Centrafrique : la diplomatie parallèle de Wagner embarrasse Moscou

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CENTRAFRIQUE : la diplomatie parallèle de Wagner embarrasse Moscou

Actif sur le terrain militaire et dans les médias, le groupe de sécurité privée Wagner fait preuve d’un activisme qui tranche avec la réserve qu’observe la diplomatie russe ces dernières semaines, au point de créer des distensions avec les canaux officiels de Moscou.

Edition du 28/10/2021 Lecture 3 minutes

Alexander Ivanov (au centre, tenant un document), représentant des instructeurs de Wagner en Centrafrique, a été reçu à l’Assemblée nationale centrafricaine le 15 octobre 2021. © Communauté des Officiers pour la Sécurité internationale (Cosi)/Twitter
C’est l’un des VRP du groupe de sécurité privée Wagner en Centrafrique. Celui qui se fait appeler Alexandre Ivanov auprès des médias centrafricains s’est fait acclamer le 15 octobre dernier par les députés lors d’une cérémonie organisée à l’Assemblée nationale par son président, Simplice Mathieu Sarandji, dit « SMS », par ailleurs mentor politique du chef d’Etat Faustin Archange Touadéra. Une très bruyante célébration officielle alors que l’Etat centrafricain est critiqué pour sa proximité avec Wagner.
Ivanov est le porte-parole de la Communauté des officiers pour la sécurité internationale (Cosi), confidentiel canal médiatique des instructeurs russes sur le réseau social Twitter. La Cosi est elle-même proche de la Fondation pour la défense des valeurs nationales, think-tank de la galaxie Wagner dont le financier est un proche direct du président russe Vladimir Poutine, Evgueni Prigozhin.

Cérémonie Wagner

Les coulisses de l’opération de communication ont été tumultueuses. Elle s’est tenue en lieu et place d’une séance de questions aux ministres de l’intérieur, Michel Nassin, et de la défense, Jean-Claude Rameaux Bireau, laquelle s’avérait potentiellement embarrassante alors que les Forces armées centrafricaines (FACA) et les alliés russes subissent des attaques dans l’arrière-pays. Après un report dû à l’absence des ministres, « SMS » a préféré contre-attaquer sur le plan politique en organisant à la va-vite cette cérémonie à la gloire des alliés russes et rwandais. Ces derniers étaient finalement absents.
La célébration a surtout incommodé la diplomatie russe, prévenue à la dernière minute. Etait invité Dmitriy Sytyi, le remplaçant de Valery Zakharov, le conseiller russe à la sécurité nationale du président Faustin Archange Touadéra, absent depuis plusieurs mois (AI du 19/10/21).

Plausible déni

L’épisode est symptomatique de la position équivoque de la diplomatie russe vis-à-vis du groupe de sécurité privée Wagner. Côté centrafricain, les autorités promeuvent la « coopération russe » comme un bloc homogène.
Coté russe, le narratif sur la présence des instructeurs est cependant plus ambigu, afin de pouvoir nier toute implication gênante pour Moscou. Une ambivalence qui n’est pas sans engendrer quelques incohérences. Ainsi l’ambassade russe à Bangui affirme ne pas connaître la Cosi, qui prétend pourtant représenter les instructeurs, présents dans le cadre d’un accord officiel entre la Russie et Centrafrique signé en 2018.
Les canaux officiels de la diplomatie russe sont contraints de cohabiter et parfois collaborer avec le groupe paramilitaire, notamment pour les questions sécuritaires, mais non sans tension. Parmi les raisons de l’absence de l’ambassadeur russe Vladimir Titorenko depuis de longs mois figurerait ainsi la réticence de ce dernier vis-à-vis de Wagner, et ce malgré ses prises de position publiques tranchées en faveur des instructeurs. Il était par ailleurs de notoriété publique que ses relations avec Zakharov étaient difficiles.
A la tête du bureau du ministère de la défense russe ouvert à Bangui en 2020, le général Oleg Polguev a également été une victime collatérale des tensions avec le groupe paramilitaire. Selon nos informations, il a dû quitter son poste début juillet et regagner la Russie à cause d’une mauvaise entente avec des éléments de Wagner.
Un embarras qui s’illustre jusqu’aux plus hautes sphères des officiels moscovites : mi-septembre, le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov a ainsi refusé de rencontrer Faustin Archange Touadéra en marge de l’assemblée générale des Nations unies. Le président centrafricain est de plus en plus associé par les chancelleries occidentales, mais aussi africaines, au groupe paramilitaire (AI du 29/06/21).

Une diplomatie culturelle active

A rebours de la discrétion de la diplomatie russe de ces dernières semaines, Wagner, de son côté, semble pour le moment ne pas vouloir mettre un coup d’arrêt à ses activités en Centrafrique. Et ce même si certains paramètres semblent lui échapper, comme les dynamiques des groupes armés dans l’arrière-pays. Sur le plan économique, la coopération douanière que portait le groupe de sécurité privée a été pour le moment suspendue par des Centrafricains soucieux d’un rééquilibrage diplomatique vis-à-vis des partenaires occidentaux (AI du 04/10/21).
Mais la société rebondit au niveau culturel : elle a entamé la construction d’un futur centre culturel russe sur les bords du fleuve Oubangui, sur le modèle de l’Alliance française. Il sera voisin des ambassades russe et française. Un deuxième film, après le succès médiatique de Tourist, diffusé en mai pour promouvoir l’activité des forces russes en Centrafrique, est également en tournage.

Lettre du Continent

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