Centrafrique : les belles paroles de Jean – Pierre Lacroix sans effet concret sur la crise politique et sécuritaire

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VERBATIM DE LA CONFERENCE DE PRESSE DU SECRETAIRE GENERAL ADJOINT DES NATIONS UNIES AUX OPERATIONS DE PAIX, JEAN PIERRE LACROIX

Bangui, le 21 décembre 2022

Jean-Pierre Lacroix, Secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la paix

Bonjour à tous.

Merci bien de vous être joints à nous pour cette discussion. Et je veux tout de suite commencer à vous souhaiter en cette fin d’année tout le meilleur, présenter mes meilleurs vœux à vous, à vos proches et à vos familles pour l’année qui s’ouvre. Puisque nous sommes devant les médias, j’en profite pour souhaiter au nom des Nations Unies, au nom des collègues de la MINUSCA en particulier, tout le meilleur au peuple centrafricain pour l’année qui s’ouvre, et leur dire que nous allons continuer à faire le maximum pour soutenir la population centrafricaine, consolider certains acquis, mais aussi travailler pour aider la nation et le peuple centrafricain à surmonter les défis qui restent. Voilà la première chose que je souhaitais dire.

La deuxième chose, c’est que cette visite intervient dans un contexte qui est caractérisé par plusieurs choses :

D’abord, le mandat de notre opération, la MINUSCA, était renouvelé par le Conseil de sécurité des Nations Unies, il y’a quelques semaines. Il est donc important à la suite de ce développement de venir ici pour faire le point avec nos partenaires, les Centrafricains, avec les autorités centrafricaines, avec les forces vives de la nation centrafricaine, les représentants de la jeunesse, les femmes, les leaders religieux, les partis politiques, …
De faire le point aussi avec nos collègues de la MINUSCA sur la manière dont nous allons continuer à travailler, sur la manière dont la famille des Nations Unies continuera son travail ici, et notamment sur la manière dont la MINUSCA continuera de mettre en œuvre le mandat qui nous a été donné par les états membres.
La troisième chose, c’est qu’il y’a un contexte international particulier que vous connaissez bien, mais qui est caractérisé par une polarisation accrue de la communauté internationale, et aussi par les conséquences d’un certain nombre de développement, la période post-Covid, les conséquences de la guerre en Ukraine et ce qui en résulte en matière des situations des approvisionnements : approvisionnements en carburant, approvisionnements en produits alimentaires et les contraintes financières qui pèsent sur la plupart des Etats, et qui ont un impact particulier dans les pays qui sont déjà vulnérables comme la RCA.

Mais, cela ajoute une dimension supplémentaire aux difficultés dans ce pays. Je voudrais mentionner la situation humanitaire en RCA, le fait qu’une grande partie de la population a besoin de recevoir de l’aide humanitaire, et vous dire que les Nations Unies continueront au maximum de leur capacité à fournir de l’aide humanitaire avec le soutien total et la collaboration totale de la MINUSCA aux populations qui en ont besoin ; et vous dire que nous allons continuer le plaidoyer auprès des donateurs pour que le financement de l’aide à la population centrafricaine soit au rendez-vous. Il me semble fondamentale de continuer de faire passer ce message aux principaux pays donateurs, pour que nous soyons en réponse avec nos partenaires, les organisations non gouvernementales, que nous soyons en mesure de continuer à soutenir la fourniture d’aide humanitaire à la population.

Alors, pour ce qui concerne le reste, nous avons eu des entretiens très utiles, d’abord avec son excellence le Premier ministre, les membres du gouvernement, les forces politiques, je l’ai dit tout à l’heure, l’opposition et la mouvance présidentielle. J’ai rencontré son excellence le Président de l’Assemblée nationale, nous avons rencontré des représentants des jeunes, des femmes, la plateforme religieuse, bien sûr les collègues de la MINUSCA, madame la Représentante spéciale, Valentine Rugwabiza. C’est ma première visite depuis que madame Rugwabiza a pris ses fonctions à la tête de la MINUSCA. C’est un tour d’horizon encore une fois très important, que nous soyons le mieux en mesure de travailler dans l’année qui va commencer dans quelques jours.

