« En raison de la tension de trésorerie de l’état, toutes les dépenses assignées à la caisse de l’agent comptable central du trésor sont suspendues jusqu’à nouvel ordre », peut – on lire dans une note de service, datée du 16 décembre 2022 et dûment signée par le ministre des finances et du budget Hervé Ndoba, en sa qualité d’ordonnateur principal du budget général de l’état. Ce qui signifie, en français facile, que les caisses de l’état sont vides.
Ainsi donc, le gouvernement prétend dérouler, sans crier gare, une impitoyable politique de rigueur et d’austérité depuis quelque temps comme si le couple bonne gouvernance – transparence était aux manettes. Les crédits des ministères sont amputés de moitié dans le projet de la loi en examen à l’assemblée nationale, et les régies financières, c’est – à – dire la police, les services fiscaux, et les douanes affichent une férocité sans pareille pour renflouer les caisses de l’Etat.
Une vraie ironie du sort semble tenir en laisse le pouvoir. Lorsque les leaders des partis politiques de l’opposition démocratiques regroupés au sein du BRDC, les 12 apôtres et tous les résistants au pouvoir de Bangui avaient lancé, au cours de leurs sorties médiatiques, et leurs maintes rencontres ou manifestations, à Paris, Bruxelles et Strasbourg, que les caisses de l’Etat allaient être vides dans les jours à venir, comme vient de le reconnaître aujourd’hui publiquement le grand argentier du pays, alors le camp présidentiel avait piqué une colère noire. Fort injustement !
Car, le régime de Touadéra, sous la gouvernance d’un certain Henri Marie Dondra, ministre des finances et du budget de 2016 à 2022, avait cloué le trésor public sous le poids de multiples et multiformes systèmes de détournements des fonds publics et de siphonnages des crédits de l’état. Ces actes de mal – gouvernance ont fini par affecter très négativement les différentes lois de finances et leur dénier tout critère de sincérité, de crédibilité et de transparence. Un an après son départ, et suite à la suspension des appuis budgétaires de la France et ceux des partenaires techniques et financiers traditionnels, le débat des « caisses vides » que tous les opposants à Touadéra prédisaient, devient soudainement une réalité et s’impose aux autistes de Bangui.
Non que l’opposition ait soulevé la controverse, mais parce qu’une série de faits donne à croire à une véritable indigence du trésor public. Le non – paiement des factures dues aux fournisseurs de l’état, en ce qui concerne les crédits de fonctionnement et d’investissement, le non – entretien des locaux des départements ministériels, à l’exemple du ministère des affaires étrangères et des centrafricains de l’étranger et des représentations diplomatiques, la non – poursuite des marchés des travaux de réhabilitation ou de construction de certains édifices publics, la suspension des engagements de certaines dépenses obligatoires, en ce qui concerne les évacuations sanitaires par exemple, la non – exécution de certains appels de fonds liés aux PGA, au fonctionnement des hôpitaux et des centres pénitentiaires, et le non – paiement des bourses constituent autant de signes incontestables d’agacement qui annoncent et valident la raréfaction des liquidités dans les caisses de l’état.
Mais aussi invraisemblable et étonnant que cela puisse paraître, le samedi 24 décembre 2022, le ministre de la communication et des média et porte – parole du gouvernement Serge Ghislain Djorie va monter au créneau pour affirmer que les salaires des fonctionnaires du mois ont bel et bien été payés et que la « note de service » n’était en réalité qu’un piège tendu pour « mettre la lumière sur les vrais amis » de la République centrafricaine. « Le texte a été signé le 16 décembre de cette année et le 20 décembre, nous avons payé les salaires. Et toutes les dépenses obligataires de l’État. Maintenant, je vous confirme tout simplement qu’il n’y a aucune tension du Trésor en République centrafricaine. La République centrafricaine fait l’objet de chantage, de campagnes de chantage, de campagnes de dénigrement. Alors, nous voulons tout simplement identifier les vrais amis de la République centrafricaine. Mais cela ne veut pas dire que par rapport à toutes les projections du développement, nous n’avons pas à le justifier non plus. Ça, nous savons que nous avons beaucoup de défis à relever puisque la RCA est sortie d’une crise, donc naturellement le besoin est énorme », a déclaré ce dernier.
Ainsi donc, le porte – parole du gouvernement, un vrai « doctus cum libro », réfute les termes de la note de service publiée par le grand argentier de la Répubique, le « Brouteur d’Abidjan » Hervé Ndoba. En français facile, selon Dr Djorie, le processus d’exécution du budget 2022, au moment où nous mettons sous presse, se déroule normalement avec un rythme de recouvrement correct des recettes ainsi qu’une prise en charge satisfaisante des dépenses. De ce fait, pour couper court aux rumeurs véhiculées à travers la presse au cours de ces derniers jours faisant état de tensions de trésorerie au niveau de l’Etat et d’accumulation d’arriérés de paiements importants vis-à-vis d’entreprises exécutant des investissements publics, cette approche signifierait tout simplement qu’à ce jour, toutes les dépenses arrivées à maturité sont prises en compte au niveau des différents services compétents du MFB et que les critères d’évaluation du Programme Economique et Financier sont respectés, notamment le plafond trimestriel des instances de paiements et le plancher des dépenses sociales.
