Centrafrique-élections – La décision de la Cour constitutionnelle sur les demandes de report des scrutins du 27 décembre [précédée de brèves observations à chaud]

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Centrafrique-élections – La décision de la Cour constitutionnelle sur les demandes de report des scrutins du 27 décembre [précédée de brèves observations à chaud]

L’ESSENTIEL : La Cour juge en substance que « Il y a lieu, en application du principe de la hiérarchie des normes et des dispositions des articles 36 et 37 de la Constitution du 30 mars 2020 de privilégier les dispositions constitutionnelles et de rejeter les demandes de report de l’élection présidentielle et des élections législatives ». Les recours sont donc rejetés. La date du 27 décembre se trouve ainsi confirmée pour le 1er tour des élections présidentielle et législatives…

Brèves observations à chaud

La Cour constitutionnelle a été saisie. Elle a tranché. Ainsi que le prévoit la Constitution actuellement en vigueur (art. 106), cette décision n’est susceptible d’aucun recours et s’impose aux pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives et juridictionnelles et à toute personne physique ou morale. Les scrutins pour le premier tour des élections présidentielle et législative auront dont bien lieu demain, le 27 décembre 2020.

Les commentaires, notamment juridiques comme celui qui suit, et autres observations restent néanmoins permis, ainsi qu’il sied dans tout État qui se veut un État de droit.

Les circonstances

La Cour avait été saisie par divers acteurs politiques et de la société civile, dont des candidats à l’élection présidentielle, qui demandaient le report des élections. Cette demande faisait suite au retrait d’un des candidats à cette élection, à savoir Jean-Serge Bokassa, et se fondait sur l’article 115 du Code électoral, ainsi rédigé : « en cas de décès, d’empêchement définitif ou de retrait de l’un des candidats entre la publication de la liste des candidats et le premier tour, l’organisation de l’élection est entièrement reprise avec une nouvelle liste de candidats, sur décision de la Cour Constitutionnelle, saisie sans délai par l’ANE ou toute partie intéressée ».

Même si on a décidé, pour ce commentaire à chaux, de ne pas y insister, il importe tout de même de signaler que la décision de la Cour constitutionnelle intervient aussi dans un contexte politico-sécuritaire particulièrement tendu. Un des résultats de ce contexte est la montée en puissance des discours de stigmatisation : la personne ou l’institution qui s’avise seulement à évoquer l’hypothèse d’un report ou d’un glissement technique sera qualifié d’ennemi de la paix et traité comme tel ! L’autre élément de contexte est l’entrée en jeu des partenaires extérieurs de la RCA qui, d’emblée, avaient formellement exclu un quelconque report. Voir en ce sens, et de manière significative les deux dernières sorties de Mankeur Ndiaye, chef de la MINUSCA :

Bangui, conférence de presse du 23 décembre 2020 :la demande de report des élections, faite par des partis de l’opposition démocratique « n’est pas acceptable ».

Invité Afrique de RFI, 26 décembre 2020 : « La Communauté internationale, dans son ensemble, est pour que les élections se tiennent le 27 décembre. Il faut éviter toute forme de transition politique, qui va engager la Centrafrique dans une nouvelle ère de turbulence et d’instabilité aux conséquences incalculables ».

L’appréciation juridique de la Cour

En droit, la Cour a donné deux fondements à sa décision de rejeter les requêtes qui lui étaient soumises : le respect de la hiérarchie des normes, et les articles 36 et 37 de la Constitution.

Le principe de respect de la hiérarchie des normes a conduit la Cour à neutraliser l’application de l’article invoqué du Code électoral (art. 115) dès lors que l’application de cet article conduirait à violer les dispositions constitutionnelles pertinentes.

S’agissant de l’application des articles 36 et 37 de la Constitution, lesquels précisent la période de vote en ce qui concerne l’élection présidentielle (entre 45 jours et 90 jours avant le terme du mandat du Président en exercice), les délais de proclamation des résultats de l’élection présidentielle et de l’investiture du Président élu, la Cour parvient à la conclusion que seules des élections se déroulant selon le chronogramme existant, et plaçant les votes du 1ertour le 27 décembre, sont conformes à la Constitution.

Analyse et questionnements

Le raisonnement tiré des exigences de la hiérarchie des normes convainc sans difficulté. Une simple loi ne saurait faire échec à la Constitution ! De plus, à ceux qui voudraient reprocher à la Cour de n’avoir pas annulé la disposition jugée inconstitutionnelle, il faut rappeler que la Cour n’intervient pas ici en tant que juge de constitutionnalité mais strictement comme juge des élections. En conséquence il ne dispose pas, en cette dernière qualité, du pouvoir d’annuler un texte.

