Centrafrique : la mise en place des bases de la terreur par Touadéra et ses mercenaires du Groupe Wagner

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La mise en place des bases de la terreur

En octobre 2017, une rencontre discrète a eu lieu à Sotchi, en Russie, entre une délégation centrafricaine et le ministre russe des Affaires étrangères, Sergey Lavrov. 61 À cette occasion, Moscou et Bangui ont discuté de trois composantes principales concernant l’engagement de la Russie en RCA : un soutien politique, une assistance en matière de sécurité et des opérations minières. À l’époque, la réforme de l’armée centrafricaine était une préoccupation majeure pour les autorités russes, qui ont encouragé leurs homologues centrafricains à commencer rapidement à introduire des changements dans l’organisation militaire pour assurer la sécurité du président, selon un compte rendu de la réunion publié par Mondafrique.

À l’issue de la réunion, la décision a été prise d’envoyer en RCA des instructeurs russes, appelés à cette époque « spécialistes armés d’origine étrangère ».64, 65 Pendant des années, le terme « instructeurs civils russes » a été continuellement utilisé par les autorités russes et centrafricaines pour parler de la présence de combattants du Groupe Wagner dans le pays, niant délibérément l’existence du groupe paramilitaire malgré l’existence de preuves matérielles de plus en plus évidentes. Les discussions de Sotchi ont également évoqué la possibilité de déguiser ces spécialistes armés en employés de sociétés de sécurité. 70 Sewa Security Services, une société enregistrée en RCA affiliée au Groupe Wagner, a ainsi été créée en novembre 2017 et elle a représenté le canal légal par lequel la Russie a déployé des mercenaires du Groupe Wagner.

En janvier 2018, à la suite d’une notification au Comité des sanctions du Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) concernant la RCA, la Russie a livré la première cargaison d’armes en plus de cinq instructeurs militaires et 170 civils russes — qui se sont avérés être du personnel du Groupe Wagner — à l’aide d’un avion militaire russe. Le coordonnateur des instructeurs russes a déclaré au Groupe d’experts de l’ONU que : « tous les instructeurs étaient des ressortissants russes et qu’ils avaient été recrutés par le
ministère russe de la Défense auprès d’une association appelée Communauté des Officiers pour la Sécurité Internationale (COSI), composée principalement d’anciens militaires ». Plusieurs rapports de l’ONU, ainsi que des sources interrogées par The Sentry, ont depuis confirmé la présence de Syriens et de Libyens parmi les rangs du Groupe Wagner, indiquant le recrutement potentiel de combattants dans les pays où le Groupe est déployé.

Peu de temps après que le Groupe Wagner ait établi sa présence en RCA, la réélection de M. Touadéra est devenue une priorité vitale pour le groupe paramilitaire, qui a manœuvré en vue de maintenir un régime pro-russe après l’échéance électorale de décembre 2020. Au cours des années qui ont précédé les élections, le représentant du Groupe Wagner s’est efforcé de persuader les chefs de groupes armés les plus influents du pays et les membres de l’opposition politique de soutenir la réélection de M. Touadéra. Bien que la Cour constitutionnelle ait confirmé M. Touadéra à la présidence le 18 janvier 2021, la Coalition de l’opposition démocratique en République centrafricaine (COD-2020), composée des principales figures de l’opposition politique, a rejeté les résultats des élections et refusé de reconnaître la victoire de M. Touadéra, invoquant des fraudes massives et de graves irrégularités. Entre-temps, le 13 janvier, la Coalition des Patriotes pour le Changement (CPC), une coalition de groupes armés dirigée par l’ancien président et putschiste François Bozizé, a lancé une offensive à Bangui pour tenter de perturber les résultats électoraux et renverser M. Touadéra.

La levée d’une armée parallèle

« J’ai utilisé les moyens à ma disposition, notamment les accords qui lient la Centrafrique avec d’autres pays, comme le Rwanda et la Fédération de Russie. C’était indispensable : si la CPC était entrée dans Bangui, c’était le coup d’État assuré ». – M. Touadéra.

