Centrafrique : des élections sans témoin, sans arbitre et peut-être sans le peuple

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Centrafrique : des élections sans témoin, sans arbitre et peut-être sans le peuple

Eugenia Pandora et Thierry Vircoulon, chercheur associé au centre Afrique subsaharienne de l’IFRI

Le gouvernement centrafricain maintient la date du 27 décembre pour la tenue des scrutins présidentiel et législatif malgré les retards et les nombreuses irrégularités signalées après la publication des listes électorales. Le président sortant Faustin-Archange Touadera se trouve aujourd’hui’hui dans une position de force qui lui permet de refuser tout dialogue avec l’´opposition et de préparer sa réélection au premier tour dans des conditions contestables. Cette année électorale en Centrafrique n’’a pas été moins rocambolesque que celle qui a marqué la fin de la transition en 2015. Pourtant, en principe, les conditions pour la préparation des élections sont très différentes : le redéploiement progressif des fonctionnaires et des forces de sécurité dans les villes de province, l’´accord de paix signé à Khartoum entre le gouvernement et quatorze groupes armés en 2019 et le soutien financier des bailleurs pour la reconstruction du pays auraient dû permettre un processus électoral apaisé et consensuel.

Néanmoins, à un mois du vote, la scène politique de Bangui est de plus en plus polarisée et aucune organisation ne fera office d’arbitre impartial de ces élections organisées dans des conditions contestables. Depuis 2019, la majorité présidentielle s’’est efforcée de façonner les règles du jeu électoral à son avantage. En premier lieu, l’´exécutif a essayé de modifier à plusieurs reprise le cadre légal des élections de façon unilatérale : cela a provoqué des interventions répétées de la Cour Constitutionnelle qui a contrecarré certaines des manœœuvres les plus grossières. D’abord, le gouvernement a essayé d’’introduire dans le code électoral des critères barrières contre certains candidats (par exemple, des frais de candidature importants) : en juin 2019, la Cour a donné un avis défavorable à cette première version de la loi, avis qui a été suivi par l’´Assemblée Nationale en août 2019.

En avril 2020, la majorité présidentielle a proposé un amendement constitutionnel pour prolonger le mandat du président Touadéra et des députés élus si les élections devaient être reportées en cas de force majeure (dans le cas spécifique, l’épidémie de la COVID-19). En juin, la Cour Constitutionnelle a jugé non conforme à la charte fondamentale la proposition du gouvernement. Plus récemment, en juillet 2020, l’´exécutif a préparé un projet de loi visant à étendre le mandat des commissaires de l’Autorité Nationale des Élections (ANE) jusqu’’à la fin du processus électoral, mais cette version a été modifiée in extremis en commission parlementaire en prévoyant le renouvellement du bureau de l’´ANE. Finalement, à trois mois du vote, l’´exécutif a proposé d’apporter des changements au code électoral pour donner à l’´ANE un mois supplémentaire pour compléter l’enregistrement des électeurs, après que, alertée par les retards dans l’’enrôlement des électeurs, la Cour Constitutionnelle avait décidé d’auditer l’autorité électorale et l’´avait sommée de respecter la date du 27 septembre pour la publication des listes.

Malgré les vives protestations d’’une large partie de l’opposition, le code électoral a été donc modifié par le parlement le 24 septembre et la publication a été décalée au 27 octobre. Ces interventions répétées de la Cour Constitutionnelle mettent en évidence que la façon de faire de la politique en Centrafrique n’’a pas changé : l’´exécutif reste hermétique à la notion de dialogue et cherche à imposer ses vues sans aucune concertation avec les autres forces politiques. Outre ses tentatives d’’instrumentaliser le cadre légal des élections à son avantage, le président Touadera a renforcé son contrôle sur les institutions. Prolongeant la conception tribaliste du pouvoir héritée de ses prédécesseurs, il a placé les membres de son ethnie, les Mbaka-Mandja, dans la garde présidentielle ainsi que dans des postes clés de l’administration et de l’armée. En outre, candidat indépendant aux élections 2015, le président Touadera a créé en 2018 son propre parti, le Mouvement des Cœœurs Unis (MCU).

