Centrafrique : les conséquences des tirs à balles réelles sur des élèves à Bangui sont à craindre

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Il s’est passé ce lundi 2 mars 2020 à Bangui un événement dont les conséquences pèseront très lourdement sur les petites épaules du régime de l’association des malfaiteurs au pouvoir. Même si les réseaux sociaux en ont brièvement parlé, les grandes caméras ont été plutôt braquées sur le démarrage des travaux du Congrès Ordinaire du MLPC,  la conférence de presse de la coalition 2020 de l’opposition démocratique, la cérémonie de réception des travaux de réhabilitation de la télévision centrafricaine, et celle du lancement « des Grands Travaux » par le président Touadéra, selon les communicants de la présidence centrafricaine, dans le 7ème arrondissement de la ville de Bangui. Et pourtant, il y a de quoi s’y appesantir un tant soit peu. De quoi s’agit – il donc exactement ?

C’est tout simplement la manifestation des élèves des différents lycées de la capitale centrafricaine pour réclamer la reprise des cours suspendus depuis plus de deux mois, suite à la grève des enseignants – vacataires qui réclament leur intégration dans la fonction publique centrafricaine. Mais, comme toujours, au lieu de faire encadrer leurs mouvements par les FDSI et d’être à leur écoute, le gouvernement Ngrébada a préféré ordonner le recours à la répression, à l’usage des bombes lacrymogènes et des tirs à balles réelles. Si l’on n’est pas encore informé formellement des cas de pertes en vies humaines, il nous a toutefois été rapporté que ce mode de règlements des revendications purement constitutionnelles, légales, citoyennes et sociales, aurait fait de nombreux blessés, admis pour des soins pour certains dans les centres hospitaliers, en observation pour d’autres.

Et c’est à ce niveau du débat, c’est  – à – dire en ce qui concerne particulièrement l’usage excessif des armes par les FDSI, non pas contre les rebelles, mais contre des pauvres citoyens à mains nues, que cet événement devra plutôt être pris au sérieux par l’association des malfaiteurs au pouvoir dont à la tête se trouve fort étonnement un universitaire, de surcroît professeur de mathématiques à l’université de Bangui. Car les conséquences de tels graves dérapages  ont  l’air du déjà vu, dans l’empire centrafricain de l’empereur de Bokassa 1er, en 1979. Une analogie qui se tient solidement, 41 ans plus tard. En effet, selon Nguiza Akamgbi Kodro dans son article intitulé «  A propos des barricades et des massacres de Bangui », publié en juillet 1979, « …..Les massacres d’enfants du mois d’avril ne sont qu’une suite logique de la situation socio-économique qui dure depuis longtemps et qui avait dépassé le seuil du supportable pour toutes les classes et couches sociales opprimées [PAGE 22] dans le pays. On était revenu presque au travail gratuit, ou travail forcé imposé naguère par les colons. En Centrafrique, les paysans travaillent encore aujourd’hui sans être payés. Ils sont forcés d’échanger leurs produits contre des bouts de papier qui ne leur servent à rien. Les salaires de la grande majorité des fonctionnaires et les bourses des étudiants et élèves ne sont pas régulièrement payés. Le secteur privé dominé par les colons français, content de l’exemple donné par le gouvernement, fait trimer les ouvriers pour un salaire dérisoire. Divers impôts sont camouflés par l’achat obligatoire par chaque citoyen, des cartes et insignes du parti unique le MESAN, s’y ajoute l’achat obligatoire des cartes sanitaires par tête dans les familles. Par ailleurs, les prix des articles importés et des denrées locales ne cessent de monter, ce qui entraîne une dégradation du pouvoir d’achat. Il s’y ajoute l’aggravation du chômage, l’oppression politique, la terreur du régime, les arrestations arbitraires, les tortures. Et, en face, d’une part, le pillage des ressources par les sociétés étrangères bat son plein, les capitaux sont rapatriés sans problème; d’autre part, se développe l’enrichissement éhonté d’une minorité, notamment la famille de l’assassin Bokassa et sa suite. Les travailleurs payent encore les nombreuses dépenses occasionnées par le fameux « couronnement ».

Le degré atteint par cette situation devait jeter les masses dans la rue au mois de janvier (19, 20, 21) 1979, à Bangui. D’abord les étudiants, puis les petits fonctionnaires, les ouvriers, les petits commerçants et toutes les couches sociales opprimées : femmes, enfants, vieillards, devaient se retrouver dans une manifestation pacifique. Mais pour tenter d’étouffer cette manifestation pacifique de profonde et large réprobation populaire, le régime eut recours à une provocation meurtrière. Débordé, par la riposte violente des masses armées seulement de cailloux et de flèches, et la révolte qui s’étendait déjà aux provinces, notamment à Bambari, Berbérati, Bossangoa, Bouar, Bangassou et dans les villages où les paysans mirent le feu au coton et autres produits agricoles d’exportation…..

Après les émeutes de janvier, une grève de plusieurs semaines gagna la quasi – totalité des établissements scolaires et universitaires ainsi que certains secteurs économiques et administratifs. Le gouvernement sanguinaire de Bokassa fut ainsi obligé de payer enfin les bourses et les salaires des fonctionnaires (du moins dans les principales villes). Mais la reprise des cours et du travail – conditions indispensables pour pouvoir percevoir les bourses et les paies – ne changea rien à la détermination des étudiants et des travailleurs.