Bien qu’au final le coup d’État ait échoué, la menace de la CPC a marqué un tournant dans la stratégie militaire du Groupe Wagner en RCA. Vladimir Titorenko — ambassadeur de Russie en RCA à l’époque — a déclaré en 2021 que « l’assistance militaire que Moscou apportait à Bangui continuerait » et que « les instructeurs russes resteraient jusqu’à ce que les rebelles de la CPC (Coalition des patriotes pour le changement) et les bandits des groupes armés soient entièrement anéantis ». Les autorités russes ont ainsi annoncé le déploiement de 900 personnels supplémentaires, portant rapidement le nombre total d’instructeurs militaires — des mercenaires du Groupe Wagner — à environ 2 600 fin 2021. La Russie a déclaré au Groupe d’experts de l’ONU sur la RCA que le nombre d’instructeurs n’a jamais dépassé 550 et a insisté sur le fait qu’ils n’étaient pas armés et que leur rôle se limitait à former et à transporter les forces armées nationales dans les zones d’opérations militaires, à conseiller et à apporter un soutien logistique, et à assurer l’évacuation sanitaire. Le Groupe d’experts de l’ONU a néanmoins noté dans son rapport de 2021 que « les instructeurs russes avaient activement participé aux opérations de combat sur le terrain. De nombreuses sources ont observé que les instructeurs étaient souvent à la tête des FACA lorsqu’elles progressaient vers les villes et villages ». Cela a également été corroboré par plusieurs sources interrogées par The Sentry. Le gouvernement russe n’a pas répondu à la demande de commentaire de The Sentry.

Début 2021, le Groupe Wagner, avec le soutien de M. Touadéra et de son entourage proche — des membres influents du parti politique au pouvoir, le Mouvement Cœurs Unis (MCU) —, ont ensemble profité du déclenchement de la contre-offensive contre la CPC pour lever une armée parallèle qu’ils pourraient contrôler et privatiser en vue de défendre des intérêts privés (voir l’annexe 1). Environ 5 000 nouvelles recrues des FACA ont contourné la procédure légale de recrutement et le processus de vérification soutenu par l’ONU entre 2021 et 2022. The Sentry a également constaté que le Groupe Wagner a assuré la formation et l’équipement d’environ 12 unités militaires — la plupart ayant été créées après janvier 2021— dont les membres ont été déployés dans des opérations militaires contre les milices de la CPC et leurs sympathisants présumés, y compris des civils et des membres de la COD-2020 (voir l’annexe 1). Avec cette armée parallèle, M. Touadéra et son partenaire russe ont pu contourner la surveillance des partenaires traditionnels de la RCA, notamment l’Union européenne, les États-Unis et l’ONU.

L’enquête de The Sentry, étayée par des rapports de l’ONU, a révélé que la Russie avait également livré du matériel militaire lourd — des armes de guerre qui n’étaient pas apparues auparavant dans le conflit centrafricain —, notamment des hélicoptères de combat, des avions, des véhicules terrestres, des drones de reconnaissance et des armes lourdes, y compris des canons de 14,5 mm. Des sources bien informées ont également déclaré à The Sentry que le Groupe Wagner utilisait des mines terrestres en RCA. Le Groupe d’experts de l’ONU sur la RCA a noté que « les livraisons de matériel destiné aux forces de sécurité de l’État se sont enchaînées à un rythme jamais vu depuis l’imposition de l’embargo sur les armes en 2013 ». Bien que cette réponse ait aidé M. Touadéra et son allié russe à reprendre progressivement le contrôle des principales villes et des zones minières stratégiques du pays — préservant ainsi un régime pro-russe — elle a également entraîné une escalade sans précédent de la violence armée dans tout le pays.