Dirigé par son ancien premier ministre et bras droit, Simplice Sarandji, le MCU a maintenant des antennes dans toutes les provinces. Récemment, avec la nomination des nouveaux commissaires de l’’ANE en octobre 2020, le parti au pouvoir a réussi à maintenir une forte influence sur l’’organisme chargé des élections. Le gouvernement a refusé d’’ouvrir des bureaux d’´enrôlement dans les camps de réfugiés dans les pays voisins comme cela avait été fait lors de la précédente élection. Environ 620 000 réfugiés centrafricains (dont beaucoup sont musulmans) seront donc cette fois-ci privés du droit de vote. Alors qu’’ils ont voté en 2015, le régime vient d’´acter un recul du droit de vote cinq ans plus tard, confirmant de facto sa volonté de réduire le corps électoral et de marginaliser les musulmans.

Par ailleurs, il a fallu que la MINUSCA sécurise le meeting public de l’’opposition à Bangui, ce qui laisse présager des obstacles qu’’elle rencontrera en province. L’´ensemble de ces manœœuvres place aujourd’hui le président Touadera dans une position de force qui lui permet de refuser tout dialogue avec l’’opposition pour garantir la transparence des élections et de terminer le dernier congrès national de son parti avec le slogan : « Premier Tour KO ». Du fait que l’’accord de Khartoum a officialisé le statu quo entre le gouvernement et les groupes armés et consacré leur contrôle sur une bonne partie du territoire national, le président s’’est assuré l’’appui de certains groupes armés dans la perspective des élections. Certaines élites de Bangui ont très probablement soutenu les milices qui ont affronté et affaibli le Front populaire pour la renaissance de la Centrafrique (FPRC) de Noureddine Adam dans la zone de Birao et Ndélé entre septembre 2019 et avril 2020 – le FPRC étant la seule des factions de l’ex-Seleka qui a développé des revendications politiques. Un accord avec le chef de l’Union pour la paix en RCA (UPC), Ali Darass, devrait aussi garantir le bon déroulement des élections dans les zones du pays que ses hommes contrôlent, et qui dans la dernière année se sont étendues de la frontière sud-soudanaise à la frontière camerounaise (grâce à son alliance avec un autre groupe armé, les 3R de Abbas Sidiki).

Par ailleurs l’´inclusion de certains représentants des groupes armés dans les listes de candidats du MCU pour le scrutin législatif a été mise en évidence et sanctionnée par la Cour constitutionnelle lors de l’examen de l’´éligibilité des candidats. Ce partenariat avec certains groupes armés vise à leur ouvrir les portes de l’´Assemblée Nationale et leur conférer l’´immunité parlementaire, limiter les possibilités de faire campagne pour l’opposition et à intimider les électeurs. Si le recours aux stratagèmes pré-électoraux et aux artifices juridiques utilisés par les gouvernements précédents montre que le gouvernement actuel continue la même gouvernance exclusive qui a conduit à l’´effondrement du pays, il n’’y a rien de nouveau du côté de l’’opposition non plus. Depuis les élections de 2015 et malgré le discrédit général de la classe politique dans la population, aucun nouveau leader n’’a émergé dans l’´opposition. Ses principales personnalités sont toutes d’´anciens politiciens qui incarnent, à plus ou moins forte dose, la mauvaise gouvernance des deux dernières décennies et étaient déjà candidats en 2015. Le meilleur symbole de la stagnation de la classe politique centrafricaine est le retour de l’’ex-président François Bozizé. Un des principaux responsables du conflit qui a ruiné le pays, il est revenu clandestinement en 2019 en Centrafrique dans le but de se présenter aux élections. Il est maintenant la figure de proue de l’’opposition et préside la Coalition de l’´Opposition Démocratique (COD-2020) alors qu’’il a pris le pouvoir par un putsch en 2003, a organisé une fraude électorale massive en 2011 et était décrié comme un autocrate par l’opposition démocratique quand il était président ! Si la formation d’’une coalition d’’opposition en février 2020 laissait espérer un changement, le fait que François Bozizé soit devenu son président est le signe de l’’impunité totale qui règne dans la « République de Bangui » et de l’´absence de renouvellement d’’une classe politique complètement déconnectée de la population, surtout dans l’arrière-pays.