Voilà les quelques mots que je souhaitais dire en introduction. Je pense que vous allez poser des questions, donc je préfère me limiter à ces quelques mots et vous écouter et tenter de répondre à vos questions que vous aurez à poser.

Merci de votre attention et à vous la parole.

Questions des journalistes

Deutsch Welle (Jean Fernand Koena)

Monsieur le Secrétaire général adjoint aux opérations de paix, la question de la réforme constitutionnelle et d’un éventuel troisième mandat pour le Président Faustin Archange Touadera divise la vie politique ici en Centrafrique. Comment expliquez-vous le silence des Nations Unies, n’y a-t-il pas un facteur d’instabilité pour le pays déjà fragilisé par la crise sécuritaire ?

Journal A Kota Sango (Carole Bycekoan)

A chaque fois au moment de vos visites en RCA, on constate des agitations des groupes armés par-ci, par-là. Lors de votre visite en 2020, vous avez rencontré le leaders de la CPC, en la personne de François Bozize Yangouvonda. Pour l’actuelle visite, allez-vous aussi le rencontrer ?

Le Pays (Julio Salawane)

On enregistre une tension politique depuis un certain temps entre le pouvoir en place et l’opposition politique centrafricaine. Avez-vous essayé d’amener les deux partir à s’asseoir et discuter ?

Jean Pierre Lacroix, Secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la paix

Je crois que vos questions sont fondamentales. Il y’a une tension croissante dans le débat politique avec des messages négatifs, parfois très négatifs qui exacerbent les tensions, et la RCA n’a pas besoin de ça. Au contraire, elle a besoin d’un débat politique apaisé entre les différents protagonistes.

Cette exacerbation du débat politique, ces messages de haine, parfois de désinformation, nous préoccupe.

Elle nous préoccupe d’autant plus que la MINUSCA a été l’objet de désinformation, voire parfois de messages haineux. Je pense, cela s’est légèrement atténué, c’est une bonne chose. Mais encore une fois, le peuple centrafricain, la RCA a, au contraire, besoin d’un débat politique apaisé, et notamment dans le contexte de la préparation des élections locales. C’est une importante occasion pour la RCA d’enraciner la démocratie au niveau local.

Il faut, je pense, que le débat politique se passe sans crispation, sans message de haine, sans message antagoniste. Et c’est une responsabilité de tous, donc un message que nous partageons avec tous nos interlocuteurs quels qu’ils soient, je crois que c’est une préoccupation que nous avons entendue de la part de beaucoup de ceux, avec lesquels nous nous sommes entretenus.

Pour ce qui concerne la question que vous avez posée, préalablement aux événements qui ont marqué la période qui ont suivi immédiatement les élections présidentielles, lorsque l’ancien président Bozizé était en RCA, nous l’avions rencontré dans le cadre de contact à l’époque, avec certains membres des représentants politiques, mais ce n’est pas mon intention de le rencontrer à ce stade. Je crois que d’une manière générale, la vie politique a besoin de se dérouler sans violence et que la reprise d’activités de certains groupes armés, je pense, correspond aussi à la saison sèche.

La reprise de certains nombres d’activités qui peuvent générer des tensions, est une chose que nous devons non seulement condamner, mais que nous devons aussi contrer. La MINUSCA s’est renforcée, elle a renforcé ses capacités, elle a adopté une position robuste sous l’autorité de madame la Représentante spéciale, il y’a encore des efforts à faire. Je crois que nous avons accru les capacités de cette opération à contribuer à restreindre les capacités de nuisance des groupes armés, même s’il est important que la réponse à cette menace ne soit pas non seulement d’ordre sécuritaire, mais qu’elle s’accompagne d’efforts de « déconfliction», je pense notamment aux tensions qui peuvent exister dans le contexte de la reprise des mouvements de transhumance, pour lequel un certain nombre de mesure de « déconfliction » dans les différentes communautés peuvent aider à diminuer les tensions.

