Centrafrique : les mercenaires du russes de Touadéra impliqués dans la création du FACT et l’assassinat de IDI

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Mort d’Idriss Déby : le Sud libyen, troublante base arrière des rebelles tchadiens

Par Frédéric Bobin

Publié aujourd’hui à 20h35,

Le groupe armé du FACT, à l’origine de la mort du président du Tchad, s’est développé en Libye, à l’ombre du maréchal Haftar et des mercenaires russes de Wagner.

L’estocade fatale portée à Idriss Déby est venue du Nord, de cette province libyenne du Fezzan devenue, depuis une décennie, un « trou noir » géopolitique. Le Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (FACT), responsable de la mort du président tchadien, mardi 20 avril, en avait fait son sanctuaire. La chute de Mouammar Kadhafi en 2011 avait libéré dans ces immensités du Sahara libyen une multitude de forces centrifuges, à base ethnique pour l’essentiel, auxquelles sont venus s’agréger des groupes armés d’obédiences très diverses.

Milices communautaires – affiliées aux tribus arabes (Ouled Slimane), touareg ou toubou – cohabitent, voire s’affrontent, avec des noyaux djihadistes ou des réseaux mafieux impliqués dans le trafic d’êtres humains. L’enjeu des combats, ou des alliances, se focalise autour du contrôle des frontières (Algérie, Niger, Tchad, Soudan), et donc des juteuses routes migratoires, ainsi que des champs de pétrole, notamment ceux de Shararah et El-Feel. Inévitablement, cette Libye méridionale volatile est devenue la base arrière de groupes d’opposition armés venus des Etats voisins – en premier lieu du Tchad – préparant, à partir de ces havres de repli, les futurs coups de force contre leur pays d’origine.

Le paradoxe toutefois est que l’offensive anti-Déby a été mûrie à partir d’une Libye apparemment apaisée. Depuis février, un gouvernement d’union nationale (GUN) s’est installé à Tripoli sur la base d’une réconciliation formelle entre les deux camps rivaux qui s’entredéchiraient depuis l’éclatement de la guerre civile de 2014 : le bloc de la Tripolitaine (ouest), qui se réclame de la révolution anti-Kadhafi de 2011, et une coalition militaro-tribale de la Cyrénaïque (est) scellée autour de la figure prétorienne du maréchal Khalifa Haftar.

Haftar, jusque-là grand ami de M. Déby

En théorie, cette unification à l’œuvre entre l’Ouest et l’Est libyens aurait dû conforter la stabilisation du Fezzan méridional, et donc lever les hypothèques armées pesant sur les capitales des Etats de la bande sahélo-saharienne. Or, c’est le contraire qui s’est produit avec l’attaque du FACT contre le régime de N’Djamena. L’affaire est d’autant plus troublante que cette région est censée être contrôlée par les forces loyales à Haftar, jusque-là grand ami de M. Déby. Et que dans le sillage de l’Armée nationale libyenne (ANL) de Haftar sont venus, en 2019, s’installer les « mercenaires » de la compagnie de sécurité Wagner, proche de Moscou.

Ces derniers ont en particulier établi des positions sur la base aérienne de Brak Al-Shati, près de Sabha, la principale ville du Fezzan, et même dans le champ pétrolier de Shararah, selon le dernier rapport du panel des experts des Nations unies sur la Libye publié le 8 mars. Wagner avait épaulé l’offensive de Haftar lors de la bataille de Tripoli (avril 2019-juin 2020) contre le gouvernement d’accord national (GAN) de Faïez Sarraj, qui a cédé depuis la place au gouvernement de réconciliation du GUN d’Abdul Hamid Dbeibah. A l’époque, l’attaque de Haftar contre la capitale avait échoué, mais les combattants de Wagner se sont installés dans les bases militaires du maréchal en Cyrénaïque (Syrte) ou dans le Fezzan (Brak Al-Shati).

