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Centrafrique : les massacreurs de Bangassou condamnés à la perpétuité

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Par Célian Macé — 
Kevin Bere Bere, le 15 janvier, à la cour criminelle de Bangui.
Kevin Bere Bere, le 15 janvier, à la cour criminelle de Bangui. Photo Florent Vergnes. AFP

Cinq chefs anti-balaka locaux impliqués dans la tuerie du 13 mai 2017, qui visait les habitants d’un quartier musulman, ont été reconnus coupables de «crimes contre l’humanité» par la cour criminelle de Bangui.

Ce massacre-là ne restera pas impuni. Plus brutale, plus large, plus visible que des dizaines d’autres qui continuent d’ensanglanter la Centrafrique, la tuerie de Bangassou a donné lieu à un procès (chose rarissime) qui s’est achevé ce vendredi par la condamnation de cinq chefs de guerre locaux et 23 de leurs hommes. La cour criminelle de Bangui a prononcé une peine de prison et de travaux forcés à perpétuité pour les leaders, reconnus coupables de «crimes de guerre» et «crimes contre l’humanité». Les exécutants, eux, ont écopé de dix à quinze ans de réclusion.

Le 13 mai 2017 au matin, des miliciens anti-balaka, ces groupes d’autodéfense constitués pour lutter contre les combattants de la Séléka qui avaient pris le pouvoir par la force à Bangui en 2013, se déchaînent contre les habitants de Tokoyo, un quartier de Bangassou, ville frontalière de la république démocratique du Congo située à 700 kilomètres de la capitale. L’ONU comptabilise 72 morts. Les habitants de Tokoyo, musulmans, se réfugient dans la mosquée, où ils seront assiégés pendant trois jours avant d’être exfiltrés par les Casques bleus. Les assaillants sont en grande partie chrétiens et animistes. Partout dans le pays, les chefs de guerre instrumentalisent les tensions interconfessionnelles pour organiser des attaques et étendre leur domination.

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La Séléka a été chassée de Bangui en 2014. Mais en 2017, les groupes armés qui la composaient règnent en maître sur la majeure partie du territoire centrafricain – c’est encore le cas aujourd’hui. L’arrivée dans la région de Bangassou des combattants de l’UPC, l’un de ces groupes armés prédateurs, exacerbe à l’époque les conflits communautaires. «L’attaque de Bangassou découle de tensions locales ainsi que de rivalités économiques et politiques. La réinstallation de l’UPC aux alentours de Bangassou a été source de frustration pour certains habitants. En particulier, le sentiment qu’un traitement préférentiel serait accordé par l’UPC aux commerçants musulmans, accusés d’être dispensés du paiement des taxes exigées aux barrages de l’UPC, écrivaient les experts des Nations unies dans un rapport publié quelques mois après le massacre. Ce sentiment de frustration a été instrumentalisé par certaines personnalités et autorités locales, pour qui la communauté musulmane tout entière soutiendrait l’UPC. Plus généralement, des personnalités politiques à Bangui ont elles aussi soutenu les anti-balaka. Aux yeux de ces hommes politiques, la présence de ces groupes anti-balaka à Bangassou est un moyen d’interposition contre une nouvelle avancée des factions ex-Séléka vers l’est.»

A couple displaced from the IDP site known as the "Petit Seminaire" clean up their concession in the Tokoyo district of Bangassou on May 17, 2019. - In Bangassou, Muslim displaced persons from the IDP site known as the "Petit Seminaire" returned to their predominantly Muslim district of Tokoyo after two years of isolation thanks to the return of stability in the city. (Photo by FLORENT VERGNES / AFP)Un couple de retour dans leur quartier de Tokoyo, après deux ans d’isolement. Photo Florent Vergnes. AFP

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C’est la limite du procès. Seuls les chefs anti-balaka identifiés par des témoins comme présents à Bangassou le 13 mai 2017 – notamment Kevin Bere Bere, Romaric Mandago et «Pino Pino» (Crépin Wakanam de son vrai nom) – ont été condamnés. Ils menaient la colonne de miliciens anti-balaka qui descendait depuis plusieurs jours sur Bangassou pour chasser les ex-Séléka, assassinant les musulmans sur leur passage et s’en prenant aux Casques bleus qui dérangeaient leurs plans. «Ce sont des exécutants, des petits chefs de bande, violents et dangereux certes, mais le carnage de Bangassou n’aurait pas été possible sans le soutien des politiciens de Bangui, précise Enrica Picco, chercheuse spécialiste de l’Afrique centrale. Les liens sont évidemment difficiles à démontrer sur le plan juridique, et il n’y a pas la volonté politique pour le faire.»

Le verdict, qui survient au lendemain du premier anniversaire de la signature d’un accord de paix toujours fragile, a néanmoins été salué par les organisations de défense des droits de l’homme. «Par la décision rendue aujourd’hui, la justice centrafricaine marque son attachement à la lutte contre l’impunité», a indiqué Mathias Morouba, président de l’Observatoire centrafricain des droits de l’homme et avocats des victimes. L’un des rares motifs d’espoir en provenance du pays.

Célian Macé

Libération

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