de vie des parents, leur fidélité conjugale, l’honnêteté dans leurs relations avec la famille et l’entourage, comme cela vient d’être souligné par les participants au Jubilé des Familles à Bamenda, le 3 septembre 2000.

Face à une jeunesse souvent désorientée et laissée à elle-même, le rôle des parents est irremplaçable. Pour faire face à la corruption ils doivent tenir auprès de leurs enfants un langage incisif qui dénonce la paresse, fustige le mensonge, démasque l’hypocrisie. Loin d’entrer dans le jeu de leurs enfants ou d’encourager leurs tricheries, les parents doivent avoir des attitudes sévères et sans équivoque contre la fraude, la tricherie, le vol. Ils doivent sévir si leurs enfants se livrent à de tels actes. Les parents et les éducateurs insisteront aussi auprès des enfants sur l’obligation de réparer en toute justice les torts que ces maux causent au prochain et à la société.

  1. 42. Nous demandons avec insistance aux éducateurs, aux enseignants, aux professeurs de l’enseignement supérieur et aux responsables des inscriptions scolaires à tous les niveaux, de tout faire pour abolir la corruption en milieu scolaire et universitaire, pour l’honneur et l’avenir de notre pays.

Le système éducatif en vigueur chez nous accuse de profondes lacunes et offre à la corruption des conditions d’épanouissement inacceptables. La fraude, la tricherie, le harcèlement sexuel ou financier semblent s’ériger en lois universelles et tuent les valeurs de vérité, de justice, de transparence, considérées à tort comme vertus des faibles. Cette situation est extrêmement grave pour la formation de notre jeunesse, pour la qualité de notre enseignement et pour l’avenir du pays en général.

Nous demandons aux responsables des établissements et de l’administration scolaire de poursuivre et de punir avec sévérité, selon les lois en vigueur, ceux qui se livrent à de pareils actes.

Nous demandons aux enseignants de susciter à l’école le souci du travail bien fait, la nécessité de l’effort, le respect des autres, de leurs convictions, de leurs biens, le sens du bien commun, la générosité, l’esprit de service. Qu’ils apprennent aux élèves et aux étudiants à combattre la corruption en insistant sur ses conséquences pour notre pays. Qu’ils favorisent le travail en équipe, la solidarité, le partage, la franchise et l’intégrité morale dont les jeunes sont parfaitement capables. Qu’ils soient eux-mêmes fidèles à dispenser leurs cours sans absentéisme dès le jour de la rentrée des classes, et travaillent avec conscience professionnelle. Ils seront les premiers à se réjouir de pouvoir vivre dans un climat scolaire nouveau, enfin débarrassé de toute tricherie, et devenu tellement plus intéressant pour leur propre épanouissement professionnel.

  1. 43. Certaines Organisations Non Gouvernementales font un bon travail de développement dans notre pays et nous leur en sommes reconnaissants. Leur bonne gouvernance est une interpellation pour nos administrations et devrait stimuler notre gouvernement dans sa lutte contre la c Qu’elles continuent à nous aider, dans la mesure du possible, à démasquer les institutions nationales et internationales, les groupes et les personnes coupables de corruption, et à dénoncer les activités frauduleuses qui compromettent la justice et la paix à travers notre pays. Toutefois nous leur demandons de se garder elles-mêmes soigneusement de tout comportement malhonnête et de punir selon la justice et le droit ceux de leurs membres qui seraient reconnus coupables de pratiques de corruption.
  2. 44. Nous sommes conscients des efforts déployés par l’État dans la lutte contre la pauvreté. Toutes ces initiatives ne peuvent que nous réjouir, si elles portent véritablement les fruits que le peuple camerounais en attend. La réalité de tous les jours exige cependant de faire de sérieuses réserves sur les signes de prospérité annoncés dans un contexte d’insécurité notoire, de tribalisme féroce, d’injustice flagrante et de corruption à ciel ouvert.