Compte-tenu du rôle de François Bozizé, du manque de cohésion de la COD-2020 et du mélange d’’alliances opportunistes et de corruption politique, il est difficile d’´imaginer comment cette coalition pourrait représenter une menace réelle pour la réélection du président Touadera et comment elle pourrait être crédible quand elle dénoncera haut et fort la fraude électorale. Pour l’´heure, la principale inconnue est de savoir si la candidature de François Bozizé, la figure de proue de l’’opposition, sera rejetée. En effet, du point de vue technique, il ne respecterait pas la condition qui impose aux candidats d’´être résidents en Centrafrique au moins un an avant la convocation du corps électoral. Du point de vue éthique, Bozizé peut difficilement satisfaire le critère de bonne moralité requis pour les candidats et interprété strictement par la Cour constitutionnelle lors de l’’examen des candidatures aux élections législatives. François Bozizé fait l’´objet de sanctions onusiennes et d’un mandat d’´arrêt pour crime de guerre et génocide émis et inappliqué par la justice centrafricaine. En cas de rejet de sa candidature, certains craignent que son exclusion des élections suscite des émeutes à Bangui et dans les zones où l’ancien président reste influent : Bozizé pourrait toujours mobiliser les membres de son groupe ethnique, les Gbaya, au sein de l’’armée et parmi les officiers partis à la retraite, ainsi que certaines milices anti-Balaka. Alors que la qualité des deux précédentes élections (2011 et 2015) était très problématique, que le droit de vote est en recul, que les premiers signes d’une organisation électorale médiocre s’accumulent et que la neutralité de l’´ANE est sujette à caution, il n’’y aura pas d’arbitre impartial pour confirmer les résultats officiels.

En effet, les listes électorales publiées à la fin du mois d’octobre sont entachées de nombreuses erreurs : noms et dates de naissance erronées, photos qui ne correspondent pas à l’´identité du votant, noms d’’origine musulmane dans certaines villes du pays où cette communauté n’’a pas pu revenir depuis 2013, etc. Contrairement à la pratique habituelle, la régularité des élections centrafricaines ne sera pas analysée par une mission d’´observation internationale ni par des observateurs nationaux crédibles, même si l’’Église catholique a signalé à plusieurs reprises ses préoccupations quant à l’’enregistrement des électeurs. L’´absence d’un arbitre impartial des élections ne trouble aucunement les bailleurs (au premier rang desquels figure l’´Union Européenne) qui les financent et préfèrent une apparence de légalité à un scrutin honnête, alors que d’’autres partenaires comme la Russie et la Chine ne cachent pas leur intérêt à ce que le président Touadera, leur partenaire d’affaires, reste au pouvoir. Hasard du calendrier, la Russie vient de livrer en octobre des véhicules blindés que le président Touadera a tenu à montrer à la population de Bangui et, par là même, à ses opposants. Tous les facteurs pour que les élections de 2020 constituent un recul démocratique par rapport aux scrutins de 2015 sont d’’ores et déjà réunis : le contrôle de la machine électorale ; les alliances avec les groupes armés ; l’’acceptation du « droit à un second mandat » pour le président sortant par des internationaux prêts à toutes les complaisances, y compris sponsoriser et reconnaître une élection frauduleuse. Alors que le président Touadera se prépare à être réélu au premier tour dans le cadre d’’un marché politique fermé et d’´une élection sans arbitre, le mécontentement des perdants ainsi qu’’une antipathie croissante des chefs d’´État de la région pourraient facilement utiliser la frustration de beaucoup de Centrafricains qui restent exclus des bénéfices de l’’aide internationale massive destinée au pays mais captée par ses élites gouvernantes. Dans cette perspective, il est difficile de comprendre comment une nouvelle élection frauduleuse en Centrafrique fera avancer la cause de la paix et de la stabilité à long terme.

Mais après tout, qui s’´en soucie ?

Lu Pour Vous

La rédaction

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