Centrafrique : Il faut reporter les élections à une date convenable

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Le président Faustin Archange Touadéra a annoncé samedi 10 octobre 2020 sa candidature aux élections présidentielles de 27 décembre 2020, à l’issue du congrès ordinaire de son parti, le Mouvement Cœurs Unis (MCU).

1 – Une trilogie de mensonges.

Dans son discours d’investiture, l’impétrant a commis trois mensonges :

–        un mensonge par omission, lorsqu’il prétend que la RCA était plongée dans le chaos depuis décembre 2012, quand il est arrivé au pouvoir. Il oublie qu’il était premier ministre à cette date et ce chaos imputable à son gouvernement ;

–        un mensonge par vanité, en prétendant s’être rendu au nord, au sud, à l’est et à l’ouest du territoire pour entendre l’appel du pays. Tout le monde a en mémoire l’inauguration ridicule du pont sur le Gribingui, dont la cérémonie s’est tenue à 100 kilomètres de l’ouvrage d’art ;

–        un mensonge par anticipation lorsqu’il promet le câblage numérique de la ville de Berberati, à l’ouest du pays, alors que la RCA est dépourvue de tout réseau électrique, sauf à Bangui.

En réalité, de ses 5 ans de gouvernance à la tête du pays, on ne retiendra qu’une image du président Touadéra ; la ressemblance à tous ces prédicateurs évangéliques noirs, gras et luisants, qui ont fait de leur religion un commerce, et de leur bien-être personnel une religion.

Au plan politique, rien n’a été entrepris pour sortir la RCA de la crise qui perdure depuis décembre 2010 et dont nous avons fait l’analyse dès 2011 (1). Au contraire, il a volontairement cédé le pouvoir aux ennemis de la République centrafricaine, comme deux ou trois de ses prédécesseurs qui ont trouvé, dans la transition politique à la tête de l’État, une occasion de faire rapidement fortune au détriment de la sécurité et du bien-être des Centrafricains.

Aujourd’hui, cette politique de guerre contre le peuple révèle son vrai visage : les chefs de bandes armées, que l’on disait étrangers, s’inscrivent sur les listes électorales en exhibant des cartes nationales d’identité centrafricaine, délivrées en février 2012, à une date où l’actuel président était le premier ministre d’un chef de l’État nommé François Bozizé !

2 – Une « pluie noire » de candidatures.

Avec la candidature de Faustin Archange Touadéra, la liste des présidentiables déclarés s’allonge. Mais entre ceux qui ont déjà effectué deux mandats consécutifs et ne peuvent se représenter pour un troisième mandat, ceux qui ne peuvent pas se rendre à l’assemblée générale des Nations Unies pour défendre les positions de la RCA parce qu’ils sont interdits du territoire américain, ceux qui sont condamnés par la justice française et ne peuvent paraître dans ce pays, l’instance de validation des candidatures aura du mal à trier le bon grain de l’ivraie. A ce stade, il ne manque plus que la candidature des différents chefs de bandes armées pour que le tableau soit complet. Juridiquement, rien ne s’y oppose. Ce n’est plus une liste, c’est une « pluie noire » !

Et pourtant, ils sont tous le problème de la RCA et n’en sont pas la solution : la pire serait la reconduction de l’actuel chef de l’Etat, lequel a déclaré allégeance aux chefs de guerre, ennemis du peuple centrafricain ; la plus incongrue serait le retour du président François Bozizé, lequel a étouffé la démocratie en République centrafricaine et subordonné la souveraineté de ce pays à un Etat étranger ; l’indicible étant la candidature de Mme Catherine Samba-Panza, laquelle a avoué publiquement avoir donné des instructions pour fausser les résultats des votes de 2016. Après une biographie commandée à sa gloire, un clip vidéo digne d’une star du Hip Hop mettant en scène sa propre image et des affiches psychédéliques vantant son profil, en attendant sans doute un biopic qui viendrait travestir son maigre bilan à la tête de la transition, la voilà qui tient meeting à Paris. On voit désormais à quoi servent les milliards évaporés du don angolais (2) !

