CENTRAFRIQUE: EMBARGO SUR L’ACCORD DE KHARTOUM?

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Dans les environs de 12h du mercredi 06 février 2019, un phénomène insolite s’est produit à l’Aéroport et au centre-ville de Bangui, notamment au niveau du Rond point 0 et des principales artères de la ville. Lesdits lieux étaient sous haute sécurité et haute surveillance. Les militaires des FACA, les policiers et les gendarmes, tout comme les casques bleus de la MINUSCA, étaient en surnombre. La plupart ne riait pas, ils avaient l’air menaçant.
Renseignements pris, les dispositions étaient prises pour l’arrivée de l’avion transportant les chefs des 14 groupes armés et la délégation gouvernementale et des partis politiques et de la Société civile qui ont fait le voyage de Khartoum. Jamais l’aéroport et le centre-ville n’ont été placés sous surveillance sécuritaire de cette manière. On saura quelques minutes après que la cérémonie de signature de l’Accord de Khartoum n’aura plus lieu à l’Assemblée nationale comme initialement annoncée mais plutôt au Palais de la Renaissance.

ACCORD DE KHARTOUM, ACCORD DE BANGUI OU ACCORD D’ADDIS-ABÉBA?

Les organisateurs de l’évènement ont fait marcher le peuple qui n’a pas eu droit à l’information. Comme à Khartoum, ni les observateurs invités (représentants des partis politiques et de la société civile) ni les journalistes des médias nationaux et internationaux ou étrangers n’ont vu la couleur du papier de l’Accord dit de Khartoum. Et pourtant, on leur avait dit à Khartoum que c’est après la signature de l’Accord à Bangui que le texte sera rendu public. Certains journalisticules zélés des médias d’Etat ont même proféré des menaces à l’endroit de ceux, journalistes ou pas, qui ne faisaient que demander le texte pour en prendre connaissance. On les comprend, mais cela est quand même une drôle de manière de défendre leur bifteck ou d’espérer une ascension à des petits postes de directeurs ou de DG. Qu’à cela ne tienne !
Demander la publication du texte intégral de l’Accord est devenu un sujet qui fâche. Bizarre. Vraiment bizarre ! Et même des journalistes des médias privés ont perdu leur indépendance, leur professionnalisme et les principes directeurs des entités qui les emploient pour jouer aux griots, souvent malgré eux. Ils sont loin de rassurer sur la disponibilité du texte signé à Bangui.
La cérémonie de signature de l’Accord à Bangui terminée, le Protocole annonce, au grand dam du peuple, que le texte sera d’abord présenté au sommet des chefs d’Etat de l’Union africaine courant la semaine à Addis-Abéba, capitale de l’Ethiopie où se trouve le siège de l’UA, qu’il sera encore signé là-bas avant d’être rendu public. Quelle histoire !
Pourquoi cache-t-on le texte de l’Accord au peuple au nom duquel le président Touadéra a signé et au nom duquel même les groupes armés disent défendre les intérêts? En attendant Addis-Abéba, ne pouvait-on pas ne serait-ce que lire à haute voix le contenu de l’Accord signé à Bangui pour la gouverne du peuple? N’a-t-on pas violé le sacro-saint principe du droit du peuple à l’information? Si le texte signé prenait en compte l’intérêt du peuple, pourquoi le cacher au peuple? Telles sont les questions qui sont sur toutes les lèvres.

