Centrafrique : Évariste Ngamana, héraut du président Touadéra

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Centrafrique : Évariste Ngamana, héraut du président Touadéra

 

Le premier vice-président de l’Assemblée nationale s’appuie principalement sur son réseau de députés pour asseoir son pouvoir. En parallèle, il travaille avec les Russes, compose avec les Rwandais et tente timidement d’établir des liens au sein de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale.

Publié le 15.03.2024 à 5h40 GMT
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Évariste Ngamana est aussi discret qu’ambitieux. Réélu le 7 mars premier vice-président de l’Assemblée nationale pour la quatrième fois consécutive, il s’est imposé comme l’exécutant favori de Faustin-Archange Touadéra au sein du palais du peuple, créant alliances et divisions au gré de l’agenda du chef de l’État centrafricain. À l’Assemblée nationale, Évariste Ngamana a assuré son ascension en consolidant ses relations. Il a notamment compté sur son rapprochement avec les représentants du groupe Wagner et sur la présence rwandaise pour devenir le maître du jeu. Au point qu’à ce stade le président centrafricain commence à se méfier de l’influence acquise par celui qui est par ailleurs l’époux de sa nièce, Laure Édith Martin Ngamana, installée à Rabat, au Maroc.

Lorsque la société de sécurité privée Wagner s’est imposée en Centrafrique en 2020, ses membres ont rapidement identifié le numéro deux de la chambre basse comme un allié potentiel. Point de contact du chef de l’organisation paramilitaire, Evgueni Prigozhin, avant sa mort en août 2023, et maillon de la chaîne de désinformation russe, le quadragénaire faisait régulièrement l’intermédiaire entre les dirigeants en poste à Bangui et Blaise Didacien Kossimatchi, l’organisateur des manifestations anti-Français. Il était également fréquent de voir Évariste Ngamana accompagné de Valery Zakharov, chef d’orchestre de l’arrivée de Wagner dans le pays, ou des représentants locaux du groupe, Dmitri Sytyi et Vitaly Perfilev (AI du 19/12/23).

Ancien prêtre

Lorsque Moscou a manifesté sa volonté de maintenir le président centrafricain au pouvoir en 2022, Évariste Ngamana s’est positionné en faveur d’un référendum constitutionnel ouvrant la voie à un troisième mandat au chef de l’État (AI du 15/06/22). Un suffrage pour lequel il a dirigé la campagne, du 15 au 30 juillet 2023. Les entrevues entre cet ancien prêtre et les chefs locaux de Wagner sont ensuite devenues plus rares, à mesure que l’État russe reprenait le contrôle sur l’organisation (AI du 19/01/24).

Les Russes n’ont pas été les seuls à s’appuyer sur le lieutenant de Touadéra. Évariste Ngamana est en lien avec une figure importante du système sécuritaire rwandais, James Kabarebe, ancien ministre de la défense et conseiller du président sur les questions de sécurité depuis septembre 2023. À Bangui, il a facilité l’obtention de permis miniers à l’entreprise Vogueroc, une filiale de Crystal Ventures – le fonds d’investissement du Front patriotique rwandais (FPR, au pouvoir) – dirigée par l’entrepreneur rwandais Olivier Kabera.

Lorsque ce dernier avait déposé un dossier en vue d’obtenir une concession minière, plusieurs députés avaient jugé qu’il était incomplet. Le premier vice-président de l’Assemblée nationale avait par la suite déclaré que le bureau avait « le droit d’examiner une convention minière en vue d’autoriser le gouvernement à signer ladite convention ». La manœuvre a permis aux Rwandais d’éviter un pénible débat sur les détails de la concession en séance plénière, alors qu’une partie des députés étaient hostiles au contrat. Une victoire pour ce proche d’Évariste Ngamana, qui, via Vogueroc, a obtenu une concession de vingt-cinq ans pour ouvrir des mines d’or dans cinq localités du pays.

