Centrafrique : « Explosion d’une chaudière à la société Palme d’Or à Lessé » : quand le Rapport du GTSC révèle et confirme à demi – mots un crime organisé !

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INCIDENT A PALME D’OR : A QUI LAFAUTE ?

Rapport collectif

Mars 2024

 

L’opinion nationale centrafricaine était, en grande partie, surprise et choquée d’apprendre la nouvelle de l’explosion le mercredi 20 mars 2024 en fin d’après-midi d’une chaudière de la société Palme d’OR à Lessé dans la Préfecture de la Lobaye ayant entrainé des pertes en vies humaines d’employés sur le site. Les images qui circulaient quelques heures après le drame sur les réseaux sociaux préjugeaient de la gravité de la situation.

Face au silence attendu de l’élite politique dirigeante qui, trois jours plus tard, va paradoxalement adresser au nom du Peuple centrafricain ses condoléances les plus émues et attristées au Peuple de la Russie1, les organisations de la société civile, à l’exemple du Groupe de Travail de la Société Civile sur la Crise Centrafricaine, du Réseau des Filles et Femmes Elites et de l’Organisation des Jeunes Leaders pour le Développement, ont dépêché le samedi 23 mars une mission d’observation sur le site du drame.

Conduite par le Docteur Paul-Crescent BENINGA, la mission d’observation était composée des personnalités qui suivent :

1- Dr Paul-Crescent BENINGA, Directeur exécutif du Centre Centrafricain de Recherche et d’Analyse Géopolitique (CCRAG) et Porte-parole du Groupe de Travail de la Société Civile sur la Crise Centrafricaine (GTSC) ;

2- Pamela DEROM, Coordonnatrice du Réseau des Filles et Femmes Elites pour le Développement (RFFED) et ancienne Présidente du Conseil National de la Jeunesse Centrafricaine (CNJCA) ;

3- Léa FEIKERAM, responsable de la protection à l’Organisation des Jeunes Leaders pour le Développement (OJLD) ;

4- Jean-Fernand KOENA, journaliste-reporter de Radio Ndeke Luka.

La mission a pu visiter le site de l’entreprise et échanger avec deux responsables de la société Palme d’Or, deux agents de sécurité et trois employés présents sur le site le jour de l’explosion. Un focus group a été organisé avec des représentants de la communauté riveraine.

1 Voir le message de condoléances du Président de la République au Président Vladimir POUTINE du 23 mars 2023.

 

I         L’ENTREPRISE

Lancée en mai 2019 et située à 130km de Bangui, au village Lessé dans la région de la Lobaye, Palme d’Or est une société anonyme au capital de 2.780.960.000 CFA. Elle a obtenu de l’Etat centrafricain une concession de 25 000 hectares pour développer une plantation industrielle de 10 000 hectares de palmiers à huile et y implanter une ou plusieurs huileries de palme2. La société dispose de deux ateliers distants l’un de l’autre d’environ seulement 20 mètres. Un seul des deux ateliers est équipé d’une chaudière moderne qui est en panne sous un hangar bien aménagé. L’autre est équipé depuis le lancement des activités de l’huilerie d’une chaudière artisanale alimentée en bois et dont les dispositifs seraient fabriqués localement (cuve, tuyaux de transmission, vases à vapeurs…).

2 Cf. Jannot Claude, Projet Palme d’Or en Centrafrique. Etude de faisabilité technique et financière. Montpellier : CIRAD, Rapport CIRAD-PERSYST N0 2553.

II        CONSTATATIONS

L’incident a été causé par l’explosion de cette chaudière artisanale installée qui était placée sous un vieux hangar à bois délabré. Cette chaudière ne disposait pas d’un système d’extinction automatique en cas de surchauffe. Le hangar a été en grande partie détruit et les débris jonchent le sol dans un rayon de 10 mètres. On retrouvera plus tard le corps calciné d’un agent de sécurité dans le puits d’extraction de l’huile de palme à cinq mètres du hangar. En tout, il y aurait eu 3 morts et 14 personnes grièvement blessées. Tous les blessés ont été acheminés au CHU de l’Amitié à Bangui. Les trois (03) salariés décédés étaient de Yabila (7km de Lessé), Bangui et Mabo dans la localité de Sibut.

III      DECLARATIONS DE L’ENTREPRISE

Le mercredi 20 mars 2024, par Communiqué de presse, la société Palme d’OR affirme ce qui suit :

La Société Palme d’Or (…) a subi hier mercredi 20/03/2024 un grave accident qui a entrainé la perte humaine de trois personnes et quatorze blessés. L’accident est dû à l’explosion de la chaudière en raison d’un problème technique et d’un mauvais contrôle de la pression par le conducteur en charge à ce moment-là3.

IV-       TEMOIGNAGES

Cette assertion tirée du Communiqué de presse de la société Palm d’Or a été confirmée sur place par le Directeur de l’usine :

Il était 13h 06min lorsque nous avons entendu le bruit de l’explosion de la chaudière de l’atelier 1 ayant conduit à la catastrophe. Près de 40 personnes y travaillaient ce jour-là. Au total, nous avons dénombré trois 3 morts et 14 personnes grièvement blessées. L’atelier, comme vous l’avez remarqué a été totalement détruit. Cette explosion résulte de la négligence du technicien qui n’a pas contrôlé, comme à l’accoutumée, les indications de la température afin d’évacuer les vapeurs. Il s’est rendu compte très tardivement de sa négligence au point qu’il n’a pas eu le temps non seulement de se sauver mais aussi d’alerter ses collaborateurs décédés et blessés comme lui. L’équipe de la gendarmerie de Pissa s’est rendue sur le lieu d’accident pour faire le constat4.