Reste que la conclusion de ce raisonnement est tributaire d’une autre appréciation, celle de la portée des articles 36 et 37 de la Constitution. Autrement dit, l’article 115 du Code électoral n’est contraire à la Constitution que pour autant qu’on juge, comme le fait la Cour, que la Constitution oblige à placer le 1er tour des élections le 27 décembre, et seulement le 27 décembre. Or ce point peut se discuter, ne serait-ce qu’en considération du fait que le Constituant, à travers l’article 36, n’a pas fixé une date, mais plutôt une période de 45 jours (entre 45 et 90 jours avant le terme du mandat du Président en exercice).

Mais enfin, la Cour a décidé et il faut en prendre acte.

Il faut en prendre acte, mais sans pour autant se cacher la difficulté future que pourrait soulever cette appréciation de la Cour constitutionnelle. Si on considère le chronogramme actuel comme absolument indérogeable, qu’adviendrait-il si, lors du contentieux électoral ultérieur, la Cour était confrontée à des circonstances altérant le scrutin à un point tel qu’il faille en prononcer l’annulation ? Autrement dit, la Cour ne s’est-elle pas liée ainsi au-delà du raisonnable, en s’interdisant de remettre en cause le chronogramme quoi qu’il arrive et quelles que soient les manquements éventuels à la liberté du vote, à la transparence du vote ou à la crédibilité des résultats ?

À voir…

Reste un dernier point, dont il faut relever qu’il est totalement absent de la décision. C’est la référence aux conditions concrètes dans lesquelles les Centrafricains sont appelés à voter. Si, comme cela se profile à l’horizon, l’élection est essentiellement banguissois (cantonné pour l’essentiel à Bangui), pourra-t-on dire qu’il s’agit d’élections nationales ? Et quid des différentes exclusions de vote qui frappent une partie substantielle de la population centrafricaine ? Etc.

Mais sans doute ce point est-il absent de la décision faute pour les requérants de l’avoir, avec suffisamment de clarté et de précision, soulevé et faute pour eux d’avoir invoqué les dispositions fondamentales de la Constitution concernées : celles, par exemple, de l’article 30 qui imposent que le suffrage soit « universel, égal et secret », ou encore celles de l’article 26 qui, après avoir posé que « La souveraineté nationale appartient au peuple », énoncent que « nulle fraction du peuple ne peut s’en attribuer l’exercice ».

Ce n’est cependant, si on lit bien la décision de la Cour constitutionnelle, que partie remise pour ce contentieux-ci, puisque la Haute juridiction renvoie, pour l’appréciation de pareils griefs, au contentieux électoral qui sera traité du 05 au 19 Janvier 2021.

Il ne reste, pour finir, qu’à souhaiter que le vote du 27 décembre se déroule dans des conditions de sécurité, d’inclusivité et de transparence acceptables pour les citoyens centrafricains.

Pr Jean-François Akandji-Kombé

La décision de la Cour Constitutionnelle

COUR CONSTITUTIONNELLE

RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE

Unité -Dignité- Travail

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DECISION N° 027 /CC/20 DU 26 DECEMBRE 2020

RELATIVE AUX DEMANDES DE REPORT OU DE REPRISE DES ELECTIONS PRESIDENTIELLE ET LEGISLATIVES DU 27 DECEMBRE 2020

********

AU NOM DU PEUPLE CENTRAFRICAIN

LA COUR CONSTITUTIONNELLE

Vu la Constitution du 30 mars 2016 ;

Vu la loi N° 17.004 du 15 Février 2017 portant organisation et fonctionnement de la Cour

Constitutionnelle ;

Vu la loi N°19.0012 du 20 août 2019 portant Code électoral de la République Centrafricaine ;

Vu la loi N°20.022 du 07 août 2020 portant composition, organisation et fonctionnement de

l’Autorité Nationale des Élections ;

Vu la loi N°20.023 du 26 septembre 2020 portant dérogations à certaines dispositions de la loi N° 19.012 du 20 août 2019 portant Code électoral de la République Centrafricaine ;

Vu le Décret N° 20.368 portant découpage des circonscriptions électorales pour les élections législatives ;

Vu le Décret N° 20.369 du 27 octobre 2020 portant convocation du corps électoral pour le premier tour des élections présidentielle et législatives ;

Vu la décision N° 024 /CC/20 de la Cour Constitutionnelle du 27 décembre 2020 arrêtant la liste définitive des candidats aux élections législatives ;

Vu la décision N° 025/CC/20 du 03 décembre 2020 relatifs aux recours introduits suite à la publication définitive de la liste des candidats aux élections législatives du 27 décembre 2020 ;

Vu la décision N°026/CC/20 du 03 décembre 2020 arrêtant la liste définitive des candidats à l’élection présidentielle du 27 décembre 2020 ;

Vu les requêtes de : Jean Serge BOKASSA, sur le retrait de sa candidature aux élections présidentielle et législatives du 27 Décembre 2020 et demandant l’application de l’article 115 du Code électoral, lettre transmise par l’Autorité Nationale des Élections, transmission enregistrée au greffe de la Cour Constitutionnelle le 23 Décembre 2020 à 11 heures 10 minutes sous le n° 215 ;

Parti Chrétien Démocrate du 23 Décembre 2020, représenté par son Président demandant le report des élections groupées du 27 Décembre 2020, enregistrée au greffe le 23 Décembre 2020 à 13 heures 55 minutes sous le n°216 ;

Cercle des écrivains, journalistes, Artistes et Chercheurs de Centrafrique (CEJACC) du 22 Décembre 2020 demandant le report des élections du 27 Décembre enregistrée au greffe le 22 Décembre 2020 à 14 heures 29 minutes sous le n°214 ;

Candidats aux élections législatives de la SANGHA-MBAERE, du 21 Décembre 2020, tendant à la révision du chronogramme électoral dans le sens du report des élections du 27 Décembre 2020, enregistrée au greffe le 21 Décembre 2020 à 12 heures 59 minutes sous le n°306 ;

Jean Bruno TOZAI, du 24 Décembre 2020, relative aux élections législatives 2020-2021 dans la circonscription de Paoua, enregistrée au greffe le 24 Décembre 2020 à 11 heures 02 minutes sous le n°217 ;

BALEKOUZOU Gotron Junior du 24 Décembre 2020, sollicitant la prolongation de la tenue des élections législatives à BOUCA I, enregistrée au greffe le 24 Décembre 2020 à 12 heures 40 minutes sous le n°218 ;

Candidats aux élections législatives de la Lobaye, du 22 Décembre 2020 demandant le report des élections dans toutes les circonscriptions de la Lobaye, enregistrée au greffe le 24 Décembre 2020 à 13 heures 34 minutes sous le n°311 ;

Requête groupée enregistrée au greffe le 24 Décembre 2020 à 15 heures 15minutes

sous le n°221 de : Nicolas TIANGAYE, candidat à l’élection présidentielle, investi par le Parti

« Convention Républicaine pour le Progrès Social » (CRPS) ; Anicet Georges DOLOGUELE, candidat à l’élection présidentielle, investi par le parti « Union pour le Renouveau Centrafricain » (URCA) ; Cyriaque GONDA, candidat à l’élection présidentielle, investi par le « Parti National pour un Centrafrique Nouveau » (PNCN) ; Mahamat KAMOUN, candidat à l’élection présidentielle, investi par le Parti « BEAFRICA TI E KWE » (BTK) ; Karim MEKASSOUA, candidat à l’élection présidentielle, investi par le Parti « Chemin de l’Espérance » (CDE) ; Désiré BILAL ZANGA KOLINGBA, candidat à l’élection présidentielle, investi par le Parti Rassemblement Démocratique Centrafricain » (RDC) ;

Ces candidats demandent l’entière reprise des élections groupées du 27 décembre 2020 en application de l’article 115 du Code électoral.

Le rapporteur ayant été entendu

APRES EN AVOIR DELIBERE CONFORMEMENT A LA LOI

EN LA FORME

A) Sur la compétence de la Cour

Considérant qu’aux termes de l’article 95 tiret 3 de la Constitution du 30 mars 2016, la Cour Constitutionnelle est chargée de veiller à la régularité des opérations électorales, examiner et proclamer les résultats définitifs ;

Il ya lieu pour la Cour de se déclarer compétente.

B) Sur la recevabilité des requêtes

Considérant qu’aux termes de l’article 115 du Code électoral en cas de décès, d’empêchement définitif ou de retrait de l’un des candidats entre la publication de la liste des candidats et le premier tour, l’organisation de l’élection est entièrement reprise avec une nouvelle liste de candidats, sur décision de la Cour Constitutionnelle, saisie sans délai par l’ANE ou toute partie intéressée.

