Centrafrique : Honte à Vous, Assassins de la Démocratie et Liquidateurs de la Liberté !

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Comme il fallait s’y attendre la cour constitutionnelle dont la présidente Danièle Darlan est membre du parti – Etat dénommé « Mcu », alors que la délibération était annoncée pour le mardi 19 janvier 2021, a déclaré un jour plus tôt élu le « Tricheur de Bangui », dès le 1er tour de l’élection présidentielle du 27 décembre 2020. Il a obtenu 53,16% sur un total d’électeurs inscrits arrêté à 1.858.236 pour un taux de participation non pas de 76% comme initialement annoncé par l’ANE mais de 35,25%. Un véritable camouflet pour Me Barthélémy Mathias Morouba pris ainsi en flagrant délit de manipulations des résultats !

La réaction de la Coalition de l’opposition démocratique face à ces résultats ne s’est pas fait attendre. Réunie en session extraordinaire le mardi 19 janvier 2021, la Conférence des Présidents a révélé dans une déclaration que « la grande majorité des centrafricains inscrits sur la liste électorale soit 65% n’a pas participé au vote, que le président Touadéra a été déclaré élu vainqueur avec seulement 17% du corps électoral, ce qui lui ôte toute légitimité pour diriger notre pays et y ramener la paix ». Par conséquent, suite aux innombrables fraudes et irrégularités ayant manifestement caractérisé ces élections, en sus de l’exclusion de plus de 300.000 réfugiés du processus, et du fait du rejet systématique par la cour constitutionnelle de toutes les requêtes formulées, elle a décidé de ne pas reconnaître la réélection du président Touadéra. Une prise de position très lourde de conséquences, car elle pose et soulève l’épineuse question de crise de légitimité qui va s’ajouter à la dégradation sécuritaire pendante.

Cette posture responsable et républicaine est d’autant vraie que la notion « d’élections » de tout temps et dans tous les pays du monde qui s’y recourent comme mode d’accession au pouvoir renvoie substantiellement à celle de démocratie. «  Elle traduit l’idée que le peuple a le droit de choisir son ou ses représentants. A ce titre, la Déclaration Universelle des droits de l’Homme en son article 21 alinéas 3 insiste sur le fait que: « La volonté du peuple est le fondement de l’autorité des pouvoirs publics ; cette volonté doit s’exprimer par des élections honnêtes qui doivent avoir lieu périodiquement, au suffrage universel égal et au vote secret ou suivant une procédure équivalente assurant la liberté du vote». Ainsi, organiser les élections revient à respecter certaines conditions, à savoir la sincérité, l’inclusivité, la crédibilité, la transparence dans l’exercice du processus électoral, sa périodicité, le respect scrupuleux des droits et devoirs des citoyens… », comme l’avait mentionné un expert en la matière.

Malheureusement, ce qui s’est passé dans notre pays, le dimanche 27 décembre 2020, en République centrafricaine, tant dans la capitale Bangui que dans les 16 préfectures, est tout sauf une démocratie. Du fait de nombreuses irrégularités et autres dysfonctionnements dont l’ANE, le comité d’appui stratégique au processus électoral, l’assemblée nationale, le conseil d’état, la cour constitutionnelle, le président Touadéra et son gouvernement se sont rendus coupables tout au long de la préparation de ces scrutins groupés, et faisant suite aux exactions commises par les groupes armés membres de la Coalition des Patriotes pour le Changement, nous avons assisté à une véritable mascarade, car la majorité des électeurs inscrits n’a pas pu exercer librement et effectivement son devoir citoyen. Or dans le contexte de crise sécuritaire, institutionnelle, politique et socio – économique où se trouvait et où se trouve encore la République, organiser des élections transparentes, libres, inclusives, crédibles et apaisées avait non seulement pour but de consolider la paix et asseoir la légitimité des pouvoirs en place, mais surtout apparaissait pour l’opinion nationale et des observateurs de la politique centrafricaine comme un mode pacifique et consensuel de sortie de crise. Sur ce plan, Dieu seul sait combien elles étaient et demeurent légions les attentes de nos populations, portant tout aussi bien sur le respect des droits humains que sur la nécessité pour elles de vivre enfin dans des environnements sécuritaires stables. Et Dieu seul sait aussi combien ces attentes légitimes et légales sont aujourd’hui, dans un pays plus fracturé que jamais, restées intactes !

