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Centrafrique : le brouillard se lève sur des élections sabotées

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Par Antoine Rolland, Correspondance à Bangui — 
Ce mardi, un meeting du président sortant Faustin-Archange Touadera devait se tenir à Bangui mais a été annulé.
Ce mardi, un meeting du président sortant Faustin-Archange Touadera devait se tenir à Bangui mais a été annulé. Photo Florent Vergnes. AFP

Une semaine après l’élection présidentielle, les Nations unies se félicitent d’un scrutin sans heurt, alors que la moitié des électeurs ont été privés de vote et que les groupes armés lancent de nouvelles attaques.

 

L’histoire connaît une fin moins flamboyante que prévu. L’Autorité nationale des élections de Centrafrique a annoncé ce lundi une victoire à 53,91% pour le président sortant, Faustin-Archange Touadéra. Mais une autre donnée attire l’attention : la participation s’élève à 76,31%… sur 910 000 votants. Or, officiellement, 1,8 million de Centrafricains sont inscrits sur les listes électorales.

La moitié des électeurs ont donc été privés de leur vote. Le problème vient des nombreuses villes où le scrutin a été empêché à cause des menaces de groupes armés, ou des bulletins détruits. Le président sortant a finalement été réélu grâce aux voix d’un tiers seulement du corps électoral.

Derrière ce sabotage : François Bozizé. L’ex-président déchu en 2013, ancien général d’armée qui entretient une passion depuis quarante ans pour tout ce qui touche au putsch dans son pays, menaçait explicitement la tenue du scrutin. Le matin du vote, sur les boucles WhatsApp, il avouait pour la première fois être derrière la Coalition des patriotes pour le changement (CPC), alliance hétéroclite de six des principaux groupes armés du pays, et appelait ses partisans à boycotter l’élection. Une enquête judiciaire a été ouverte à son encontre, ce lundi, par le parquet de Bangui.

Un scrutin «libre, démocratique, transparent, inclusif»

Une belle histoire devait pourtant s’écrire dès le 27 décembre, jour du vote en Centrafrique. Celle d’un pays qui parvient à organiser, avec l’aide de la communauté internationale, et pour la deuxième fois consécutive, un scrutin «libre, démocratique, transparent, inclusif», selon l’expression consacrée. Celle d’un peuple qui se lève massivement malgré les groupes armés. Les comptes Facebook de la Minusca, la mission de maintien de la paix des Nations unies, relayaient ce jour-là les images des files d’attente devant les bureaux de vote banguissois. Des rumeurs d’attaques de la capitale par les groupes armés de la Coalition des patriotes pour le changement ont certes circulé, mais sans se vérifier. Les rebelles auraient été repoussés par les Casques bleus, les Rwandais et les Russes.

People queue to cast their votes at the Lycée Boganda polling station in the capital Bangui, Central African Republic Sunday, Dec. 27, 2020. Voting has begun in Central African Republic's presidential and legislative elections after a campaign period marked by violence between rebels and government forces. (AP Photo)

L’heure est au soulagement. «Nous voulons féliciter le peuple centrafricain qui a bravé les défis sécuritaires pour venir très nombreux élire le président et les députés de leur choix», s’exclame le 28 décembre Marie-Noëlle Koyara, la ministre de la Défense chargée du plan de sécurisation des élections. Elle loue un «vote sanction» contre les groupes armés. Le soir, Bangui respire, donc, mais un brouillard persiste sur l’arrière-pays : qui a pu vraiment voter ? Brouillard qui va mettre une semaine à se dissiper complètement.

Malaise dans la communauté internationale

La mission onusienne, sans qui les élections n’auraient pu se tenir, reprend totalement à son compte le narratif du gouvernement. Au grand désespoir des partis de l’opposition, qui dénoncent un scrutin tronqué. Les déclarations de Denise Brown, numéro 2 de la Minusca, le 28 décembre, balancent entre naïveté et cynisme : «L’analyse des Nations unies est que ce n’est pas les groupes armés qui ont gagné hier, mais la population centrafricaine. Ils ont essayé de bloquer les élections, mais n’ont pas pu le faire.» Celle qui porte la double casquette de coordinatrice humanitaire n’a pas un mot pour les électeurs terrés chez eux la veille, ni sur l’attaque de la base de la Croix-Rouge internationale de Bouar. «Que peuvent-ils dire d’autre ? rétorque un observateur. Ce sont leurs élections.»

En comparaison, le silence du G5+ (groupe dont font partie la France, les Etats-Unis, la Russie, l’Union européenne) et de la Banque mondiale, deux des plus gros bailleurs de ces élections à plus de 30 millions d’euros, devient assourdissant, et signe d’un malaise. «La Minusca avait besoin de ces élections à date, car elle considère que c’est la preuve que ses actions fonctionnent, estime Juliette Ganne, chercheuse à l’Institut des sciences politiques de Genève. Ses prises de parole, ses vidéos postées sur Facebook sur le déroulement du vote, toutes leurs communications sont plus à destination de New York, Paris, Bruxelles, que des acteurs nationaux.»

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Perturbations post-électorales

Combien de temps pourra durer le déni ? Plusieurs candidats, dont Anicet-Georges Dologuélé, arrivé deuxième avec 21% des suffrages exprimés, ont promis dès lundi soir d’introduire des recours. La plateforme d’opposition dont il fait partie, et qui est toujours alliée politiquement à François Bozizé, a déjà appelé à l’annulation des élections.

Sur le plan sécuritaire, les perturbations post-électorales s’intensifient. La CPC a attaqué ce week-end la ville de Damara, fief du président Touadéra, à 75 kilomètres de Bangui. Pire, à Bangassou, à 750 km de la capitale, ils ont mis en déroute l’armée centrafricaine et pris le contrôle de la ville après plusieurs heures de combat, selon les déclarations du chef de bureau local de la Minusca à l’Agence France Presse. Ce que le représentant spécial de l’ONU en République centrafricaine, Mankeur Ndiaye, a désavoué publiquement sur Twitter, affirmant que la Minusca gardait le contrôle. Pour préserver encore un peu la belle histoire.

Antoine Rolland Correspondance à Bangui

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