CENTRAFRIQUE: LE PREMIER MINISTRE NGRÉBADA FACE AUX DÉPUTÉS: REPORTAGE ET RECOMMANDATIONS DES DÉPUTÉS PAR RAPPORT AUX DERNIERS ÉVÈNEMENTS DE L’OUHAM-PENDÉ, BOSSANGOA ET NOLA

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Le climat était lourd ce lundi 27 mai 2019 à l’hémicycle de l’Assemblée nationale où le Premier ministre Firmin Ngrébada accompagné de plusieurs membres de son équipe présents à Bangui, devrait répondre à l’interpellation des députés sur les graves événements qui continuent de défrayer la chronique. Ils se sont produits le dimanche 19 mai à Nola dans la Sangha-Mbaéré, les mardi 21 et mercredi 22 mai dans une partie de la préfecture de l’Ouham-Péndé située au nord-ouest du pays, et le 22 mai au village Saraba vers Bossangoa dans l’Ouham. Il s’agit des massacres des populations civiles dans certaines localités des sous-préfectures de Paoua et Bocaranga notamment dans les villages et les localités de Koundjili, Lemouna, Pougol, Kouhone, Longami, Bohong et Maïkane, de l’assassinat d’un inspecteur de l’enseignement primaire sur l’axe Bossangoa alors que la victime était en route pour Kabo après avoir animé un séminaire pédagogique à Bossangoa centre, sans oublier le meurtre d’une religieuse catholique franco-espagnole à Nola dans la Sangha-Mbaéré. A savoir que l’interpellation parlementaire est un exercice prévu à l’article 77 alinéa 1 et l’article 89 tiret 6 de la constitution centrafricaine en vigueur.
Deux questions principales ont été posées au Premier ministre, chef du gouvernement, par les députés :
-Qu’est-ce qui s’est passé dans les localités de Paoua, Bocaranga, Bossangoa et Nola et comment cela s’est-il produit?
-Face à ces événements, qu’est-ce que le gouvernement a fait ou qu’attend-t-il faire concrètement?
A ces questions, voici les réponses et clarifications apportées par le Premier ministre Ngrébada.
I-Exposé des faits
Pendant 32 mn d’horloge, le Premier ministre Firmin Ngrébada a fait le récit plus ou moins détaillé des événements dramatiques qui se sont produits dans ces différentes localités de la RCA en prenant soin de préciser au tout début de sa communication que: « Tous les Centrafricains ont le droit de savoir ce qui s’est passé» (sic).
A-A Nola, chef-lieu de la préfecture de la Sangha-Mbaéré situé à 480 km au sud-ouest du pays, la Sœur Inès Sancho, une religieuse catholique de nationalité franco-espagnole de 70 ans, a été sauvagement assassinée après le culte de 14 h. Son corps sans vie a été découvert tard dans les environs de 22 h. Les enquêtes sont en cours pour déterminer les circonstances de ce décès tragique et les auteurs seront traduits en justice pour répondre de leurs actes, a rassuré le chef du gouvernement.
B-A Paoua et Bocaranga dans l’Ouham-Péndé, le mardi 21 mai les villages et localités de Koundjili, Lemouna, Pougol, Longani dans la sous-préfecture de Paoua, ont connu une incursion des hommes du groupe armé 3R du ministre conseiller Abbas Sidiki qui sont venus rassembler les populations sous des arbres en disant qu’ils venaient les informer et les sensibiliser sur l’Accord de Khartoum. Or, ces malfrats cachaient des mauvaises intentions. Ils ont séparé les femmes et les enfants des jeunes, adultes et vieux hommes. Ce sont ces derniers qu’ils ont fusillés et certains mêmes égorgés. Des maisons et greniers ont été incendiés. A Koundjili il y’a eu 13 morts et, à Lemouna, 18 morts. A Lemouna particulièrement, les victimes ont été ligotées contre un arbre avant d’être exécutées et enterrées dans des fausses communes. Le directeur de l’école primaire de Lemouna, monsieur Tambaï Gnapélé Fernand, y a trouvé la mort. Koundjili et Lemouna sont deux villages de Paoua situés sur l’axe Bocaranga.