Dans la foulée de ces déploiements, les opérations militaires menées par les FACA et les combattants du Groupe Wagner se sont soldées par des attaques aveugles contre des civils perçus comme des ennemis de M. Touadéra et de la Russie. Dès mars 2021, un groupe d’experts de l’ONU prévenait la communauté internationale et M. Touadéra « d’exécutions sommaires massives, de détentions arbitraires, de torture pendant les interrogatoires, de disparitions forcées, de déplacements forcés de la population civile, de ciblage indiscriminé d’installations civiles, de violations du droit à la santé et d’attaques croissantes contre les acteurs humanitaires » commis par les FACA et les mercenaires du Groupe Wagner. Cela a été confirmé trois mois plus tard par le Groupe d’experts de l’ONU sur la RCA ainsi que par CNN avec The Sentry, qui a publié une enquête révélant des atrocités de masse commises dans tout le pays.

Malgré cela, la CPC — composée principalement de miliciens anti-Balaka fidèles à M. Bozizé et de deux groupes armés majoritairement composés de combattants peuls, Unité pour la Paix en Centrafrique (UPC) et Retour, Réclamation et Réhabilitation (3R) — a continué à poser « une menace constante pour la sécurité intérieure de la RCA, car ses structures [sont] pour la plupart intactes », a écrit le Service européen pour l’action extérieure dans une note interne en novembre 2021. Au fur et à mesure que son mode opératoire évoluait et que les combattants de la CPC commençaient à agir selon « un mode d’opération de style guérilla dans l’arrière-pays », les effectifs des FACA n’étaient plus suffisants pour contrer la menace de la CPC. De plus, la guerre en Ukraine a eu des implications directes sur les opérations du Groupe Wagner en RCA, le groupe ayant vu ses effectifs chuter de moitié, tombant à environ 1 100 hommes à la mi-2022.

Refusant de perdre leur avantage et de céder les territoires reconquis, notamment les grandes villes et les sites miniers stratégiques du pays, le Groupe Wagner et l’entourage proche de M. Touadéra ont continué à soutenir le recrutement de milliers de miliciens, dont des ex-combattants de la CPC, et de jeunes pour compenser le manque d’hommes capables de contrer la CPC. Le Secrétaire général de l’ONU a confirmé le recrutement de miliciens dans un rapport, indiquant que « les forces de défense nationale et autres personnels de sécurité ont poursuivi leurs opérations militaires à l’ouest et à l’est, recrutant des éléments anti-Balaka et des combattants dissidents de l’Unité pour la paix en Centrafrique comme supplétifs ». Bien que certains de ces miliciens aient été formellement intégrés dans les unités militaires nouvellement créées, d’autres combattants ne l’ont pas été et n’ont donc aucun grade militaire officiel (voir l’annexe 1).

Formés à terroriser

« C’est les Russes qui nous ont formés pour protéger le régime [de M. Touadéra] », a déclaré un commandant militaire de la garde présidentielle à The Sentry. Depuis 2018, les membres des FACA — et plus récemment des miliciens — sont formés par des instructeurs du Groupe Wagner sur une base militaire à Berengo, une ville située à 65 kilomètres de Bangui. Selon des membres des FACA, de la garde présidentielle, et des miliciens interrogés par The Sentry, qui ont tous déclaré avoir été déployés dans des opérations militaires aux côtés de combattants du Groupe Wagner, les instructeurs du Groupe Wagner ont dispensé des formations militaires comprises entre un à six mois — selon l’unité militaire — qui comprenaient un entraînement aux armes à feu, du combat au corps à corps et des techniques d’espionnage, d’interrogatoire et de torture. Un membre de la garde présidentielle qui a reçu cette formation a déclaré à The Sentry : « Commando formation, formation interrogatoire, technique agressive, torture, violence. C’était un instructeur russe qui donnait la formation ». Pour obtenir des informations sensibles de leurs ennemis, plusieurs soldats et miliciens entraînés ont expliqué qu’on leur avait appris à couper les mains, les doigts et les jambes ; arracher les ongles ; utiliser des couteaux pour couper la chair ; étrangler ; jeter du carburant et brûler des gens vivants ; organiser des enlèvements ciblés ; et plus. Ces formations ont contribué à préparer le terrain pour la pratique d’atrocités de masse et de crimes odieux — confirmés par des rapports de l’ONU, d’ONG et des médias — dans le cadre de la contre-offensive contre la CPC.

Source : The Sentry « Architectes de Terreur », juin 2023

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