Centrafrique : l’Imposteur de Bangui et le mafioso Emile Parfait Simb impliqués dans plusieurs affaires d’escroquerie internationale

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Ghana, Centrafrique, Russie… Anatomie d’une fuite

Enquête (2/2) · Avec le LimoCoin, le Camerounais Émile Parfait Simb a mis en place un vaste système d’escroquerie et de blanchiment d’argent. Arrêté à Douala puis remis en liberté grâce au soutien de personnalités haut placées, il s’est enfui en Centrafrique, puis à Moscou. Ce second épisode est consacré aux liens que Simb a tissés avec la Russie.

Il aura suffi de quelques mois pour que le roi déchu du LimoCoin se transforme en agent de la « Russafrique ». Le 5 juin 2022, alors que s’additionnent les plaintes pour escroquerie à son encontre, Émile Parfait Simb est autorisé à quitter le Cameroun. Le voici dans un vol à destination de Bangui. Avec le Mali, la République centrafricaine est alors l’un des États les plus prorusses du continent africain. Depuis 2018, les mercenaires du groupe paramilitaire Wagner ont pris position dans le pays, bénéficiant d’un accès aux richesses minières en échange d’un soutien sécuritaire. Émile Parfait Simb va trouver refuge auprès du président Faustin-Archange Touadéra. Les deux hommes se connaissent déjà.

Des proches de Simb ont indiqué à Afrique XXI que l’homme d’affaires camerounais aurait financé la campagne électorale de Touadéra en 2020. En échange, le candidat sortant, qui a été réélu pour un deuxième mandat, lui aurait offert des mines d’or et de diamants dans son pays. Pour les exploiter, Émile Parfait Simb entre en contact avec un cabinet de conseil français, Lozé & Partners. Le choix de ce cabinet parisien ne tient pas du hasard : son fondateur, Bernard Lozé, disparu en octobre 2021, était extrêmement bien connecté au marché russe. Aujourd’hui, ce cabinet de conseil n’est plus en activité. Selon nos informations, Simb n’a jamais développé ses mines, ce qui ne l’empêche pas d’asseoir sa présence en Centrafrique.

Affublé du titre de « conseiller spécial » du Premier ministre Simplice Mathieu Sarandji – l’un des artisans de l’expansion russe en Centrafrique –, Simb pousse le gouvernement à choisir le bitcoin comme monnaie officielle. La Centrafrique devient le deuxième pays au monde, après le Salvador, à adopter la monnaie numérique. « Aujourd’hui, un grand nombre de pays n’ont pas leurs propres monnaies et doivent s’adosser à des États plus forts, comme on le voit en Afrique subsaharienne avec le franc CFA ou en Amérique latine avec le dollar. C’est pour sortir de ce rapport de dépendance que des États se sont mis à utiliser le bitcoin comme monnaie officielle », observe Daniel Villa Monteiro, directeur pédagogique de l’école blockchain Alyra, basée à Paris, et auteur d’Alice au pays des cryptos (avec le dessinateur Nicolas Balas, éditions du Faubourg, 2021). Après avoir utilisé le bitcoin, la Centrafrique a lancé sa propre cryptomonnaie, le Sangocoin. Avec, là aussi, de nombreux cas d’escroquerie : plusieurs milliers de victimes se sont constituées partie civile contre l’État1.

AVEC GLOBAL TV, « SIMB NOUS A PIÉGÉS »

Surtout, Simb va devenir un maillon du soft power russe sur le continent africain. Il crée ainsi plusieurs médias relayant la propagande de Moscou. C’est le cas des sites internet Russafrik.info et Lacemac.info, dont les contenus sont rédigés par des équipes installées au Bénin (et certains articles par Simb lui-même). Dans des échanges avec ses collaborateurs, que nous avons pu consulter, ce dernier qualifie ces médias de « ripostes » au mensuel Jeune Afrique. Il a aussi monté une chaîne de télévision, Global TV, qui émet depuis Douala. Ne pouvant plus se rendre au Cameroun, Simb en a confié la direction générale au journaliste-producteur Morgan Palmer. La vice-présidence de la chaîne a elle été placée entre les mains d’un Russe, Alexy Lukanchenko. Les émissions ne cessent de vanter la politique du Kremlin tout en dénonçant la présence française sur le sol africain.

 

Mais l’aventure tourne court. Endettée à hauteur de 700 000 euros, la chaîne cesse d’émettre en 2023 : l’opérateur israélien Spacecom, gérant la diffusion par le satellite Amos 17, n’était tout simplement plus payé. En juin 2023, les employés de la chaîne trouvent porte close… Ils ont depuis entamé différentes actions en justice pour tenter de récupérer leurs arriérés de salaires. « C’est comme avec le LimoCoin, Simb nous a piégés et nous a ruinés. C’est une escroquerie de plus à son actif », se désole une ancienne salariée, Virginie Kuimo.

Morgan Palmer a de son côté porté plainte pour « escroquerie », « abus de confiance » et « entrave à la liberté de travail ». Il réclame 568 000 euros à Simb pour la mission de restructuration de la chaîne confiée à son cabinet de conseil, Karisma Group. Mais s’attaquer au « Madoff africain » n’est pas sans conséquences : « Alors que je déposais plainte à la police de Douala, des gendarmes ont pénétré dans les locaux pour m’emmener. Simb a su nouer des liens étroits avec certains colonels de gendarmerie. Les policiers ont refusé de me livrer et m’ont même escorté ensuite jusqu’à mon domicile. Ce procédé n’est pas sans rappeler l’affaire Martinez Zogo [le journaliste camerounais assassiné en janvier 2023 après avoir été enlevé devant un poste de gendarmerie, NDLR] », confie Morgan Palmer, qui a ensuite quitté le Cameroun par voie terrestre pour rejoindre la France. « Je suis parti comme un fugitif. Je devais éviter les aéroports contrôlés par les proches de Simb. » Sans le nommer, le journaliste fait référence aux liens qui existeraient entre Simb et Ferdinand Ngoh Ngoh, le secrétaire général de la présidence de la République camerounaise, qui a aussi en charge la sécurité des aéroports.

La pression s’est faite par tous les moyens : six policiers armés se sont rendus dans le village familial de Morgan Palmer, à Otélé, dans le centre du Cameroun, pour intimider sa mère. Pour le journaliste Paul Daizy Bia, « Morgan Palmer avait tout à craindre pour sa vie ». Sur ses médias, Simb a publié des articles diffamants à l’égard de Morgan Palmer, le qualifiant d’homosexuel et de pédophile2, sans citer la moindre source. Palmer dénonce « une campagne calomnieuse pour [le] jeter en pâture, ourdie par Simb et ses réseaux »3.

À LA TÊTE D’UNE COQUILLE VIDE PRORUSSE

Dans son rapprochement avec des proches du Kremlin, Simb va encore plus loin. Il prend en août 2022 la tête de l’Organisation africaine de la russophonie, basée à Bangui, dans les mêmes locaux que sa compagnie aérienne, Simb Airlines Corporation. Un titre ronflant pour une organisation qui, selon son site internet, vise à développer l’apprentissage de la langue russe et à favoriser les échanges d’étudiants entre la Russie et le continent africain. Mais, concrètement, que fait exactement cette association ? Impossible d’entrer en contact avec ses responsables. Jean Cottin Gelin Kouma, conseiller culturel à l’ambassade du Cameroun en Russie, a rencontré Émile Parfait Simb à la conférence parlementaire internationale Russie-Afrique, en avril 2023, à Moscou, où était aussi présente l’influenceuse prorusse Nathalie Yamb. Il affirme à Afrique XXI que « cette organisation africaine de la russophonie est une coquille vide. La Russie externalise sa politique culturelle à un individu privé, qui n’a pas de compétence dans ce domaine. C’est du clientélisme. »

Les résultats semblent pour l’instant maigres : seuls quelques accords-cadres ont été signés entre des universités africaines (en particulier camerounaises, notamment celle de Bertoua) et russes. Même si Moscou joue désormais cette carte, comme en témoigne l’ouverture récente d’un centre culturel à Bamako, la coopération sur ce terrain reste encore balbutiante, loin de l’essor des Instituts Confucius pilotés par la Chine, ou même du développement de leurs équivalents turcs. L’enjeu est surtout politique : « Il est urgent que nous soyons polyglottes pour sortir du joug colonial et linguistique de certains pays colonisateurs », affirme Émile Parfait Simb dans une interview accordée à l’un de ses propres magazines, Russafrik4.

Simb croit-il sincèrement que l’avenir de l’Afrique soit aujourd’hui entre les mains de la Russie ? Beaucoup en doutent. « Il est prorusse simplement par opportunisme. C’est ce qui l’a toujours guidé dans ses choix, croit savoir Paul Daizy Bia. Il s’est présenté aux Russes en se faisant passer pour une victime de la Françafrique. » Au départ, Émile Parfait Simb aurait voulu faire des affaires en France. Il a d’ailleurs réussi à y produire son propre champagne, nommé « Odette Liyeplimal », décrit dans une vidéo surréaliste comme un « chef-d’œuvre pour marquer les esprits et déclencher un effet “whaou” » (voir la vidéo ci-dessous). Mais il n’a jamais pu se rendre sur place, les autorités françaises lui ayant toujours refusé ses demandes de visa d’entrée. « C’est cette frustration qui l’a aussi amené à aller vers la Russie », assure un proche. Le diplomate camerounais Jean Cottin Gelin Kouma observe que « Moscou cherche à s’appuyer sur ces personnalités animées par un sentiment anti-occidental pour véhiculer son idéologie ».

Parallèlement à ses activités de lobbying russe, Simb poursuit son business. Il a entrepris de spectaculaires investissements immobiliers au Ghana, où, après sa fuite du Cameroun, il a vécu plusieurs mois avec sa famille, ne faisant que des passages éclairs à Bangui. « Le Ghana est un pays libéral, qui peut faire confiance à ce type de profil entrepreneurial, explique Morgan Palmer. Et, surtout, Simb est moins connu dans les pays anglophones. Il a d’ailleurs dû quitter rapidement le Sénégal où, dans un premier temps, il comptait s’installer après être parti du Cameroun. » Aujourd’hui, la société immobilière de Simb, SimbCity, a construit 114 villas à Accra, la capitale ghanéenne, chaque villa valant plusieurs centaines de milliers de dollars. Il s’agit là de son actif le plus important. Autant de biens que les avocats des victimes du LimoCoin aimeraient faire saisir.

DES ENTRÉES À LA DOUMA

Mais la démarche s’annonce complexe. Selon plusieurs sources concordantes, Émile Parfait Simb a désormais quitté le continent africain. « Il ne s’y sentait plus en sécurité », affirme un ancien collaborateur. Depuis septembre 2023, il est installé à Moscou. Sa fille Lucrèce, l’une de ses quatre enfants, est étudiante à l’Université RUDN, longtemps appelée Université de l’amitié entre les peuples, ou Patrice-Lumumba5. C’est dans cette faculté moscovite qu’ont étudié et étudient toujours nombre de jeunes Africains. Pour les inciter à venir, la Russie facilite l’obtention des visas et a mis en place un système de bourses. Cet outil de soft power né avec les indépendances africaines, tombé en désuétude après la chute de l’URSS, a récemment été relancé.

Simb n’est pas en terrain inconnu. Il avait su nouer des contacts étroits avec des proches du Kremlin lors de sa participation à différents forums, notamment en septembre 2022, au Forum économique oriental de Vladivostok, et en juillet de la même année, au Forum Russie-Afrique à Saint-Pétersbourg. Parmi ses relations figure Piotr Olegovitch Tolstoï, vice-président de la Douma, la chambre basse de l’Assemblée fédérale de la Russie. « Simb est ici en quête de notoriété, il veut se refaire un nom », glisse Jean Cottin Gelin Kouma.

Comment, à 40 ans, prépare-t-il son avenir ? Il pourrait être tenté de relancer ses activités dans les cryptomonnaies. « Suite à la guerre en Ukraine, la population russe ne peut plus faire de virements internationaux. Face à ces sanctions, les cryptos ont un intérêt évident », observe le spécialiste de la blockchain Daniel Villa Monteiro. Mais beaucoup s’interrogent sur l’attitude des Russes à son égard. Font-ils preuve de naïveté en accueillant sur leur sol un homme d’affaires accusé d’avoir escroqué des centaines de milliers de personnes ? « Lorsque les Russes comprendront qu’ils ont affaire à un escroc, qui les dupe eux aussi, notamment avec sa pseudo-organisation de la russophonie en Afrique, pas sûr qu’il puisse rester sur place longtemps », glisse un proche.

Une chose est sûre : depuis Moscou, Émile Parfait Simb observe la préparation de la succession de Paul Biya au Cameroun. Il a confié à son entourage être déjà en contact avec Franck Biya, l’un des fils de l’actuel président et probable candidat à sa succession. « Il est évident que Simb va vouloir rentrer dans son pays, car il reste attaché à son clan. Il n’a jamais supporté ses exils à l’étranger. S’il peut le faire sans être inquiété, il le fera », estime Paul Daizy Biya. Ses victimes espèrent elles aussi le revoir au Cameroun, mais en prison.

afriquexxi.inf

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