Ces anomalies inventées et mises en œuvre délibérément par l’exécutif avec la complicité active et avérée de la communauté internationale, par l’entremise du représentant spécial du secrétaire général de l’Onu « Menteur » Ndiaye et le G5, ne peuvent pas être acceptables et acceptées par tout démocrate et tout combattant de la liberté dignes de ce nom, pour la simple raison que  la démocratie imbrique en Afrique, depuis l’effondrement du mur de Berlin et l’avènement de la politique du Glasnost et de la Pérestroïka lancée en 1985 par Mikhaïl Gorbatchev en URSS, l’adoption de nouveaux principes, à savoir, les libertés individuelles et collectives, les droits fondamentaux dévolus aux êtres humains, l’existence d’un État de droit, la séparation des pouvoirs, l’existence de pluralisme démocratique, les droits des peuples à disposer d’un gouvernement légitime, etc. Ce mode de conquête du pouvoir et de gouvernance qui s’appelle tout simplement démocratie, c’est – à – dire « le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple », se matérialise en grande partie à travers l’alternance du pouvoir et l’organisation d’élections libres, équitables, publiques et transparentes.

En République centrafricaine, l’histoire de cette lutte pour plus de liberté et d’ouverture démocratique, a été relatée par Clotaire SAULET –SURUNGBA in « Devoir de Mémoire » (1ère Partie) en ces termes :

« Au lendemain de l’acceptation par le régime du Général André KOLINGBA du pluralisme politique et syndical au début des années 90, l’Opposition politique, la Société Civile Centrafricaine et les Travailleurs, organisés dans les Centrales Syndicales, ont engagé des luttes pour l’instauration de la Démocratie. Partout en Afrique, la Conférence Nationale Souveraine était apparue comme la voie incontournable pour y parvenir. Pourtant, en 1980 déjà, le génie centrafricain avait eu à initier le  » Séminaire National de Réflexion « , véritable  » conférence nationale souveraine « …Le cadre de travail et de lutte a été le Comité de Coordination pour la Convocation de la Conférence Nationale Souveraine (CCCCN). Le CCCCN, présidé par M. Aristide SOKAMBI et appuyé par la communauté internationale – comme en témoigne la participation à la marche du 1er Août 1992 de l’Ambassadeur des Etats-Unis à Bangui, M. SIMPSON, muté plus tard au Zaïre de MOBUTU -, boycotta et appela par tous les moyens au boycott du Grand Débat National (GDN). Pour le Rassemblement Démocratique Centrafricain (RDC), ses alliés et le Forum Civique (FC) du Général Timothée MALENDOMA, au regard de la spécificité du contexte politique centrafricain, le Grand Débat National était le type de forum approprié. L’une des premières victimes de cette lutte pour la Démocratie, sinon, la première victime aura été le Docteur CONJUGO, mort le 1er Août 1992 au cours des manifestations de protestation contre l’ouverture du Grand Débat National (GDN). M. Jacques MBOSSO en a été le président.

Fer de lance dans cette lutte, les Travailleurs, sous la direction des responsables syndicaux les plus en vue, M. Théophile SONNY- COLE et M. Jackson MAZETTE, engagèrent des actions multiformes et les grèves illimitées eurent pour conséquences la désorganisation de l’économie et l’assèchement des ressources de l’état : treize mois d’arriérés de salaires pour les fonctionnaires et agents de la Fonction Publique à la veille des élections de 1992. La grande pagaille observée dans l’organisation de ces consultations amena toute la classe politique à demander leur annulation et la mise en place du Conseil National Politique Provisoire de la République (CNPPR), structure aux pouvoirs non clairement définis mais qui, en faisant cohabiter le Général André KOLINGBA, le Professeur Abel GOUMBA, le président David DACKO, M. Ange Félix PATASSE, aura eu le mérite de permettre au pays d’attendre dans un calme relatif l’organisation des nouvelles élections en 1993. La création de ce Conseil de la République marquait l’agonie du CCCCN et le coup de grâce aura été la candidature aux élections présidentielles de M. Ange Félix PATASSE, candidat du MLPC. L’Opposition politique et la Société Civile mirent alors en place un nouveau cadre de travail : la Concertation des Forces Démocratiques (CFD), placée sous la présidence du Professeur Abel GOUMBA. Le front syndical, miné par une guerre de leadership vit voler en éclat son unité et Jackson MAZETTE, Secrétaire Général de la Fédération Syndicale des Enseignants de Centrafrique (FSEC -USTC) et membre du Bureau Politique du MLPC et ses amis quittèrent l’Union Syndicale des Travailleurs de Centrafrique (USTC), la première Centrale syndicale du pays pour créer l’Organisation des Syndicats Libres du Secteur Public (OSLP). Le Secrétaire Général, Théophile SONNY –COLE aura compris par cette scission, l’alignement politique de l’un de ses Secrétaires Généraux de Fédérations syndicales qui composent la centrale USTC.