En ce qui concerne, les évolutions constitutionnelles, je crois que ce qui est important de souligner, d’abord toute évolution politique, tout débat politique sur des grandes questions, doit se faire dans la plus grande transparence et dans le cadre le plus ouvert possible. Les grandes questions qui intéressent l’avenir du pays doivent faire l’objet d’un débat ouvert, libre d’accès. Les formations politiques et la société civile doivent pouvoir s’exprimer, c’est important. Ce qui est important aujourd’hui, c’est que de grandes questions qui intéressent l’avenir du pays puissent être débattues d’une manière respectueuse des droits humains.

Questions des journalistes

Agence Centrafrique Presse (Jonas Bissinguim)

Vous parlez de la rareté de carburant, est ce que la MINUSCA serait-elle prête pour améliorer cette situation ?

Dans vos interventions, vous avez déclaré que « nous allons faire le maximum », de quoi s’agit-il exactement ?

Réseau des Journalistes pour les Droits de l’homme (Guy Florentin Outiama)

C’est depuis plusieurs années que la MINUSCA œuvre en RCA, dans son mandat, on parle toujours de la protection des civils. Ces derniers temps, on constate la reprise des activités des hommes en arme à l’intérieur du pays. Quelles seront les stratégies qui vont être mises en place par la MINUSCA afin de sécuriser la population civile ?

Agence France-Presse (Annela Niamolo)

Nous constatons, ces derniers temps, des attaques, qualifiées de terroristes par les autorités centrafricaines, dont l’attaque de Bossangoa et le dernier cas avec Monsieur Dimitri Syty. Comment comptez-vous faire pour faire face à cela afin d’empêcher qu’il n’y ait plus ces cas de terrorisme sur le territoire centrafricain?

Jean Pierre Lacroix, Secrétaire général adjoint des Nations Unies aux opérations de paix

Merci beaucoup. Sur les différents événements que vous avez évoqués, c’est bien sûr aux autorités centrafricaines qu’il appartient de faire les enquêtes nécessaires et de faire la lumière. Mais ce que je veux dire, c’est que la République Centrafricaine n’a surtout pas besoin de plus de violence. Et tous ces actes de violence vont à l’encontre des efforts que nous devons faire pour renforcer la sécurité et améliorer le climat, y compris le climat politique dans ce pays.

En ce qui concerne la protection des civils, il y a eu d’abord une relative amélioration, non négligeable, du climat de sécurité. Il y avait évidemment la saison des pluies, mais je pense qu’il y avait également l’action de la MINUSCA, le travail est fait avec les autorités, et les composantes en uniformes centrafricaines. Maintenant un certain nombre de défis restent, et puis il y a ces rumeurs, ou ces plus que rumeurs, la reprise des activités de certains groupes dans certaines zones, que nous condamnons évidemment.

Comment faire ? Le maximum. D’abord, c’est parce que c’est notre devoir de faire le maximum. C’est ce que nous devons à la population centrafricaine, et c’est ce que nous devons aussi aux états membres, qui nous ont donné un mandat, et qui s’engagent à travers nous, pour soutenir la population centrafricaine, qui engagent des ressources importantes, qui engagent des ressources humaines, des pays contributeurs de troupes aussi qui engagent leurs femmes et leurs hommes avec parfois des pertes tragiques. J’en profite pour rendre hommage à nos soldats de la paix qui ont perdu la vie l’année dernière, au service des Nations Unies.