Le gouvernement s’est aussi engagé dans la lutte contre la corruption. Les résultats positifs de cette campagne ne sont pas encore bien perceptibles. Ainsi, après l’arrestation de certains hauts fonctionnaires de l’État impliqués dans des détournements de biens publics, au lieu de demander que la justice poursuive son cours et que les deniers publics soient récupérés, certaines voix ont réclamé haut et fort la remise en liberté de ces compatriotes, sous prétexte que nous vivons tous les mêmes situations et que, par conséquent, il ne faut pas continuer les arrestations. Jusqu’à preuve du contraire, le commun des citoyens a d’ailleurs l’impression que cette opinion a prévalu et que le dossier Corruption a été classé sans suite.

L’impunité est certainement la cause principale du développement de la corruption dans notre pays. Nous demandons une nouvelle fois avec force que les auteurs de corruption et de détournement de biens publics soient poursuivis en justice et jugés selon la loi, afin que notre pays vive enfin dans la paix et la sécurité.

  1. 45. Nous voulons une justice intègre et indépendante. Nous demandons au Gouvernement de veiller scrupuleusement à l’intégrité morale des professionnels de la justice et de laisser ensuite cette justice fonctionner sans entrave. La lutte contre la corruption ne peut guère aboutir au sein d’un État dont les pouvoirs législatif, judiciaire et exécutif sont concentrés entre les mains des mêmes personnes, comme nous l’avons dit lors de notre Séminaire sur la Bonne Gouvernance, en 1998.

Il convient de rendre indépendant le Comité institué au plan national pour la lutte contre la corruption en y intégrant des membres des Comités Justice et Paix et des membres des Comités des Droits Humains. Par ailleurs un tel Comité serait davantage efficace si l’État en créait des antennes au niveau régional.

  1. 46. L’État a récemment entrepris le recensement de son personnel et un processus d’amélioration des conditions de travail de ses fonctionnaires et agents. Une juste revalorisation des salaires et un contrôle effectif des prix peuvent effectivement contribuer à une lutte efficace contre la corruption.
  2. 47. Nous invitons l’État à mettre en application dès la première année du troisième millénaire l’article 66 de la Constitution camerounaise du 18 janvier 1996 sur la déclaration des biens. Une telle mesure atténuerait les soupçons, médisances et calomnies au sujet des biens mal acquis. Elle participerait à l’éthique de la bonne gouvernance et de la transparence et serait ainsi un remède efficace contre la corr Le silence et le laxisme constatés dans le domaine de la déclaration des biens laissent aux Camerounais le triste sentiment que l’État ne veut pas lui-même sortir des structures de corruption, et font dire que les quelques cas confiés jusqu’à présent à la justice sont d’abord des règlements de compte.
  3. 48. Nous invitons notre gouvernement à élaborer des codes de conduite engageant les personnalités appelées à assumer de hautes responsabilités au sein de l’État. Ces codes de conduite les obligeraient en conscience devant la société et devant la loi.
  4. 49. L’un des plus efficaces remèdes contre la corruption serait de créer à travers le pays les conditions favorables aux élections transparentes. C’est pourquoi nous recommandons au gouvernement camerounais de favoriser partout ces conditions. Nous sommes convaincus qu’il faut laisser à notre peuple la liberté effective de choisir ses représentants et de rejeter éventuellement ceux qui auraient mal gouverné ou auraient détourné les fonds publics. La perspective claire d’une saine alternance à la tête des institutions de la République constitue aujourd’hui une forte préoccupation pour les citoyens désireux de vivre dans un authentique État de droit. L’immobilisme, au contraire, ne peut que favoriser la corruption, la permissivité et surtout l’impunité qui est la cause de la plupart de nos malheurs.
  5. 50. Face aux multiples conflits qui déchirent le monde et l’Afrique en particulier, notre pays demeure encore un îlot de paix relative. Malheureusement des compatriotes multiplient ici et là des foyers de tensions qui fragilisent l’unité et la sécurité si chères à nos populations. Si la corruption n’est pas résolument combattue et continue à prospérer chez nous avec toutes les injustices meurtrières et les haines qu’elle engendre, notre pays ne pourra que s’exposer davantage au danger d’une destruction aux conséquences imprévisibles.
  6. 51. Affrontés à ces situations difficiles, ne perdons pas espoir. Certains pays, dont plusieurs pays d’Afrique, vivent pratiquement sans connaître la corruption : pourquoi n’y arriverions-nous pas nous aussi ? Nous savons qu’en réalité les Camerounais aiment leur pays et ne désirent pas le voir voler en éclats. Bon nombre de citoyens, nous l’avons dit, donnent le meilleur d’eux-mêmes pour résister à la corruption, au prix d’innombrables sacrifices. Nous en rendons à nouveau grâce à Dieu, et avons le ferme espoir que leur exemple entraînera les autres.