Parmi les faits majeurs qui ont ponctué la campagne électorale en1993, on peut retenir le fameux  »  MBI GA AWE ! « (je suis de retour !) de PATASSE et la promesse de faire battre la monnaie en Centrafrique, l’exaltation de la paix ou  » SIRIRI  » de KOLINGBA et la longue diatribe  » philosophique  » en Sango, contre la paix d’Eloi ANGUIMATE, président de la Convention Nationale (CN). Grâce à M. Nestor KOMBO –NAGUEMON (paix à son âme), précédemment Ambassadeur de la République Centrafricaine en Allemagne et président du Parti Libéral Démocrate (PLD), le Rassemblement Démocratique Centrafricain (RDC), entra en possession d‘un film réalisé en Allemagne, faisant état des accointances de PATASSE avec des milieux mafieux…Des images de PATASSE assorties de la croix gammée circulaient pour attirer l’attention des électeurs sur la nécessité du bon choix…Les militants du MLPC, très actifs, se faisaient confectionner eux-mêmes des tee-shirts à l’effigie de leur leader ou photocopiaient sur du papier A4 la photo du  » Grand Camarade « . Cet engagement n’était pas loin de ce fanatisme des partisans de l’Ayatollah Khomeiny en Iran, lors de la chute du Shah…

C’est dans ce contexte que M. Ange -Félix PATASSE, candidat du Mouvement de la Libération du Peuple Centrafricain (MLPC) de retour au pays en 1992, après dix années d’exil au Togo, a remporté au second tour les élections présidentielles du 19 Septembre 1993, face au Professeur Abel GOUMBA, candidat de la Concertation des Forces Démocratiques (CFD). Le Général André KOLINGBA au pouvoir, arrivait au premier tour, après les présidents David DACKO, Abel GOUMBA et Ange -Félix PATASSE. Alors que David DACKO avait été chassé du pouvoir par la force le 1er Janvier 1966, l’empereur BOKASSA 1er écarté de son trône par l’Armée Française qui avait ramené David DACKO par l’opération Barracuda le 19 Septembre 1979 et un peu plus tard, le Général François BOZIZE chassant le président Ange -Félix PATASSE le 15 Mars 2003, il y a peut être lieu de dire que l’un des premiers fruits de la Démocratie aura été ce premier changement au plus haut sommet de l’Etat et qui avait eu lieu dans le calme. Un président sortant avait eu à organiser la cérémonie d’investiture d’un président entrant…

L’avènement de PATASSE à la magistrature suprême de l’Etat était porteur d’espoirs : espoir des travailleurs en activité qui, par des grèves illimitées, ont accusé près de treize mois d’arriérés de salaire et galvanisés par la victoire, sont déterminés à relever le défi du développement et ont repris sans conditions le travail ; espoir des étudiants dont les arriérés de bourse ont été assimilés à une  » goutte d’eau  » (sic) ; espoir des travailleurs à la retraite dont les pensions n’étaient plus une priorité du Trésor Public ; espoir dans les villages, dans les provinces qui attendaient enfin l’enlèvement des produits agricoles…Espoir pour tout le peuple qui aspirait à conjuguer les cinq verbes du MESAN de Barthélemy BOGANDA, à savoir : se nourrir, se soigner, se vêtir, s’instruire et se loger. Après les illusions de l’indépendance de 1960, enfin l’espoir pouvait être permis avec le  » Changement  » de 1993… »

Il ressort aujourd’hui de la lecture de cette histoire que la mobilisation de la communauté internationale, tout particulièrement de la France et des Etats – Unis, à travers les soutiens indéfectibles de leurs diplomates, et son implication dans le processus électoral pour une meilleure transparence, ont permis d’atténuer la crise qui couvait entre le régime moribond et autocratique du général Kolingba et toutes les forces vives de la nation et œuvrer de manière incontestable en faveur de la consolidation de la paix dans ce pays. De la transition politique, née du génie centrafricain et d’une véritable concertation nationale entre les principaux leaders des partis politiques, la société civile et les pouvoirs publics, ce processus a fait évoluer la République et le peuple centrafricain vers une alternative politique acceptée par tous et une sortie pacifique et consensuelle de crise à l’issue des élections démocratiques de 1993 après l’annulation de celles de 1992 pour « fraudes massives et vives contestations populaires ».