A Bohong, une grande bourgade de la commune de Mbili-Bocaranga située à 70 Km sur l’axe Bouar, les mêmes hommes de 3R ont fait la même chose selon le même mode opératoire. Il y’a eu 5 morts et plusieurs blessés évacués à l’hôpital de Bocaranga. Nombreux ont été les habitants qui ont fui pour se refugier dans la brousse ou à destination de la ville de Bouar voisine, chef-lieu de la préfecture de Nana-Mbaéré où ils sont arrivés en masse, au vu et au su de tous. Pillages, incendies des maisons et des greniers complètent le lot des crimes du groupe 3R à Bohong où quelque valeureux paysans ont tenté une résistance armée mais qui a été de courte durée, les rapports de force sur le terrain n’étant pas les mêmes. En dépit de la supériorité matérielle du 3R et sa puissance de feu, les paysans bohongais ont quand même réussi à abattre 1 élément du groupe 3R et blesser 3.
Les éléments 3R ont poursuivi leurs campagnes meurtrières jusqu’aux villages Mahikane et Kouhone situés respectivement à 19 et 20 Km de Bocaranga sur l’axe Bozom où des morts et des blessés ont été également enregistrés.
Le Premier ministre Ngrébada a informé les représentants de la Nation que la raison évoquée par les éléments 3R pour commettre ces crimes serait le vol de leur bétail. Il a ajouté que ce motif ne saurait expliquer de telles expéditions punitives. Car non seulement parce que la vie humaine est sacrée et protégée par la Constitution et les lois de la République qui interdisent la suppression de la vie en dehors de toutes sentences judiciaires, mais aussi et surtout l’Accord de paix du 06 février signé par les chefs et représentants des groupes armés dont Sidiki lui-même, interdit tout crime et toutes formes de violences entre les groupes armés et sur les populations civiles. Et que par ailleurs même si vol de bétails il y’avait, la réaction de 3R est manifestement disproportionnée et «inacceptable», a déclaré Firmin Ngrébada qui n’a pas caché sa colère contre les auteurs de ces crimes.
C-Au village Saraba à Bossangoa, les hommes armés assimilés aux ex-séléka ont froidement abattu le mercredi 22 mai 2019 monsieur Egnamgoto Yobo, inspecteur de l’enseignement fondamental 1, chef de secteur scolaire de Kabo, la sous-préfecture centrafricaine frontalière au Tchad, dans l’Ouham, située à 446 km au nord de la RCA sur un taxi-moto conduit par Emmanuel Dégoto qui a aussi subi le même sort.
Le Premier ministre n’a pas caché sa réprobation de tous ces actes criminels commis par les éléments de 3R qu’il a condamnés. Il a qualifié les actes d’«odieux» d’«ignobles» et de «criminels».
II-Déclinaison des mesures adoptées par le gouvernement
Selon le Premier ministre Ngrébada, le gouvernement n’est pas resté indifférent à tout ce qui s’est passé. Bien au contraire, il s’en est préoccupé et a pris des mesures et décisions adaptées aux faits. Pour les crimes de Nola et Bossangoa par exemple, il a déclaré que les enquêtes sont en cours et tout sera mis en œuvre pour que justice soit rendue.
Concernant les crimes commis par le groupe armé 3R dans l’Ouham-Péndé, le chef du gouvernement a énuméré les actions et mesures suivantes déjà prises:
-publication d’un communiqué de presse du gouvernement pour informer l’opinion nationale et internationale, condamner les faits et annoncer les mesures prises;
-lancement d’un ultimatum de 72 heures au chef de 3R Sidiki pour livrer les auteurs des crimes de Paoua et Bocaranga;
-une mission mixte d’information gouvernement/Minusca conduite par le ministre de l’Intérieur chargé de la Sécurité publique, le général de brigade Henri Wanzet-Linguissara, s’était rendue à Bohong où il s’est entretenu avec la population;
-un décret instituant 3 jours de deuil national en la mémoire de la sœur Inès Sancho de Nola et de toutes les victimes de Paoua et Bocaranga a été pris;
-une mission gouvernementale conduite par le ministre chargé de la Sécurité publique s’est rendue le 25 mai dans les villages Koundjili et Lemouna pour compatir avec les populations sinistrées;
-une Cellule de veille a été créée par arrêté du Premier ministre et placée sous le contrôle de ce dernier, pour suivre l’évolution des différentes situations;
-optimiste quand au succès des mesures prises ou déjà engagées et de ce que les auteurs de tous ces crimes ne demeureront pas impunis, monsieur Ngrébada a laissé parler son cœur en disant: «Ce qui échappe à la justice des hommes n’échappera pas à la justice de la nature». Il ne s’est pas empêché de dire que cette question de Sidiki sera posée lors de la prochaine réunion du Comité exécutif de suivi de l’Accord de paix du 06 février qui se tiendra ce jour mercredi 29 mai à Bangui. Le cas 3R de Sidiki sera donc débattu.