Nous demandons à tous que soit engagée une action concrète et unanime contre la corruption.

Nous sommes convaincus que les chrétiens et tous les hommes de bonne volonté répondront positivement à notre appel, pour édifier un Cameroun de justice, de paix et de prospérité.

  1. 52. Conscients que « si le Seigneur ne bâtit la maison, c’est en vain que peinent les maçons » (Ps 126, 1), en cette année jubilaire nous invitons le Peuple de Dieu qui est au Cameroun à implorer son Créateur dans sa lutte contre cette gangrène qu’est la corruption.

Le Jubilé est un temps de conversion, et la conversion commence par une demande de pardon : « Mon Dieu, prends pitié du pécheur que je suis » (Lc 18, 13). Chacun de nous doit demander à Dieu pardon du fond du coeur en cette année du Jubilé, pardon pour toutes ses fautes mais pardon spécialement pour les fautes contre l’honnêteté et la justice. Aucun d’entre nous ne peut se juger dispensé de cette supplication, mais chacun doit au contraire s’estimer le premier des pécheurs, comme le faisait saint Paul (cf. 1 Tm 1, 16).

Cette supplication doit être sincère, absolue, avec la ferme résolution de ne plus recommencer, avec la grâce de Dieu.

Les chrétiens doivent « revenir au Seigneur de tout leur coeur, dans le jeûne, les larmes et le deuil » (Jl, 2, 12), à travers la prière et la pénitence.

Nous nous adressons à Dieu en lui disant :

Père céleste, tu prends toujours soin de toutes tes créatures et tu veux pour elles la vie et le bonheur.

Tu as béni notre pays, le Cameroun, tu l’as comblé de richesses humaines et de ressources naturelles afin que nous en usions pour ton honneur et ta gloire, et pour le bien-être de chaque Camerounais.

Nous regrettons profondément le mauvais usage que nous avons fait de tes dons et de tes bénédictions par des actes d’injustice et de corruption, qui ont rendu une grande partie de notre peuple affamée, malade, ignorante et sans défense.

Père, toi seul peux guérir, nous et notre nation, de ce fléau. Nous t’en supplions, touche nos coeurs, et les coeurs de nos dirigeants et de notre peuple, pour qu’ensemble nous prenions conscience du mal de la corruption et travaillions activement pour l’éliminer.

Suscite en notre pays un peuple qui t’aime et des dirigeants qui prennent soin de nous et nous conduisent sur les chemins de la justice, de la paix et de la prospérité.

Par le Christ notre Seigneur. Amen.

  1. 53. L’Esprit Saint qui éclaire tout homme saura toucher les coeurs et inspirer aux fidèles les actes de courage nécessaires pour réparer les préjudices causés par la corruption.

Que la Vierge Marie, Patronne du Cameroun, intercède pour nous auprès de son Fils Jésus.

Fait à Bamenda, le 3 septembre 2000

 

En la célébration nationale du Jubilé des Familles et en la fête de saint Grégoire le Grand.

 

(*) Texte original français du secrétariat de la Conférence épiscopale, publié dans l’Effort camerounais. Titre de la DC.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici