Centrafrique : Lettre ouverte aux forces vives de la nation

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Aux forces vives de la nation

« Il n’y a pas de fatalité. Le sort de ce pays est entre les mains de ses fils et de ses filles. A eux d’en faire ou bien l’un des multiples cimetières de peuples et de civilisations que l’histoire a, hélas, déjà dénombrés, ou au contraire, en un sursaut collectif d’orgueil et de volonté sans faille de se ressaisir, s’assembler, s’unir très étroitement et n’avoir qu’un seul objectif : la survie de notre pays, actuellement en grave péril ».

Convaincu de ce que la survie de notre pays, actuellement confronté à une crise politico-institutionnelle, ne dépend que du génie centrafricain, je ne puis m’empêcher de nous adresser cette lettre qui se veut interpellative. Depuis près de quatre semaines, l’actualité politique centrafricaine est dominée par des débats autour d’une proposition de Loi visant à proroger le mandat du Président de la République et celui des Députés. Initiée par les 1er et 2e Vice-Présidents de l’Assemblée Nationale, cette proposition de Loi est à la fois crisogène et « démocraticide ». D’ailleurs, c’est le point commun de nos multiples déclarations (société civile, partis et personnalités politiques, centrale syndicale…) qui condamnent l’initiative des députés et invitent par la même occasion le Chef de l’Etat à trouver une issue politique et courageuse à l’éventualité d’un glissement du calendrier électoral. Si ces déclarations, chacune en ce qui la concerne, ne souffrent d’aucune équivoque, il n’en demeure pas moins que nos divergences (idéologiques et de vue) et nos querelles de personnes nous empêchent de fédérer les énergies pour faire front commun au funeste projet du tripatouillage constitutionnel en cours.

Quand les querelles de personnes et le confit de leadership fragilisent les forces vives de la nation

Il ne fait aucun doute que l’échec de la plateforme E Zingo Biani provient en grande partie des querelles de personnes et du conflit de leadership qui ont opposé de nombreux leaders politiques – 11 Cf. Jean-Paul NGOUPANDE, Chronique de la crise centrafricaine 1996-1997. Le syndrome Barracuda, Paris, L’Harmattan, 1997, p.276. – dont les structures politiques sont membres de ladite plateforme. La disparition de celle-ci a permis à la fois au pouvoir en place et à la communauté internationale de juger de l’incapacité des forces vives de la nation, mieux encore, de notre inaptitude, à aller au-delà de nos divergences de vues et d’idées. Pourtant, il s’agissait d’une organisation transversale dans laquelle de nombreux centrafricains avaient, au plus fort de la crise, placé leur confiance. Aussi a-t-elle permis de démontrer que la recherche de nos intérêts ô combien personnels nous divise plus que ce qui devrait nous unir.

Assurément, sous d’autres ceux, la problématique du tripatouillage constitutionnel dont le projet est fièrement, mais honteusement, porté par deux « personnalités » de l’Assemblée Nationale au profil très peu recommandable, aurait constitué un élément fédérateur de toutes les forces vives de la nation sans exception aucune. Or, depuis quelques temps, les suspicions, les querelles de personnes, les conflits de leadership, les prises de position préalablement définies ainsi que la peur d’oser nous plongent dans un immobilisme indescriptible, indicible et apophatique. Notre inaction conduit progressivement, mais sûrement, le pays dans le mur, dans une situation chaotique indescriptible aux conséquences incalculables. Partant de là, nous devons avoir le courage de reconnaitre notre part de responsabilité dans la descente de cette nation aux enfers. Sinon, comment comprendre notre silence face au fait qu’un mercenaire, « saigneur de guerre » comme Ali Darassa qui a humilié tout un gouvernement et a pris une partie de notre territoire en otage ait été reçu en audience par le Premier Ministre ? Quelles seraient les raisons de la rencontre, me demanderiez-vous ? C’est pour solliciter son (Ali Darassa) autorisation afin que le ministre de l’élevage relevé de ses fonctions accepte de passer le service à Hassan Bouba, un autre mercenaire d’origine tchadienne. Voyez-vous comment le pays est tombé ? Il est tombé très bas, et ce, par notre complicité et notre inaction.

L’urgence pour les forces vives de la nation de s’unir sans se confondre

De par ma jeune et petite expérience, il serait prétentieux de nous administrer une leçon d’union, mieux encore, de nous prêcher la nécessité d’aller au-delà de ce qui nous divise. Nombre d’entre nous ont été au cœur du changement politique survenu dans notre pays dans les années 19901993. Le Comité de Coordination pour la Convocation de la Conférence Nationale Souveraine (CCCCNS) en 1992 a été l’un des exemples les plus appréciés de la capacité des forces vives de la nation du moment qui, dans un élan d’unité, ont significativement contribué à la survenance de l’alternance politique en 1993. Je refuse de croire que la mort du Docteur Conjugo n’a été que peine perdue. D’autant plus qu’il existe encore parmi nous des figures marquantes de la lutte des années 90.
La désunion ne pourrait pas faire prospérer la lutte face à un pouvoir qui dispose de moyens d’État qui ne lui servent qu’à nous embastiller au profit des forces du mal, des « saigneurs de guerre », des mercenaires étrangers au service des officines criminelles. À situation exceptionnelle réactions exceptionnelles. L’union des forces vives de la nation au Sénégal a permis de barrer la route à Maître Abdoulaye Wade en 2012. Le Burkina Faso n’aurait pas empêché la révision de la Loi Constitutionnelle si les forces vives de la nation ne s’étaient pas unies en 2014. Qu’attendons-nous pour barrer la route dans une dynamique d’ensemble à la funeste proposition de loi visant à proroger illégalement le mandat du Président de la République et celui des députés ?

Croire à la réémergence du génie centrafricain

Les multiples crises auxquelles le pays est confronté ont conduit de nombreux centrafricains à penser que la solution à nos problèmes viendraient d’ailleurs. Ainsi sommes-nous devenus preneurs de toutes les potions aux origines étrangères. Il n’y a qu’à déchiffrer nos discours, sonder nos attentes pour se rendre compte du fait que nous attendons tout de la communauté internationale. « La communauté internationale a dit que… », « La communauté internationale a lâché Touadera… », « Le G5 a dit que… ». Voilà quelques exemples des propos qui nous infantilisent et illustrent par la même occasion notre démission collective. Pourtant, le Centrafricain a toujours fait preuve de génie dans de moments difficiles. Nous sommes dans une situation où s’exprimer c’est s’engager et se taire c’est devenir complice d’une situation politique et sociale qui doit être exorcisée, c’est se faire spectateur et fossoyeur d’un pays qui se meurt.

Je veux croire à la réémergence du génie centrafricain du fait de l’union des forces vives de la nation. Si nous l’avons fait hier, nous pouvons le refaire aujourd’hui, et ce, sans complexe d’infériorité. Je veux croire que les forces vives de notre nation peuvent s’asseoir ensemble et donner leurs points de vue sur leur destinée qui se modèle en ce moment. Ne faisons pas de nos adjuvants et de nos persécuteurs les maîtres de notre destin. Ne capitulons pas devant l’agressivité des « saigneurs de guerre », ne reculons pas devant l’adversité, organisons-nous et affrontons-la avec courage et abnégation.

La patrie, rien que la patrie.

 

Paul-Crescent BENINGA
Chercheur en sciences sociales
Aux forces vives de la nation

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