DES REPORTAGES TENDANCIEUX ET CONTRADICTOIRES

A propos de la cérémonie du mercredi 06 février à Bangui, voici ce que nous rapporte de façon laconique l’Agence Centrafrique presse (ACAP), agence de presse gouvernementale:
« Début à Bangui de la cérémonie de signature de l’Accord de Khartoum entre le gouvernement et les groupes armés »
Bangui, 6 fév. (ACAP)- La cérémonie de signature de l’Accord de paix global conclu à Khartoum par le gouvernement centrafricain et 14 groupes armés a démarré, mercredi 6 février en milieu d’après-midi au palais de la Renaissance à Bangui.
Répondant à l’appel du protocole, les représentants de 11 groupes armés et du gouvernement se sont succédé pour apposer leur signature au bas du document, préalablement signé par le FPRC de Nourredine Adam, l’UPC d’Ali Darass et le FDPC d’Abdoulaye Miskine.
« Que le clairon de la paix soit entendu », a notamment déclaré le Représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU, Parfait Onanga Anyanga, deuxième à prendre la parole, après le Commissaire Paix et Sécurité de l’Union africaine, Smaïl Chergui.
Le programme de la cérémonie prévoit 3 autres allocutions avant la conclusion définitive du dialogue de Khartoum. (Mercredi 6 Février 2019)
Quand au Réseau des journalistes pour les droits de l’homme (RJDH) sous la plume de son rédacteur en chef Fridolin Ngoulou:
« Centrafrique: Accord de paix et de la réconciliation signé à Bangui »
Tous les groupes armés ont signé l’accord de paix ce 6 février au Palais de la Renaissance:
1-Noureddine Adam, Ali Darras, Abdoulaye Miskine ont signé et paraphé hier à Khartoum;
2-Les représentants Onu, UA, Ceeac, Congo et Tchad ont aussi signé l’accord.
3-L’accord sera publié après la signature des autres chefs d’État qui vont se réunir cette semaine à Addis Abeba pour leur Sommet.
4-Le président Touadera et chaque groupe armé se rendront dans leurs zones pour la vulgarisation et le démarrage de la mise en œuvre de cet accord.
5-Le président invite la population au calme et dénonce les manipulations car il ne pourra pas trahir le peuple et faire une chose en dehors de la constitution et des recommandations du Forum de Bangui».
Si l’ACAP a l’excuse de sa soumission aux règles de la verticalité communicationnelle politiquement correcte, le RJDH par contre, qui défend non seulement les droits de l’homme et le peuple, n’a aucune excuse de dire ce qu’il a dit. Indépendamment des contradictions manifestes que l’on peut constater, il ya lieu de faire observer qu’on perd son latin en cherchant à savoir dans quel intérêt l’association privée et indépendante (je suppose), se donne le privilège usurpé de répondre à la place des officiels, surtout que, et je le répète, le RJDH est sensé être du côté du peuple qui a droit à l’information. Se permettre de dire des choses que même les griots de la presse d’Etat ne disent pas est gravissime. Les points 3 à 5 du post RJDH posent en effet énormément de problèmes et de questions.
Comment les groupes armés peuvent déjà être dans leurs zones pour « vulgariser » et « mettre en œuvre » (je cite) un document intitulé « Accord » qu’ils n’ont pas en main, car devant être encore ratifié au sommet des chefs d’Etat de l’Union africaine? Peut-on raisonnablement penser que les éléments et soutiens tant visibles qu’occultes des groupes armés n’ont pas aussi besoin de lire le document entre les lignes?
De plus, lorsque le reporter se permet de dire que « Le président invite la population au calme et dénonce les manipulations car il ne pourra pas trahir le peuple et faire une chose en dehors de la constitution et des recommandations du forum de Bangui », on peut aisément se faire une idée des instructions qu’il aurait reçues de Khartoum pour dire cela. Et à quel prix? That’s the question.
Et pourtant, le discours du chef de l’Etat d’hier après-midi est un discours trop prudent. Il y a lieu de faire la différence entre ce que le chef d’Etat a dit et les commentaires personnels. Car à la vérité, Touadéra a déjà à plusieurs reprises trahi le peuple et son serment en violant les dispositions de la Constitution (article 28 par exemple) et les décisions du Forum national de Bangui en nommant des chefs rebelles, ainsi que des combattants et soutiens intellectuels et économiques des groupes armés dans le gouvernement, aux cabinets de la Présidence de la République, de la Primature, de la Haute Administration et des Institutions de la République. Aucun journaliste centrafricain défenseur des droits de l’homme digne de ce nom ne peut pas dire qu’il ne le sait pas. Le contenu de ce reportage est donc surprenant.
Quelqu’un ou une association qui se dit du côté du peuple, « avec le peuple », ne doit pas ignorer que le peuple a le droit à l’information, et que ce refus de rendre public l’Accord déjà signé par les protagonistes est une violation caractérisée du droit de ce peuple constamment massacré par les groupes armés et abandonné à son triste sort par le gouvernement.
Celui qui joue le jeu d’un camp ou des 2 camps, est en dehors de la ligne éditoriale du RJDH et des principes fondamentaux que l’association défend. Lorsqu’on est réellement avec ce peuple trahi et négligé jusqu’à ce point, on ne doit pas se permettre de faire ce genre de reportage.

PALIMPSESTE ET HERMÉNEUTIQUE

Touadéra et les siens sont en train de faire un jeu de cache-cache avec le peuple. Le fait de cacher l’Accord de Khartoum au peuple signifie tout simplement que:
-Touadéra est conscient que des dispositions du fameux Accord de Khartoum ne répondent pas aux prescriptions de la constitution, des lois de la République et des recommandations du Forum national de Bangui auxquelles le peuple est attaché. Il craint donc la réaction des Centrafricains dans leur écrasante majorité;
-Touadéra a perdu la bataille politique et diplomatique de Khartoum, et il est coincé entre la réaction du peuple et celle des groupes armés qui l’empêchent d’aller à Bambari, à seulement 300 km de la capitale. D’où sa décision d’imposer un embargo provisoire sur ledit Accord qui est pour lui une véritable patate chaude dans ses souliers, le temps de chercher des soutiens politiques et militaires à Addis-Abeba et ailleurs avant de prendre le « mauvais risque ».
Au risque de nous répéter, cet Accord de Khartoum semble ne pas être bon pour le peuple et pour l’avenir politique de Touadéra. D’où sa non publication. Tout cela n’augure rien de bon.
Si la prétendue « victoire » de Khartoum était du côté du gouvernement, le fameux Accord de paix et de réconciliation serait depuis longtemps brandi comme un trophée par le gouvernement et les hérauts du pouvoir. Comment alors ne pas être inquiet?
Mesdames et Messieurs du pouvoir, il ne faut pas prendre les Centrafricains pour des demeurés ni « les fils du Bon Dieu pour des canards sauvages » (sic).
A bon entendeur, salut!

Par Cyrus-Emmanuel Sandy, in: MEDIAS+ N°2076 du Jeudi 07 Février 2019

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