Clan régional

Avant d’occuper cette position de premier plan dans la vie politique centrafricaine, l’ancien prêtre était le discret directeur de cabinet de Maxime Balalou, au secrétariat général du gouvernement. Devenu député en 2021 à la faveur des élections législatives, Ngamana ne cache pas son intérêt pour le perchoir, occupé dans cette législature par l’ancien premier ministre et proche de Touadéra, Simplice Mathieu Sarandji, dit « SMS ». Les hostilités entre les deux poids lourds de l’Assemblée ponctuent la vie législative depuis trois ans, agaçant parfois le chef de l’État. Dernier épisode en date : Évariste Ngamana a poussé en janvier le lancement d’une pétition circulant au sein des députés. Elle appelait à la destitution de SMS, qui avait annoncé la baisse des indemnités parlementaires (AI du 26/01/24).

Pour lancer ses banderilles contre son supérieur, le premier vice-président s’est reposé essentiellement sur son réseau d’élus de la région qu’il nomme, de manière informelle, « Grand-Ouest », à commencer par Dieudonné Marien Djemé (dit Mouni), le quatrième vice-président. Ce député de Nola (Sud-Ouest) est l’un de ses seuls soutiens au sein du bureau de l’Assemblée nationale, aux côtés de Clément Ndombé, le premier secrétaire parlementaire et de Fleury Pabandji, l’un des trois questeurs. Le week-end, ce dernier accompagne régulièrement Évariste Ngamana aux réunions stratégiques du cercle présidentiel restreint à Damara, village situé à 70 km au nord de Bangui, qui abrite la résidence secondaire du président.

Pour entretenir sa volonté de former un clan régional, le premier vice-président de l’Assemblée nationale s’est assuré la fidélité de Geoffroy Noël Tagba et de Jean-Sosthène Dengbe. Le premier a été sanctionné par SMS, en janvier, pour détournement de fonds avec quatre autres députés. Le second, actuellement président de la commission de défense de l’Assemblée, est un compagnon de longue date d’Évariste Ngamana. Lors des élections législatives de 2020, il faisait partie du groupe de dissidents des « Indépendants fatistes » créé par Évariste Ngamana en réponse à l’interdiction de se présenter sous la bannière du Mouvement des cœurs unis (MCU) par SMS. De cette période, il est également resté proche de l’indépendant Guy Samuel Nganatoua, président de la commission des finances.

Chasse gardée

Si Évariste Ngamana excelle en matière de connexions au palais du peuple, il souffre d’un manque de poids politique au sein du MCU, la formation présidentielle. Celle-ci reste la chasse gardée de SMS, qui en est le secrétaire exécutif. Sans leviers politiques ni clans au sein du parti, l’ancien prêtre s’appuie sur Sani Yalo, principal créancier du MCU et pièce maîtresse du dispositif du président Touadéra.

Nommé président du Parlement de la Communauté économique et monétaire des États de l’Afrique centrale (Cemac), en mai 2023, selon le principe de la rotation alphabétique, Évariste Ngamana est proche d’Hilarion Etong, vice-président de l’Assemblée nationale camerounaise, qu’il a remplacé.

Il entretient par ailleurs des liens avec les chefs de délégation tchadienne et congolaise, Ali Kolotou Tchaimi et Fernand Sabaye. Toutefois, il peine à établir des connexions régionales en dépit des opportunités que lui offre sa position au sein de la Cemac. À son arrivée, il s’est principalement appuyé sur son ami et député centrafricain André Nalke Dorogo, ancien vice-président de l’Union pour le renouveau centrafricain (URCA), le parti d’Anicet-Georges Dologuélé.

Lorsqu’il séjourne à Malabo, en Guinée équatoriale, où siège le Parlement, Évariste Ngamana est souvent aperçu en compagnie de son proche compatriote Dieudonné Marien Djeme, deuxième rapporteur de la commission chargée de l’économie et des finances au sein de l’institution régionale, ainsi que d’expatriés centrafricains.

AI

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