Ce qui malheureusement n’est pas du tout vrai. Parce que, au titre des dépenses financées sur ressources internes, depuis le mois d’octobre 2022, il a fallu faire de grosses gymnastiques, en recourant même à des prêts avec des taux de remboursements exorbitants, pour mobiliser les enveloppes globales devant être destinées à la prise en charge des dépenses de personnel, du remboursement du service de la dette publique, et du paiement des prestataires de services et des décomptes dus aux entreprises exécutant des travaux au titre des projets et programmes d’investissements publics, sans parler de certains engagements non tenus. Pour les dépenses financées sur ressources externes, du fait de la suspension des appuis budgétaires français et des aides de certains partenaires techniques financiers internationaux, les résultats des engagements effectués pendant cette période sont tant mitigés qu’insatisfaisants.
Pis, les argumentaires développés par le ministre Serge Ghislain Djorie sont loin d’être pertinents et convaincants du seul fait qu’ils ne sont nullement soutenus par des chiffres cohérents indiquant le niveau réel des recettes recouvrées pendant cette période, et les montants des dépenses engagées et payées par rubriques. Tout naturellement, cette carence notoire ne peut que décrédibiliser les propos qu’il a tenus, lors de cette sortie médiatique, et leur donner in fine un caractère purement ridicule. En outre, pour quelqu’un qui représente l’état, en sa qualité de membre d’un gouvernement, une telle posture ne saurait être acceptée, car non seulement elle remet en cause le principe de la solidarité gouvernementale, mais surtout elle porte gravement atteinte de par son impertinence à l’image, l’honneur et la dignité de la République. Par conséquent, elle trahit fondamentalement l’éducation de l’homme, doit le couvrir de honte et d’essaims de mouches vertes et fait de lui un véritable « minus habens » et un plus pire qu’un idiot.
Car, pour tout expert budgétaire digne de ce nom, il est important d’admettre et de reconnaître, d’abord, comme l’a dit le ministre des finances et du budget Hervé Ndoba, qu’on est actuellement dans une situation économique très difficile. C’est le premier pas pour faciliter sa prise en charge, à travers des mesures rigoureusement adressées. Ensuite, suivra une sensibilisation des acteurs, en premier lieu les fonctionnaires, la mission de la fonction publique n’étant pas assimilable à l’enrichissement et un fonctionnaire de la République ne devant pas être riche, du fait sa situation de fonctionnaire, nous parlons bien « du fait de sa situation de fonctionnaire uniquement ». Dans une économie en bonne santé, c’est la force d’un secteur privé qui doit être le signal de facteur de création de richesses. Enfin, il faudra entrainer les populations aux changements nécessaires et induits par chaque mesure forte, de façon non arrogante, mais ferme.
En définitive, si le gouvernement a une dette vis-à-vis des départements ministériels, des institutions nationales, des établissements parapublics, des hôpitaux et des écoles, des maillons essentiels des secteurs prioritaires, tels que sont la santé et l’éducation, au point que cela impacte significativement sur la qualité et la régularité de la fourniture des différents services sociaux de base, il est très difficile d’admettre que l’économie est redynamisée. A ce sujet, la parole apportée aux Centrafricains doit être claire, sans soubassements de manœuvres politiciennes, l’économie étant une discipline, certes complexe, mais qui, dans la pratique, est assise sur un fondement simple et réel avec une dimension capitale pour l’investissement portée par la trésorerie.
De ce fait, nous ne pensons pas que cela devrait constituer une quelconque honte, pour un quelconque gouvernement, d’assumer en face de son peuple une « tension de trésorerie », pour reprendre les propres termes du « Brouteur d’Abidjan ». Tout comme il semble être un droit primaire, pour un citoyen d’un quelconque pays, de connaître la situation des ressources publiques, le flux mis à jour des rentrées et sorties. Nous ne cesserions de préciser que les ressources du trésor public ne sont essentiellement constituées que des impôts et taxes prélevés aux citoyens par diverses formes. Donc, c’est un devoir de transparence basique pour un régime politique, vis-à-vis de ceux qui lui ont donné un mandat et qui s’appellent les citoyens, d’installer un cadre de transparence. Ne pas satisfaire à cette exigence est un premier pas clair assumé d’une volonté de mauvaise gouvernance pour n’importe quel Etat.
Par contre, ce qui peut constituer une gêne, c’est l’absence de cohérence entre des discours épidermiques portés par tous ceux qui se réclament de la mouvance présidentielle, sans attention préalable sur la légitimité de la parole. Dans un gouvernement, les rôles sont censés être définis et assumés par chacun en fonction de ses prérogatives conférées. Fort malheureusement, dans ce pays, il est récurrent qu’un partisan politique, sans aucune responsabilité institutionnelle, sans maîtrise réelle de la technicité, sans aucun minimum de standard civilisationnel, sans aucun respect du peuple, détenteur du pouvoir souverain et sans aucune domestication de la langue de Molière, se pourvoit sur une ligne de prise de défense sur des questions sensibles et dédiées à l’institution gouvernementale, pour créer la cacophonie. Les problèmes de communication du régime en place sont à rechercher d’abord dans la légitimité de la parole et la discipline du verbe.
La rédaction