27 années plus tard, alors que les élections du 27 décembre 2020 devaient aider à plus de démocratisation de la société centrafricaine et contribuer  à mettre fin à la crise militaro – politique que connait le pays depuis la fin de la transition et les douloureux et dramatiques événements de 2013, conformément à une recommandation de l’Ua édictée en 2012, selon laquelle «  les élections se présentent alors comme un moyen de sécurisation des communautés déchirées par des conflits », tout a été malheureusement mis en œuvre pour que celles – ci ne concourent pas à pacifier le Centrafrique et à unir les Centrafricains. Comme dirait l’autre, tout le contraire du cas de la Côte – Ivoire, suite aux accords de paix de Linas – Marcousis de 2003, où mandat avait été donné aux Nations unies de veiller à la tenue des élections présidentielles dont l’objectif était de tourner la page de dix années de crise militaro-politique et aider à asseoir la légitimité des pouvoirs en place. De ce fait, si en Côte d’Ivoire, malgré une campagne de sensibilisation réussie, perceptible au travers du taux élevé de participation au processus électoral avoisinant les 80 %, de violents conflits post-électoraux ont éclaté dans la capitale faisant plusieurs morts et de nombreux blessés, qu’en serait – il en République centrafricaine où le « Tricheur de Bangui » n’a été élu que par 17% du corps électoral, où les résultats des élections n’ont pas été reconnus par la coalition de l’opposition démocratique et où les forces de la Coalition des Patriotes pour le Changement occupent plus de 95% du territoire national ? Quelles peuvent alors être les pistes de solutions pour endiguer cette situation?

Pour pouvoir apporter des solutions durables à ces problèmes, il semble nécessaire de s’attaquer, non pas seulement aux causes politiques, sociales et économiques qui ont engendré cette crise, mais aussi aux causes institutionnelles et organisationnelles entourant le jeu démocratique. Repenser notre système électoral et tendre vers une modernisation des pratiques en vigueur serait somme toute l’idéal. Mais, avant d’en arriver là, il faut avoir l’honnêteté intellectuelle et le courage politique d’avouer que l’absence de dialogue entre toutes les parties prenantes, le refus systématique et systémique du « Tricheur de Bangui » à mettre en place une nouvelle ANE en tant qu’institution constitutionnelle, dans un délai de douze mois après sa prise de fonction ou tout simplement sa volonté d’en faire un dispositif de fraudes, en la conservant comme tel, c’est – à – dire en sa qualité d’organe technique, expliquent aisément la situation inédite dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui. Ce manque de transparence découlant de la violation manifeste des dispositions constitutionnelles en l’espèce a finalement laissé planer le doute sur les résultats attendus des urnes, et l’indépendance de cette structure laissait du coup à désirer. Cet exemple illustre bien le fait que la crise actuelle dépend tout naturellement de la manière et des conditions dans lesquelles ces « foutues d’élections » ont été organisées, sans oublier évidemment les pesanteurs sécuritaires dégradantes. Ne pas écouter les plaintes et les peurs des populations, à toutes les étapes du processus électoral et à travers les sollicitudes des partis politiques et de la société civile, quand il est question de l’avenir du peuple entier, ce n’est plus de la démocratie, c’est de la «dictature électorale». L’idée ici est de converger vers une démocratie participative qui permettrait aux populations d’avoir un rôle prépondérant dans l’organisation des élections et éviterait par la même occasion le rejet des résultats et partant la perte de légitimité de la démocratie dans notre pays.

Ainsi donc, de cette «  dictature électorale » soutenue fort étonnement par toute la communauté internationale est sorti non pas un président démocratiquement élu, mais un imposteur, le « Tricheur de Bangui » dont la candidature a été rejetée par plus de 83% du corps électoral. Comment dans ces conditions tout démocrate et tout combattant de la liberté dignes de ce nom peuvent – ils reconnaitre sa réélection ? Le faire, pour tous les acteurs sans exclusive de la lutte pour l’avènement du pluralisme démocratique dans ce pays en 1992, ne fait pas tout naturellement d’eux les assassins de tous les « Nouveaux Dr Conjugo » que nous sommes ? Y a – t – il une différence entre cette démocratie pour laquelle ils s’étaient battus trois années durant de 90 à 93 et celle que nous réclamons au régime de Bangui ? Dans la négative, leurs soutiens au « Tricheur de Bangui » ne sont – ils pas les mêmes que les ardeurs dont faisaient preuve un certain Komélo et les éléments blindés autonomes contre nous naguère à chacune de nos manifestations dans les états – major des partis politiques, à l’Université de Bangui et à la Bourse de Travail ?

Honte à vous, car reconnaitre la réélection du « Tricheur de Bangui », non seulement c’est profaner la mémoire de tous ceux qui furent nos compagnons de lutte et les martyrs de la démocratie, mais surtout c’est reculer face à ces pratiques rétrogrades – que nous avions dénoncées jusqu’aux sacrifices suprêmes -, c’est enterrer, comme l’a dit Celllou Dallein Diallo, l’espoir de bâtir des Etats de droit et des sociétés démocratiques sur notre continent.

Jean – Paul Naïba

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