Centrafrique : Les groupes armés prélèvent plus de la moitié des recettes douanières, selon le directeur général des douanes et droits indirects Frédéric Inamo

0
515

Confrontées à la crise sécuritaire qui secoue la Centrafrique, dont des zones ont été récupérées par des groupes armés rebelles, les Douanes centrafricaines sont régulièrement bloquées dans leurs contrôles. Un manque à gagner important pour le pays, selon Frédéric Inamo, directeur général de l’administration fiscale.

Les Douanes centrafricaines sont dans la tourmente. Ses résultats sont en nette baisse depuis trois mois, passant d’une dizaine de milliards de Francs CFA à cinq milliards de F CFA. Une perte en grande partie due à l’insécurité qui secoue la Centrafrique, et qui impacte directement le pays – les activités des Douanes centrafricaines représentant 60% des recettes du pays.

Ces dernières ont notamment été paralysées en mars dernier, avec le blocage du principal axe commercial du pays, Garoua-Boulai-Bangui, par un groupe armé pourtant signataire de l’accord de paix en février. Résultat : tout échange commercial entre le Cameroun et la Centrafrique a été interrompu, compliquant le travail des douanes déjà en difficulté. Depuis le début de la crise sécuritaire, l’État ne contrôle qu’un tiers du territoire, le reste étant sous la coupe des différents groupes armés qui y ont installé leur propre administration fiscale et profitent des recettes douanières du pays.

Un manque à gagner considérable pour la Centrafrique, selon Frédéric Inamo, le directeur général des Douanes et Droits Indirects, qui revient pour Jeune Afrique sur les défis auxquels fait face son administration.

Jeune Afrique : Quelle est la situation des Douanes centrafricaines avec la crise que traverse le pays ?

Frédéric Inamo : Les Douanes centrafricaines se portaient très bien depuis bientôt trois ans, que ce soit au niveau des recettes ou de la protection économique. Nous rencontrons néanmoins des difficultés sur le plan sécuritaire depuis fin février, avec le contrôle de l’axe Garoua-Boulai-Bangui par le groupe rebelle du Front démocratique du peuple centrafricain (FDPC). Cela a fait baisser nos recettes de plus de cinq milliards de Francs CFA. C’est un réel défi pour nous.

« Ce sont ces groupes rebelles qui prélèvent les recettes douanières et en bénéficient, au détriment de l’État »

Comment les groupes rebelles armés impactent-ils vos activités ?

Les Douanes centrafricaines travaillent seulement sur le tiers du pays, le reste étant occupé par les groupes rebelles. C’est un manque à gagner important pour la République centrafricaine, nous perdons au moins deux milliards de francs CFA (environ 3 millions d’euros) par mois. Une trentaine de bureaux de douane sont installés dans plusieurs grandes villes, mais nous n’en contrôlons qu’une dizaine. Le nord, le centre, le sud-est ou encore le nord-ouest du pays sont contrôlés par les groupes armés, et échappent au contrôle douanier centrafricain. Ce sont ces groupes rebelles qui prélèvent les recettes douanières et en bénéficient, au détriment de l’État.

Le principal axe commercial menant au Cameroun a été contrôlé durant plusieurs semaines par le groupe du Front démocratique du peuple centrafricain (FDPC). Qu’en est-il aujourd’hui ?

Le blocage de l’axe routier principal Douala-Bangui a impacté négativement nos recettes douanières entre février et mars [de 5,3 milliards], puisque nous n’avons pas pu travailler. Les importations et exportations étaient impossibles sur cette zone, qui est pourtant le seul corridor qui alimente la Centrafrique. La situation s’est améliorée début avril, les trafics ont repris sur l’axe commercial et j’ai noté une nette croissance de plus de deux milliards de F CFA.

Comment allez-vous compenser ces pertes ?

Nous sommes obligés de réviser notre prévision annuelle pour compenser ces pertes. Nous allons devoir nous organiser en tenant compte des importations et des exportations pour voir comment nous pouvons combler ce manque et maximiser sur certains mois, par exemple en supprimant certaines exonérations.

Avez-vous discuté de ce problème d’insécurité avec les autorités du pays ?

Bien sûr. Tout le monde est au courant de ce problème d’insécurité. Nous avons notamment parlé aux autorités lorsque le principal axe routier était bloqué, et des mesures ont été prises. Une intervention militaire de la Minusca [la Mission des Nations unies pour le soutien à la Centrafrique, ndlr] et des forces armées centrafricaines ont été dépêchées pour libérer le corridor. La situation s’est stabilisée après cette intervention. Si le calme est maintenu d’ici quatre à cinq mois, les Douanes pourront rattraper ces pertes.

Votre entourage dit que vous êtes très écouté du président centrafricain Faustin-Archange Touadéra, dont vous êtes l’un des neveux. Est-ce dû à votre compétence ou plutôt aux liens familiaux qui vous avez avec lui ?

C’est le président Ange-Félix Patassé qui a fait de moi un douanier, François Bozizé un grand cadre au sein de la douane, puis Michel Djotodia m’a nommé à la tête du Service des recettes, et Faustin-Archange Touadéra en a fait de moi directeur général. Je dois donc mon ascension au sein de la douane à ma rigueur, et non pas à un quelconque rapprochement familial. J’ai apporté des réformes au sein de la douane pour pousser les douaniers à mieux travailler et lutter contre la corruption. Nous ne figurons par exemple plus parmi les dix derniers pays les plus corrompus.

Certains opérateurs économiques étrangers passent également sous la couverture de la Minusca qui est exonérée des taxes aux douanes, pour importer des marchandises destinées à la vente. Nous avons décelé ce réseau grâce à une brigade mise en place, et nous avons supprimé certaines exonérations. Tout cela fait gagner de l’argent à l’État. Et c’est avec cela que je suis apprécié par ceux qui ont fait confiance en moi, dont le chef de l’État.

Des ambitions politiques se cachent-elles derrière vos actions ?

Je n’ai pas d’ambitions politiques, mais la politique peut venir à n’importe qui lorsque l’on n’en fait pas. Ma plus grande ambition est de donner de l’espoir aux Centrafricains et un avenir meilleur.

Jeune Afrique

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici