Centrafrique : et si l’enlèvement de « Domi » ressemblait à l’arrestation arbitraire de Mohamed Bouazizi en Tunisie ?

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Révolution tunisienne. Et Mohamed Bouazizi s’immola au pied du mur de l’humiliation et de l’injustice

Décembre 2010, impuissant à préserver son outil de travail, interdit de gagne-pain sur la voie publique, un jeune Tunisien se fait violence par le feu. Son acte de désespoir provoque un soulèvement populaire. Le régime de Ben Ali s’effondre en à peine trente jours.

Mohamed s’équipe alors audacieusement d’un chariot, se procure de la marchandise et se lance dans la vente ambulante. Mais encore faut-il accepter de graisser la patte en échange d’une autorisation officielle et d’en avoir aussi les moyens. Qu’à cela ne tienne, Mohamed ose sans cette condition, il s’arme de courage, affronte la traque, le harcèlement, la menace, la sanction, la confiscation régulière de sa balance, de sa marchandise et l’intolérance des cerbères municipaux, jusqu’à l’insupportable. Faut-il absolument une autorisation ? Il s’y résigne finalement et entreprend la démarche, mais dans la dignité. Pas de quoi convaincre l’administration locale. Les faits sont au cœur de toutes les versions : sa demande est vaine, Mohamed essuie un refus abusif, il est chassé et insulté. Il se heurte au mur de l’injustice et de l’humiliation. Son impuissance nourrit sa colère, qui se transforme en tragédie.

Indignation populaire

L’acte désespéré bouleverse la société tunisienne d’un bout à l’autre du territoire. Des millions de Bouazizi surgissent de toutes parts, ils donnent le rythme à une cascade de réactions populaires, provoquent un enchaînement révolutionnaire inouï. Dans la tête de tous, le chômage est vécu comme une punition, dans un contexte de profondes inégalités, de passe-droits, de privilèges institués. Les premiers affrontements entre les jeunes et les forces de répression ont lieu quelques jours après le drame. La police de Ben Ali occupe le terrain, multiplie les arrestations et n’hésite pas à tirer sur la foule. Les deux premières victimes tombent à Menzel Bouzayane, dans la même région qui s’embrase. Devant l’amplification du mouvement, le maître de Carthage crie à « l’instrumentalisation politique ». Pris de panique, il limoge son ministre de la Communication, ainsi que le gouverneur de Sidi Bouzid et rend même visite au vendeur ambulant, alors hospitalisé. Ironie d’un triste sort, la mère de ce dernier se verra promettre une somme d’argent et sa sœur, diplômée, un emploi. L’attitude présidentielle accroît l’indignation populaire.

L’ARMÉE ENTRE EN SCÈNE. LA LISTE DES MORTS À TRAVERS LE TERRITOIRE NE CESSE DE S’ALLONGER.

Mohamed Bouazizi décède de ses blessures le 4 janvier 2011. Ses obsèques rassemblent plus de 5 000 personnes. Le mouvement redouble d’ampleur et fait tache d’huile. Les affrontements les plus violents ont lieu entre le 8 et le 10 janvier, à Kasserine (Centre-Ouest) et à Kairouan (Centre) où plus de 50 manifestants sont tués. Mais Ben Ali est encore convaincu de sa puissance de dissuasion, il se répand en promesses, fait miroiter la création de 300 000 emplois en seulement une année et crie une nouvelle fois au complot terroriste. Peine perdue, le mouvement gagne Tunis et sa banlieue. L’armée entre en scène, un couvre-feu est instauré dans la capitale alors quadrillée par des forces spéciales. La liste des morts à travers le territoire ne cesse de s’allonger. Entre temps, les pays occidentaux, incrédules, s’interrogent du bout des lèvres sur ce feu de la révolte. La France, notamment, croît encore en la bonne étoile de Ben Ali, elle l’encourage à faire des « ouvertures ». Dans une intervention devant le Parlement, le 12 janvier, Michèle Alliot-Marie, ministre des Affaires étrangères, propose même d’apporter à la police tunisienne le « savoir-faire » français pour mâter la révolte.

Ben Ali joue son va-tout

Encouragé par la relative indifférence de la communauté internationale et le soutien exprimé par le Quai d’Orsay, Ben Ali tire ses dernières cartouches, joue son va-tout dans un discours à la nation. Il dégaine de nouvelles promesses : son départ en 2014 et le libre accès à Internet. Un coup d’épée dans l’eau. Le vent a tourné. Le pouvoir est dans la rue. La puissante Union générale tunisienne du travail (UGTT, centrale syndicale) appelle à des rassemblements massifs au cœur de la capitale. De Sidi Bouzid à Tunis, un seul mot d’ordre est désormais scandé » : « Ben Ali dehors ! », tandis que dans les coulisses de la sécurité présidentielle, s’organise la fuite du chef de l’Etat. Le 14 janvier, ses vingt-trois ans de règne se brisent lamentablement contre le mur de la dignité, cette fois. Il trouve refuge en Arabie saoudite. Le pays tourne une des pages les plus sombres de son histoire, mais les défis sont de taille.

Dix années après Sidi Bouzid, la jeunesse tunisienne ne connaît du printemps que le nom, attribué par les médias à son soulèvement. Le chômage continue de frapper cette tranche d’âge dans les régions de l’intérieur laissées à l’abandon : le taux y reste deux à trois fois supérieur aux 16 % de la moyenne nationale. Les Mohamed Bouazizi sont légion, partagés entre le désespoir, l’envie de révolte et la résignation, en Tunisie et sous les régimes totalitaires en Égypte, au Maroc, en Algérie, en Syrie et en Libye déchirées par des guerres. S’immoler par le feu est devenu un acte courant, un fait divers, tout autant que l’exil au prix de sa vie.

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