
L’assassinat de trois journalistes russes en Centrafrique serait lié au contrôle du négoce des « diamants de sang ».

© Thierry Bresilion / Anadolu Agency
« Diamonds Are a Girl’s Best Friend », chantait l’inoubliable Marilyn Monroe dans Les Hommes préfèrent les blondes à propos de l’éclat des joyaux de carbone. Le récent assassinat de trois journalistes russes en Centrafrique souligne combien les précieux brillants demeurent les amis des seigneurs de guerre africains et des contrebandiers venus du Proche-Orient comme de l’ex-URSS qui blanchissent les « diamants de conflits » au mépris du système de contrôle mis en place par l’ONU.
La mystérieuse société militaire privée Wagner au cœur de l’enquête…
Les trois journalistes russes – Orkhan Djemal, Kirill Radtchenko et Alexandre Rastorguïev – ont été abattus sur une route perdue près de Sibut, petite ville à 300 kilomètres de Bangui, la capitale de la Centrafrique. Ils enquêtaient sur les activités d’une mystérieuse nébuleuse militaire parallèle proche du Kremlin : le groupe Wagner.
Les ONG Transparency International et Conflict Intelligence Team soupçonnent la firme de mercenaires présente aux côtés des forces russes en Syrie ou dans l’est de l’Ukraine d’être chargée de la sécurité des mines de diamants situées en zone rebelle. Des accusations corroborées par des informations dignes de foi recueillies à Anvers, premier centre mondial de la commercialisation des diamants bruts.
La Centrafrique est en proie à une guerre civile depuis mai 2013, à la suite du renversement du président François Bozizé par les groupes armés musulmans de la Seleka.
Mais trois ans plus tard, sous la pression de la France, l’ex-puissance coloniale, les ventes à l’étranger provenant des zones contrôlées par les forces gouvernementales et l’ONU reprennent après la levée partielle de l’embargo.
Un trafic qui contournait le processus de Kimberley
L’isolement des zones insurgées est toutefois un échec cuisant. Les exportations illégales, via les comptoirs d’achat légaux installés dans les pays voisins, le Cameron, le Tchad et le Soudan, se jouent de l’embargo. De nombreux intermédiaires libanais, israéliens, indiens mais aussi, depuis peu, russes grouillent autour des mines ou des exploitations alluviales pour racheter des marchandises, au prix le plus bas possible, à de petits mineurs artisanaux.
Dans son rapport annuel sur les ressources minérales, l’ONG britannique Global Witness, qui lutte contre le trafic des matières premières, dénonce le chaos prévalant en Centrafrique, « Alors que la communauté internationale travaille avec le gouvernement légal et les compagnies d’extraction diamantaire, la contrebande et le négoce illégal prospèrent sur le marché noir parallèle. » Pour sa part, Transparency International classe la Centrafrique au 159e rang sur 176 pays sur son indice de perception de la corruption.
Le trafic des diamants de sang de RCA avait été mis en exergue lors de la publication, en 2015, des « Swiss Leaks » sur les agissements d’HSBC Private Bank installée à Genève.
Dans ce contexte, comment expliquer la présence dans les zones rebelles de Wagner Group ?
La Russie est le premier producteur de diamants bruts au monde en volume devant le Botswana et la République démocratique du Congo. En valeur exprimée en dollar, la Russie et le Botswana restent en tête. La production russe a profité de l’accent mis par son président, Vladimir Poutine, sur l’exploitation de ses richesses naturelles. C’est également devenu un centre important de taille et de négoce. Parallèlement, des firmes russes sont à la pointe de la production de diamants synthétiques en vue de concurrencer les diamants naturels.
Mais le Kremlin n’entend pas en rester là. Ces dernières années, Moscou s’est lancé à l’assaut du pré carré africain des centres diamantaires rivaux, Tel-Aviv, Anvers, Dubai, Beyrouth et Bombay.
Officiellement, la Russie aide le gouvernement de Bangui en lui vendant des armes et en lui fournissant des instructeurs. Mais les diamants les plus gros et les plus purs étant en zone rebelle, le Kremlin agirait dans ces zones de l’est par l’entremise de Wagner, une société de mercenaires.
Ce triple assassinat démontre que la plus précieuse des pierres n’a toujours pas perdu « son éclat cruel » dont parlait Kipling. Comme avec la drogue, les « diamants de sang » continuent de circuler, comme si de rien n’était.