Mais comment les députés ont réagi face à la déclaration du chef du gouvernement?
III-La réaction des députés
Presque tous les députés présents à l’hémicycle de l’Assemblée nationale avaient envie de prendre la parole eu égard à la gravité de la situation. Mais comme la procédure prévue par les textes l’exige, seuls ceux qui se sont inscrits dans le délai ont été autorisés à prendre la parole.
Le président de l’Assemblée nationale le Très honorable Laurent Ngon-Baba a fixé le temps de parole ainsi qu’il suit:
-15 mn pour les groupes parlementaires;
-10 mn pour les députés dont les groupes parlementaires n’ont pas intervenu;
-5 mn pour les députés dont les groupes parlementaires ont déjà intervenu.
Ceci étant, le groupe parlementaire MLPC a été le premier à intervenir par la bouche de l’honorable Clément Noubona, député de la circonscription de Kabo. Après avoir exprimé sa compassion à toutes les victimes des derniers événements, il a déclaré que «le ciel s’assombrit sur l’Accord de Khartoum», lequel accord par ailleurs n’aurait « servi que d’ascenseur social à des chefs de guerre » (sic).
Face à tous les faits produits, l’orateur a demandé au gouvernement de donner les réponses concrètes au peuple par la « mise en mouvement des accords militaires qui lient la RCA avec les pays amis », afin de bouter hors du territoire national les éléments des groupes armés comme le 3R «rempli de rebelles étrangers qui se comportent en véritables terroristes». Et d’avertir: « Dieu ne descendra jamais sur la RCA pour nous libérer de la main de ces apprentis terroristes », a-t-il martelé.
Le député de Paoua 1, l’honorable Lucien Mbaïgoto dont le suppléant a trouvé la mort au cours des derniers événements survenus à Paoua, a précisé que les éléments de Sidiki ont fait incursion au village Koundjili à bord de 12 motos transportant chacune 4 personnes.
Il a par ailleurs dénoncé publiquement les relations coupables soutenues qu’entretient un membre du gouvernement avec le seigneur de guerre Sidiki, et cité nommément monsieur Issa Bi-Ahmadou, ministre délégué à l’Administration du territoire chargé du développement local, que Sidiki a placé dans le gouvernement. «Pourquoi il ne conseille pas bien son chef Sidiki?», s’est interrogé l’honorable Mbaïgoto qui a demandé avec insistance au Premier ministre d’autoriser ce représentant de Sidiki dans le gouvernement à prendre la parole pour s’expliquer sur le comportement du groupe 3R et de son chef Sidiki par rapport aux derniers événements qui se sont produits dans les sous-préfectures de Paoua et Bocaranga.
Il a enfin dénoncé la passivité notoire des forces gouvernementales et onusiennes pourtant présentes à Paoua devant les actes criminels des éléments de Sidiki. «Que font les FACA et les forces de la Minusca pour intervenir afin d’éviter la commission de ces crimes ou arrêter les criminels?», s’est-il interrogé.
Quant à l’honorable Jean-Claude Ngonga, député de M’Baïki 4, Sidiki devrait être tué pour que les Centrafricains de cette partie du pays qu’il contrôle ne continuent pas de mourir comme des animaux. Le député ne souhaite que la mort pure et simple de Sidiki, et confie la mission au Premier ministre Ngrébada.
L’honorable Bernard Dilah, député de la circonscription de Ngaoundaye 1 quant à lui a emboîté le pas à l’honorable Mbaïgoto pour dénoncer le jeu trouble et hypocrite du ministre délégué de l’Administration du territoire et représentant de Sidiki dans le gouvernement, M. Issa Bi-Ahmadou, et a exigé que ce dernier remette sa démission sur place avant la fin de la séance d’interpellation. Il trouve sa présence dans le gouvernement très dangereuse pour la paix dans le pays et surtout pour la vie des populations de l’Ouham-Péndé que contrôle de main de maître Abbas Sidiki.