C’est ainsi que, dès le mois de mars, des tracts apparurent à Bangui pour exiger « la fin du régime de Berongo ». Ces tracts étaient signés soit par « Le Mouvement Populaire pour la Libération du Peuple Centrafricain » soit par le « Mouvement de Libération du Centrafrique » soit encore par le « Front Populaire de Libération ». Ces mouvements existaient-ils réellement ? ou les tracts étaient-ils le fait de quelques individus, anciens collaborateurs de Bokassa, aigris par le partage inégal des miettes impérialistes, ou encore une provocation de la police de Bokassa afin de mieux contrôler la situation ? Dans le branle-bas actuel, il est encore tôt et difficile d’apporter une réponse juste sans enquêtes sérieuses.

Toujours est-il que l’apparition de ces tracts devait entraîner une série d’arrestations parmi les hauts fonctionnaires (dont les salaires sont d’ailleurs régulièrement payés), les enseignants et les étudiants. La majorité de ces personnes devaient être libérées à la suite d’une nouvelle grève de solidarité des étudiants avec les enseignants arrêtés. Mais le 8 avril, après une nouvelle opération policière dans les quartiers populaires, deux élèves arrêtés étaient portés disparus. C’est cette arrestation qui devait déclencher la nouvelle colère des élèves et des étudiants, réprimée dans le sang.

Selon le témoignage d’un haut fonctionnaire résidant à Bangui, « tous les élèves et les étudiants de Bangui ont entamé une grève dès le lundi 9 avril et réclamé dans une motion la démission de Bokassa. La situation s’est aggravée le 18 avril, quand le pouvoir centrafricain prenant prétexte d’un incident survenu la veille, quelques éléments (trois) [PAGE 24] de la police ayant été molestés à l’issue d’une assemblée générale des étudiants, a fait cerner les quartiers populaires par ses sbires et arrêter systématiquement, à leur domicile, tous les élèves et étudiants qui leur tombaient sous la main…

Il convient de préciser, ajoute le haut fonctionnaire, que c’est la Troisième Compagnie basée à la prison de Ngaraba, qui était chargée de liquider les enfants à coups de baïonnettes, de massues, de crosses, etc… Dans chaque cellule qui ne pouvait contenir que 6 à 8 détenus, il y avait en moyenne 36 à 40 élèves. Le 20 avril, quand le tyran a décidé de libérer ses victimes, on ne comptait qu’une dizaine de survivants par cellule. Selon les officiels du MESAN, parti unique de Bokassa, le nombre de morts est de l’ordre de 128. En réalité, il se situe dans la fourchette 150-200. Rien qu’au cimetière de Kopa, dans les environs de Bangui, cinquante gosses ont été enterrés dans des fosses communes par douze prisonniers réquisitionnés et à chacun des douze on a donné deux gros savons pour acheter leur silence. » Voilà un témoignage qui confirme et complète ce qui a été dit dans certains journaux français. Il va sans dire que pendant longtemps encore le nombre des victimes sera tenu secret derrière le mur de silence : 15, 20, 200, 500, etc. on ne saura pas la vérité de sitôt…… »

Le reste de l’une ces pages les sordides de notre histoire et des 14 années de règne mégalomaniaque du soudard, comme l’appelait ironiquement Charles De Gaulle, était écrit le 20 septembre 1979 par l’opération « Barracuda ».  Ainsi donc, le peuple centrafricain attendait son heure et n’avait pas du tout peur, comme s’interrogeait tout nettement Nguiza Akamgbi Kodro,  alors dans l’article précité : « Le silence d’un peuple opprimé et bafoué n’est-il pas toujours trompeur ? » et ce dernier d’ajouter en ces termes : « La terreur coloniale n’avait pas empêché les Centrafricaines de se révolter, contre les colons, puis contre le gouvernement corrompu de Dacko, la terreur d’aujourd’hui ne les empêchera pas non plus de se [PAGE 18] révolter contre le régime fasciste du petit soldat de Bangui, rejeton de l’armée française, qui se prend pour un « général, un président à vie et un empereur ». La réponse du peuple centrafricain à ceux qui s’interrogeaient comme lui ne s’est pas fait attendre longtemps; cette réponse a été très claire. Les barricades de Bangui et des villes de province, les tonnes de coton brûlées par les paysans, etc., etc., au mois de janvier 1979, presque un an après le fameux couronnement, ont montré que le peuple centrafricain avait trompé tout le monde, surtout ses oppresseurs.

Rompre le mur de silence que les oppresseurs peuvent bâtir autour de l’exploitation, de l’oppression, de la répression est une loi de l’histoire que connaissent tous les peuples opprimés. Le peuple centrafricain ne peut y échapper; d’ailleurs il en sait quelque chose à travers ses propres expériences de luttes depuis le début de la colonisation française. L’oppression finit toujours par jeter les masses même sans armes dans la rue et à l’assaut des châteaux, surtout lorsque ce sont des châteaux de la honte. On ne peut donc être fier aujourd’hui après le refus exprimé violemment par le peuple centrafricain, malgré les massacres perpétrés par l’armée franco-zaïroise au mois de janvier 1979.

Ce refus exprimé violemment avait surpris tous les politologues, énarques, polytechniciens et autres ethnologues de l’Elysée accrédités dans les pays africains, qui rivalisent avec les anciens colons dans les études et la mesure du comportement et du degré de conscience des masses africaines devant les nouvelles formes de domination impérialiste.

Jea – Paul Naïba

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