3 – Une véritable pantalonnade.

A ce rythme, les prochaines élections en Centrafrique deviennent une véritable pantalonnade où la souveraineté du pays est foulée au pied et les droits du peuple anéantis. Dans ces conditions, quatre motifs, du plus simple au plus dirimant, militent pour le report de ces élections à une date plus convenable :

–        l’incompétence notoire et avérée de l’actuelle ANE (autorité nationale des élections) dont le mandat prend fin le 21 décembre prochain, une semaine avant le premier tour des scrutins présidentiel et législatif ! Un report permettrait de conduire un audit général de la défaillance de l’ancienne gouvernance, avant d’installer les nouveaux membres élus sur des bases plus saines (3);

–        la mise à l’écart, du fait de la pandémie mondiale du coronavirus décrétée par l’OMS en décembre 2019, d’un certain nombre de candidats putatifs installés à l’étranger, interdits par ce fait de remplir les critères de candidature fixés par l’article 36 de la constitution du 30 mars 2016 ;

–        la non inscription ou le refus d’inscription sur les listes électorales des déplacés internes ou réfugiés à l’extérieur du pays, pourtant reconnus et recensés comme tels par la Minusca et le HCR. Ils sont près de 600 000 personnes qui se verraient privés d’exercer leurs droits citoyens ;

–        enfin, l’insécurité qui règne dans plusieurs localités sous contrôle des bandes armées, lesquelles empêchent la libre circulation des personnes, du fait du non-respect des dispositions de l’accord de Khartoum qui arrive à échéance et sera forclos le 6 février 2021 prochain. Cette situation rompt l’égalité du traitement entre les différents candidats aux présidentielles et surtout aux législatives qui ne pourront pas faire campagne dans leurs circonscriptions respectives.

Au regard de ces contraintes incontournables, un report par voie de consensus entre toutes les parties concernées est indispensable pour des élections sincères, transparentes, inclusives et crédibles.

4 – Le risque d’un passage en force.

Le mandat des forces de maintien de la paix de l’ONU, chargées de la logistique des élections, étant prorogé jusqu’en juillet 2021, le pouvoir dispose d’un délai appréciable pour organiser des scrutins dans des conditions acceptables.

A défaut d’un tel report négocié par tous les acteurs concernés, tous les candidats issus des partis politiques de l’opposition ou de la société civile devront prendre l’engagement de ne pas concourir et d’appeler leurs partisans à s’abstenir d’aller voter. L’actuel hôte du Palais de la Renaissance devra dès lors se couvrir de cendres avant d’aller, seul, devant les électeurs mesurer les conséquences de sa forfaiture.

Certes, le président Touadéra est fondé à prendre le risque d’un passage en force qui lui garantirait un renouvellement de son mandat. Il vient d’ailleurs de signer un accord de défense et de coopération militaire avec la Russie qui lui octroie dès à présent l’affectation de 20 véhicules blindés légers (VLB) et la formation de 94 policiers (4). Il s’agit de prévenir les manifestations d’après élections et non de lutter contre les bandes armées. Le président élu s’érige en dictateur !

Mais en cautionnant une telle stratégie, les grandes puissances que sont la France, les États-Unis, la Chine et la Russie, qui siègent au sein du Comité stratégique d’appui au processus électoral en Centrafrique (CSAPE), aux côtés des représentants de l’Union européenne et de l’Union africaine, violeraient l’engagement des Nations Unies et feraient de la RCA le « ventre mou » de l’Afrique centrale (5).

Il appartient au Médiateur de la crise centrafricaine, le président Denis Sassou-Nguesso, de la République du Congo, de convaincre toutes les parties concernées de l’opportunité d’un tel report.

Paris, le 16 octobre 2020

Prosper INDO

Économiste

Consultant international.

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