Nos entretiens semblent confirmer que la négligence du technicien serait bien à l’origine de l’incident meurtrier. Le technicien accusé est grièvement blessé et hospitalisé lui-aussi au CHU de l’Amitié à Bangui.

Cependant, d’autres témoignages viennent remettre en question cette thèse.

–    Les deux dirigeants de la société Palme d’OR ont en effet témoigné que le technicien, après s’être rendu compte de sa négligence, avait voulu fuir et s’était fait rattraper par des projectiles provenant de l’explosion de la chaudière.

–    Des employés interrogés, ayant requis l’anonymat, affirment eux que le technicien, ayant constaté la « montée anormale de la température », était allé alerter un de ses collègues afin d’explorer ensemble rapidement la possibilité d’évacuer la pression. C’est au retour vers le hangar qu’il aurait reçu des projectiles à l’origine de sa blessure.

Le responsable de la maintenance des engins n’était pas présent sur le site lors de notre passage.

3 Source : Communiqué de presse de la société Palme D’Or, Bangui, mercredi 20 mars 2024. 4 Source : notre entretien, Lessé, mars 2024.

V-        CONDITIONS DE TRAVAIL

Notre mission s’est aussi intéressée à l’environnement du travail des employés sur le site de l’usine. Il s’agit principalement de porter un regard sur les aspects sociaux et les conditions physiques dans lesquelles travaillent les employés.

L’environnement de travail au sein de la société Palme d’OR est caractérisé par une forte insalubrité. Les coques, les débris et les effluents liquides sont jetés ou déversés à moins de 10 mètres de la chaudière, ce qui laisse craindre la présence de nuisibles et d’infestations fongiques menaçant les employés, alors que ceux-ci témoignent de l’absence de dispositif de protections et d’accès aux soins au sein de l’entreprise. Les employés disposent seulement de gants et de bottes qui leur sont fournis mais pas de combinaison de sécurité.

Un employé interrogé affirme : « Les conditions dans lesquelles nous travaillons sont déplorables, nous ne sommes pas très bien traités. La précarité caractérise notre emploi. Nous avons accepté ce type de travail parce que nous n’avons pas de choix. Pour peu, nous sommes renvoyés et livrés à nous-mêmes ».

Plusieurs autres témoignages d’employés ayant requis l’anonymat ont confirmé le délitement de l’environnement immédiat de l’entreprise et les mauvaises conditions de travail qui y règnent. Cela semble révéler une forte pénibilité du travail au sein de la société Palme d’OR.

La rémunération des employés respecte le minimum légal mais ne correspond pas au niveau de pénibilité du travail. Ceux-ci travaillent en effet à raison de 1700f CFA par jour, soit 212,5 francs l’heure par tranche de 8 h de jour (6h30 – 14h30) comme de nuit (16h30 – 01h45)

VI-      CONCLUSION

L’accident a concerné un atelier vétuste dont l’équipement incriminé était artisanal ; un rapport d’audit commandité en septembre 2020 par le Ministère de l’Agriculture aurait qualifié cette chaudière artisanale de « sujette à problème » susceptible de causer des dégâts irréparables. Il ne fait aucun doute que la chaudière n’était plus adaptée et constituait un danger permanent pour le personnel. Quatre ans plus tard, il semble que l’entreprise n’ait effectué ni changement ni sécurisation de cette chaudière.

La direction accuse le technicien mais cela reste à confirmer car les témoignages sont contradictoires ; en tout état de cause, la responsabilité de l’entreprise est clairement engagée.

Malgré la courte durée de la mission, il est possible de supposer fortement que l’entreprise n’a pas pris les mesures pour mettre en place des conditions de travail sécurisées et appropriées pour les salariés. On peut émettre des inquiétudes quant au respect des textes en vigueur relatifs au code du travail (contrats, cotisations sociales…) et à sa responsabilité sociale. Une entreprise de cette envergure doit en effet contribuer à l’amélioration des conditions de vie de la population environnante et de ses employés.

VII-     RECOMMANDATIONS

La mission recommande aux autorités de : Mener une enquête approfondie pour vérifier les différents niveaux de responsabilités au sein de l’entreprise Palme d’OR quant à l’incident qui s’est produit le 20 mars 2024 à Lessé ; De lancer des procédures judiciaires contre les responsables de l’incident ; D’enquêter sur les conditions de travail au sein de l’entreprise, notamment de vérifier si les employés disposaient d’un contrat en bonne et due forme et de s’assurer que les employés, fussent-ils travailleurs temporaires, avaient bien été déclarés à l’Inspection du travail et à la Caisse Nationale de Sécurité Sociale, et de prendre des sanctions si ce n’était pas le cas.

La mission recommande à l’entreprise Palme d’OR de : Prendre en charge intégralement les frais de santé des travailleurs blessés jusqu’à leur complet rétablissement ; De maintenir les salaires des employés blessés jusqu’à leur complet rétablissement ; –  D’indemniser les familles des employés décédés ; De prendre toutes les mesures nécessaires garantissant des opérations sécurisées ; D’améliorer les conditions de travail des employés en respectant les textes juridiques en vigueur en Centrafrique.

 

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