IRONIE DE L’HISTOIRE, LE FACT TCHADIEN EST NÉ EN 2016 SOUS LES AUSPICES DU CAMP RIVAL
Ironie de l’histoire, le FACT tchadien est historiquement né en 2016 sous les auspices du camp rival, celui du bloc tripolitain adossé à la puissance militaire de la métropole portuaire de Misrata. La Troisième Force, brigade misratie fer de lance du combat contre Haftar dans le Sud lors de la guerre civile de 2014-2015, contrôlait, à l’époque, une partie du Fezzan. Elle avait ainsi parrainé la formation du FACT à partir d’une dissidence de l’Union des forces pour la démocratie et le développement (UFDD), jusqu’alors le principal groupe rebelle tchadien.

Dans la généalogie tourmentée de ces mouvements d’opposition, le FACT sera à son tour ébranlé par une scission, celle qui donnera naissance au Conseil de commandement militaire pour le salut de la République (CCMSR), qui avait lancé des attaques en 2018 contre le Tchad à partir de la Libye méridionale. Le maréchal Haftar, qui a fini par évincer la Troisième Force misratie du Fezzan, avait, à l’époque, bombardé les positions de ces rebelles tchadiens en solidarité avec son « ami » Déby. Avec le soutien de Paris, qui rêvait de voir Haftar stabiliser le Fezzan afin de conforter l’opération « Barkhane » se déployant à proximité dans le Sahel.

Retournements d’alliances

Que s’est-il donc passé pour que la protection Haftar n’ait, cette fois-ci, pas joué ? Orphelin de son parrain historique – la Troisième Force repliée sur Misrata –, le FACT avait dû composer avec le nouveau maître des lieux dans le Sud. Dans une Libye propice aux retournements d’alliances, le groupe tchadien s’est mis au service de Haftar lors de sa tentative de conquête de Tripoli en 2019. Après avoir opéré dans la zone d’Al-Djoufrah, le FACT a établi ses quartiers sur la base de Brak Al-Shati en début d’année.

DES FRICTIONS ENTRE LES CHEFS DU FACT ET LA BRIGADE 128 DE L’ANL DE HAFTAR
Selon Wolfram Lacher, chercheur à l’Institut allemand des affaires internationales et de sécurité, installé à Berlin, des frictions se seraient produites à Brak Al-Shati entre les chefs du FACT et la brigade 128 de l’ANL de Haftar, qui aurait cherché à enrôler les rebelles tchadiens sous sa bannière. Une fraction du FACT aurait alors quitté la base pour se déployer plus au sud, dans les localités d’Umm Al-Aranib et Waw Al-Kabir, devenant dès lors plus incontrôlable. « En se délocalisant vers la frontière tchadienne, le FACT s’est placé hors de la zone contrôlée par Haftar », souligne M. Lacher :

« Il n’est donc pas sûr qu’il ait eu besoin d’un feu vert de Haftar pour attaquer le Tchad. »
Il n’en reste pas moins vrai que le FACT a pu engranger une force de frappe à l’ombre du complexe stratégique formé par l’ANL de Haftar. « Le FACT n’a pu bénéficier d’argent et d’armement que parce qu’il avait travaillé pour Haftar en lien avec Wagner », déplore une source française.

Paris a, en effet, de quoi se sentir floué par la tournure des événements, alors que semble se dessiner une possible lutte d’influence entre la France et Moscou dans cette région sahélienne. « Que ces gens se retrouvent maintenant au Tchad dans notre aire d’influence est très problématique », ajoute la source. Le pari stratégique français sur Haftar avait déjà déraillé aux portes de Tripoli. Il dérape désormais à la frontière tchadienne.

Par Frédéric Bobin
Publié aujourd’hui à 20h35

https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/04/20/mort-d-idriss-deby-le-sud-libyen-troublante-base-arriere-des-rebelles-tchadiens_6077460_3212.html

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