Considérant que les requêtes sont introduites par des candidats, et par toute personne intéressée et que toutes demandent le report ou la reprise des élections ;

Il y a lieu de les joindre pour une bonne administration de la justice et de les déclarer recevables ;

AU FOND

Considérant que toutes ces requêtes tendent au report ou à la reprise des élections présidentielle et législatives groupées dont le premier tour a été fixé au 27 décembre 2020 ;

Considérant que certaines de ces requêtes invoquent l’application de l’article 115 du Code électoral à l’appui de leur demande ;

Considérant qu’aux termes de l’article 36 alinéa 2 de la Constitution du 30 mars 2016  “L’élection du nouveau Président a lieu quarante-cinq (45) jours au moins et quatre-vingt dix (90) jours au plus avant le terme du mandat du Président en exercice”.

Qu’aux termes de l’Art. 37 de la Constitution « Les résultats de l’élection présidentielle sont proclamés par la Cour Constitutionnelle quinze (15) jours au plus tard après la publication provisoire par l’Autorité Nationale des Élections. L’investiture, par la Cour Constitutionnelle, du Président élu intervient dans un délai de quarante-cinq (45) jours au plus tard après que la Cour ait vidé le contentieux électoral. »

Considérant qu’aux termes de l’article 95 tiret 2 de la Constitution, la Cour est chargée du contentieux électoral ;

Que l’article 99 du Code électoral précise que la Cour est seule compétente pour statuer sur les réclamations relatives aux opérations électorales ;

Que l’article 100 du Code électoral dispose que les élections visées sont l’élection du

Président de la République, les élections des députés, des sénateurs, ainsi que celles des membres des collectivités territoriales ;

Considérant que l’article 115 du Code électoral dispose : « en cas de décès, d’empêchement définitif ou de retrait de l’un des candidats entre la publication de la liste des candidats et le premier tour, l’organisation de l’élection est entièrement reprise avec une nouvelle liste de candidats, sur décision de la Cour Constitutionnelle, saisie sans délai par l’ANE ou toute partie intéressée »

Que l’article 116 dispose : « En cas de reprise de l’élection, une nouvelle date est fixée par décret pris en Conseil des Ministres dans les quarante-cinq (45) jours qui suivent la date du constat de l’évènement qui en est la cause » ;

Considérant qu’en application des dispositions constitutionnelles précitées, un chronogramme a été établi ;

Que le premier tour de l’élection présidentielle a été fixé au 27 décembre 2020 ;

Considérant que les dispositions de l’article 115 du Code électoral concerne l’élection présidentielle et n’est pas applicable aux élections législatives ;

Que le contentieux électoral du premier tour a été fixé en application de la date du 27 décembre 2020 qui elle-même a été arrêtée en application des articles 36 et 37 de la Constitution ;

Considérant que l’application des articles 115 et 116 du Code électoral entrainerait une remise en cause de la date constitutionnelle du 27 décembre 2020 et donc une violation des articles 36 et 37 de la Constitution ;

Considérant que les dysfonctionnements soulignés par les requêtes des candidats aux élections législatives à ce stade du processus, relèvent du contentieux électoral qui sera traité du 05 au 19 Janvier 2021 ;

Qu’ainsi, en conséquence de tout ce qui précède,

Il y a lieu, en application du principe de la hiérarchie des normes et des dispositions des articles 36 et 37 de la Constitution du 30 mars 2020 de privilégier les dispositions constitutionnelles et de rejeter les demandes de report de l’élection présidentielle et des élections législatives.

DECIDE

Art. 1 : La Cour est compétente.

Art. 2 : Ordonne la jonction des procédures.

Art. 3 : Les requêtes sont recevables.

Art. 4 : Les demandes sont rejetées en application des articles 36 et 37 de la Constitution du 30 mars 2016.

Art. 5: La présente décision sera notifiée au Président de la République, au Président de l’Assemblée Nationale, au Premier Ministre, à l’Autorité Nationale des Élections, au Ministre chargé du Secrétariat Général du Gouvernement, au Ministre chargé des Relations avec les

Institutions de la République, aux requérants et publiée au Journal Officiel de la République

Centrafricaine.

Ainsi délibéré et décidé par la Cour Constitutionnelle en sa séance du 26 Décembre 2020 où siégeaient :

Danièle DARLAN, Président

Jean-Pierre WABOE, Vice-Président,

Georges Mathurin OUAGALET, Membre;

Sylvie NAISSEM, Membre;

Nadine KENGUI PINGAMA MODO ; Membre ;

Sylvia Pauline YAWET-KENGUELEOUA, Membre ;

Sylvain Venance GOMONGO, Membre ;

Assistés de Maître Apollinaire NAMKOÏNA, Greffier en Chef

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