Il a ensuite prodigué quelques conseils en stratégie militaire au Premier ministre Firmin Ngrébada et son gouvernement à toute fin utile, en se fondant sur l’exemple des anciens Romains. Fort de son immense culture gréco-romaine due à son passage au séminaire, à sa bonne maîtrise de la langue et des textes latins, ainsi qu’aux longues études qu’il a faites et aux enseignements qu’il a dispensés en tant que prêtre catholique à une époque de sa vie, l’abbé Dilah a évoqué le vieux dicton latin qui dit: « Qui vis pacem para bellum», c’est-à-dire « qui veut la paix prépare la guerre ». Mais comment les Romains préparaient la guerre?
D’après l’ancien prélat, pour préparer la guerre, les Romains commençaient d’abord par couper tous les axes de ravitaillements de l’ennemi. C’était la première stratégie qu’ils mettaient en place et exécutaient pour empêcher l’ennemi de se ravitailler en armes, en vivres, en ressources humaines, en logistiques, en renseignements, en communication (ponts, routes, etc.), en argent, et tous les autres moyens concourant à renforcer et à augmenter ses chances de gagner le combat. Et pour lui, les sous-préfectures de Ngaoundaye et Paoua sont les principaux axes de ravitaillement des rebelles par le Tchad voisin, ce qui permet aux rebelles et mercenaires d’organiser la mort et la désolation non seulement au nord et au nord-ouest du pays, mais aussi dans les autres parties du pays contrôlées par les groupes armés.
Par extension donc et à nous en tenir aux conseils du grand stratège militaire Dilah, les localités, villages et sous-préfectures de Baboua, Kouï, Kabo, Markounda, Ndélé, Birao, Am-Dafock et Ouadda Djalé, Obo, Zémio, Bambouti et Djéma, Bangassou et Gambo, Zangba, Mobaye et Satéma, Kouango, Ndjoukou, Zongo, Zinga, Mongo, Mongoumba, Balé-Loko et Bagandou qui sont les portes d’entrée des rebelles et mercenaires en RCA par le Cameroun, le Tchad, les deux Soudan et les deux Congo, doivent être bien surveillés pour mettre fin à leur porosité à l’origine des trafics d’armes et de munitions de tous genres qui alimentent la violence armée en Centrafrique.
A son tour, l’honorable Bertin Béa, député KNK de Boali, a exhorté le Premier ministre, chef du gouvernement à poser deux actes historiques que tous les Centrafricains attendent depuis les derniers événements qui constituent une préoccupation de tout le peuple, à savoir :
-la signature d’un décret relevant Abbas Sidiki de ses fonctions de ministre Conseiller militaire à la Primature. Chose très facile à faire puisque Abbas Sidiki, collaborateur direct du Premier ministre Ngrébada depuis le 22 mars 2019, relève de l’autorité directe de ce dernier, a-t-il renchéri;
-l’arrestation et la mise à la disposition de la justice du fameux Abbas Sidiki qui aurait d’ailleurs déclaré que les choses sérieuses ne font que commencer maintenant. On décode.
Presque tous les autres députés intervenants par la suite comme Mme Gina Sanzé la Princesse de Dékoa et autres, n’ont fait qu’exhorter le Premier ministre à arrêter non seulement les auteurs matériels des derniers crimes, mais aussi leurs chefs, et dans le cas d’espèce Abbas Sidiki, comme le fût Jean-Pierre Bemba Gombo, arrêté et jugé pour les crimes commis en Centrafrique par ses éléments appelés banyamulenges. Et ce ne sera que justice. La peur doit changer de camp et les sanctions prévues dans l’accord de Khartoum doivent être exécutées sans faiblesse.
La balle est désormais dans le camp de Touadéra et son gouvernement pour suite à donner aux légitimes recommandations des députés, recommandations qui sont les exigences du peuple centrafricain tout entier. Touadéra et Ngrébada sont condamnés à respecter la voix du peuple exprimée par ses représentants le 27 mai 2019, date historique. Sinon,…suivez mon regard.
Wait and see.
Mesmin Madidé-Aladila et Jean Bedel Dinga-Kpilè
Source: MEDIAS+

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