Alors, comment faire ? D’abord, conserver et consolider la posture robuste de la MINUSCA et cette présence qui est très large dans le pays. Ensuite, favoriser l’acheminement de l’aide nécessaire aux populations. Ensuite, travailler pour la « déconfliction » et la consolidation de la paix, là où la sécurité a été établie. Ça, c’est un travail important, c’est un travail qui nécessite d’amener ensemble différentes communautés, inciter ceux qui prennent les armes de revenir vers le désarmement ou d’aller vers le désarmement, qu’on appelle le DDR, créer des conditions pour que, lorsqu’il y a cette disponibilité pour que ceux qui ont pris les armes, ça puisse être suivi d’effet, ce qui nécessite une action conjuguée de beaucoup de nos partenaires, bien sûr en liaison avec les autorités. Et puis, bien sûr, la réponse sécuritaire est aussi nécessaire, lorsque des groupes armés ne manifestent pas la disponibilité pour abandonner le recours aux armes.

Je crois que le travail important avec les partenaires centrafricains, avec les Forces armées centrafricaines, le Général Diop, qui est le Conseiller militaire du Secrétaire général et le Chef du Bureau des affaires militaires, s’est entretenu avec les plus hauts responsables militaires centrafricains pour examiner la manière dont nous pourrions continuer à soutenir les efforts de ces forces, et aussi, peut-être, améliorer le travail en matière d’entrainement, le soutien divers.

Evidemment, vous le savez, nous avons un mandat impératif donné par nos états membres en ce qui concerne ce qu’on appelle la diligence voulue en matière des droits de l’homme, c’est-à-dire, l’imposition qui nous est faite de veiller à ce que le travail que nous faisons avec les partenaires en uniformes se fasse dans le strict respect du droit international humanitaire et des droits de l’homme. Nous avons aussi un mandat impératif qui nous est donné par nos états membres, pour faire le suivi, rendre compte des allégations des violations des droits de l’homme d’où qu’elles viennent, je répète d’où qu’elles viennent, le travail que nous nous efforçons de faire dans la plus stricte objectivité et impartialité possible, mais je répète, en partenariat avec les autorités et les forces en uniformes, il est important et nécessaire.

In fine, quel est l’objectif d’une mission comme la MINUSCA ? C’est de faire en sorte qu’un jour nous puissions partir, en laissant derrière nous une situation où l’état aura retrouvé son autorité, sa présence, sa capacité à assurer les fonctions régaliennes et assurer les services à la population partout sur son territoire. Il y a eu des progrès, il ne faut pas le passer sous silence. Il y a aussi d’efforts supplémentaires à faire, et c’est ce que nous souhaitons faire dans le cadre de notre mandat.

Il y avait une dernière question sur le carburant. Et là, il y a deux choses. Il y a d’un côté notre mandat impératif qui est d’abord de veiller à ce que notre propre mission puisse travailler avec les ressources nécessaires, et il y a, par ailleurs, ce que nous pouvons faire, je dirais même en tant qu’Organisation au-delà de la MINUSCA, pour travailler à desserrer des contraintes qui pèsent sur les circuits d’approvisionnement, y compris des circuits d’approvisionnement en carburant. Et bien sûr, vous le savez, sur un sujet connexe mais important, qui est celui de fourniture en produits alimentaires et en engrais, il y a eu ce travail important de notre Secrétaire général en liaison avec la Turquie pour aboutir à ce que, à travers cet accord, les grains et les engrais, le marché de ces produits soient apaisés, que les prix baissent et le Secrétaire général a fait ce travail en ayant, je dirais à titre prioritaire à l’esprit, la situation des pays vulnérables comme la République centrafricaine.

Que faire ? Le marché des hydrocarbures est plus complexe, les acteurs sont de différentes natures, mais c’est aussi un plaidoyer qui est important de la part des Nations Unies. En ce qui concerne la MINUSCA, elle-même, elle exerce des missions de sécurisation aussi, puisque les circuits d’approvisionnement nécessitent d’être sécurisés, et je sais que la Mission continuera à faire le maximum pour apporter au moins cette contribution, parallèlement à son objectif essentiel. Nous sommes conscients du fait que c’est une importante contrainte qui pèse actuellement sur le pays.
Merci.

© MINUSCA SCPI 2022

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