Centrafrique : le nombre des « Dormeur du Val » ne cesse de s’accroître dans l’indifférence totale

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« C’est un trou de verdure où chante une rivière, Accrochant follement aux herbes des haillons, D’argent ; où le soleil, de la montagne fière,Luit : c’est un petit val qui mousse de rayons. Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue, Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu, Dort ; il est étendu dans l’herbe, sous la nue, Pâle dans son lit vert où la lumière pleut. Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme, Sourirait un enfant malade, il fait un somme : Nature, berce-le chaudement : il a froid.Les parfums ne font pas frissonner sa narine ; Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit », Arthur Rimbaud, octobre 1870.Ce sonnet en alexandrins d’Arthur Rimbaud, daté d’octobre 1870, est l’un des poèmes les plus connus du poète. Je l’ai lu pour la première fois en 1980, en 6ème au Petit Séminaire Saint Marcel de Sibut. Depuis lors, je l’ai trouvé tellement beau que je ne l’ai jamais oublié.

Selon l’histoire, ce texte est sans doute inspiré au jeune Rimbaud, âgé à l’époque de 16 ans, par la guerre franco – allemande de 1870, et plus particulièrement par la bataille de Sedan, scellant la défaite française, le 3 septembre 1879, à moins de vingt kilomètres de Charleville, son lieu de résidence en ce temps – là. Cette scène, un soldat mort au milieu d’une nature omniprésente et accueillante, suscite effectivement l’indignation de Rimbaud. Il est cependant peu probable que celui-ci ait réellement assisté à ce qu’il décrit dans le poème. Dans ce contexte, Rimbaud a pu vouloir évoquer un déserteur exécuté, ou un soldat grièvement blessé dans les combats, venu mourir dans ce lieu idyllique.

Depuis le 30 mars 2016, alors que l’un des enjeux auxquels la République centrafricaine était confrontée avait pour noms détonations et  crépitements d’armes légères et lourdes avec toutes leurs conséquences macabres, et que celui qui s’était fait passer pour « le Candidat des Pauvres et l’Homme de la Rupture », s’était résolument engagé à y mettre un terme définitif, plus de sept années plus tard, dans nos villages, nos communes, nos sous – préfectures et nos préfectures, des armes continuent de tonner et de résonner. Du fait de son refus catégorique d’organiser un dialogue politique et inclusif, autant voulu par l’Onu, la France, les Etats – Unis, l’Ue, l’Ua et même la Cemac, autant exigé  par la cour constitutionnelle dans l’un de ses avis, par les groupes armés et l’ensemble des forces politiques et sociales du pays, avant la tenue des élections groupées du 27 décembre 2020, la crise sécuritaire  qui semblait s’éloigner peu à peu, conformément aux engagements contenus dans l’Accord de Paix de Khartoum du 6 février 2019, s’est brusquement rallumée.

Suite aux scrutins groupés du décembre 2020, marqués singulièrement par des actes de graves irrégularités manifestes et incontestables, à l’issue desquels il a été déclaré élu par l’ANE par seulement 17% du corps électoral et desquels plus de 300.000 Centrafricains ont été délibérément exclus, les groupes armés ont dénoncé cet Accord et ont repris les armes. Depuis ce moment – là, les sons des armes se sont substitués dans nos villes aux chants des oiseaux et rares sont devenus les chants des coqs, les paysans étant contraints de quitter leurs villages pour trouver refuge en brousse. Afin de préserver à jamais son pouvoir, Touadéra a fait appel à des mercenaires du Groupe Wagner et rwandais qui, sous prétexte de poursuivre les rebelles de la Coalition des Patriotes pour le Changement, tuent, volent, violent, torturent, incendient habitations et greniers, sodomisent même les forces armées centrafricaines, pillent les ressources minières et forestières et ne rendent compte qu’à lui et qu’à lui seul.

Après le limogeage de la présidente de la cour constitutionnelle et l’un de ses collègues pour s’être farouchement opposés à sa décision d’écrire une nouvelle constitution, et au lendemain de l’organisation des consultations référendaires du 30 juillet 2023, la démocratie a cessé d’exister dans ce pays. Désormais, c’est le règne de la terreur. Si, face à cette situation, l’ensemble des forces politiques et sociales, réunis à Paris le 25 septembre 2023, à l’initiative du chef de file de l’opposition démocratique Anicet Georges Dologuélé, ont déclaré qu’ils ne reconnaissent pas la Constitution du 30 août 2023 et les institutions nations qui en sont issues ou en seront issues, que le régime actuel est illégal et illégitime et qu’il n’y a d’autre alternative, compte tenu du verrouillage de toutes les institutions et de la mise en œuvre d’une politique de répression systématique et des forces politiques et sociales et des citoyens, que de lutter résolument et de manière concertée pour le rétablissement pour une démocratie véritable, les groupes armés, quant à eux, pensent à juste raison, comme l’ancien président de la transition Ferdinand Alexandre Nguendet, que la seule solution, pour le retour à l’ordre constitutionnel, reste et demeure la force ou le recours aux armes.

Ainsi donc, devant l’hypocrisie de la communauté internationale et la complicité avérée de la Minusca dans la liquidation de la démocratie et le renforcement du pouvoir illégal et illégitime de l’Imposteur de Bangui, les violences ont repris dans toutes les zones jadis sous contrôle des groupes armés, même là où la sécurité au bout du fusil semblait déjà revenir. Alors tous les jours, les deux camps comptent leurs morts et leurs blessés. Et pour donner l’impression à la masse que le régime maîtrise la situation, tout est mis en œuvre pour qu’on ne donne aucune information sur ce qui se passe aux fronts. Des familles entières sont obligées de faire leurs deuils en silence. C’est dans ce contexte que, le jeudi 12 octobre 2023, trois soldats qui se rendaient sans doute à un marché hebdomadaire, sont tombés dans une embuscade, entre Ngaoundaye et Bocaranga, tendue par des éléments de 3R appartenant à la CPC. Ils ont été tués et leurs équipements militaires récupérés. Des chefs de familles, fauchés dans la force de l’âge, abandonnant derrière eux femmes et enfants, à cause d’une guerre dont ils ignorent totalement la cause. Ils auront droit à un dernier hommage qui leur sera rendu par le chef suprême des armées et peut – être à des décorations post – mortem. Mais, qui s’occupera de leurs progénitures ?

Au nom de son pouvoir et pour ses intérêts personnels, égoïstes, charnels et partisans, des Centrafricains s’entretuent, tuent et sont tués. Et tous les jours que Dieu fait sur cette Terre des Hommes, le nombre des « Dormeur du Val » ne cesse de s’accroître dans l’indifférence totale. Jusques à quand durera cette Apocalypse ? Jusques à ce que les Centrafricains se résolvent à s’unir pour se battre. Car, comme le disait si bien Thomas Sankara, legende africaine anti – impérialiste, panafricaniste et tiers – mondiste voltaïque, puis burkinabè, chef d’état de l’ancien République de Haute – Volta, « L’esclave qui n’est pas capable d’assumer sa révolte ne mérite pas que l’on s’apitoie sur son sort. Cet esclave répondra seul de son malheur s’il se fait des illusions sur la condescendance suspecte d’un maître qui prétend l’affranchir. Seule la lutte … »

Jean – Paul Naïba

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