Centrafrique : « Démocratie et modestie », selon Albert Camus

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« Chaque fois qu’une voix libre s’essayera à dire, sans prétention, ce qu’elle pense, une armée de chiens de garde de tout poil et de toute couleur aboiera furieusement pour couvrir son écho ». Albert Camus, Démocratie et modestie (in Combat, 1947)

A l’heure où le pouvoir de Bangui dirigé par l’Imposteur de Bangui, pourtant arrivé, le 30 mars 2016, à la magistrature suprême de l’Etat à l’issue des scrutins groupés, s’est mué en un véritable régime totalitaire, suite à l’adoption d’une nouvelle constitution par voie référendaire, tue, pille, viole, incendie des villages contraignant de ce fait leurs habitants à des déplacements, et exploite nos mines illégalement en contrepartie de l’assurance – vie à lui garantie par les mercenaires russes et rwandais, il est temps de dénoncer la démission individuelle, collective et nationale et d’inviter les uns et les autres à ne pas s’auto – détruire, faire retourner dans leurs tombes tous les martyrs de la Liberté dans notre pays, et à relire passionnément Albert Camus.

Démocratie et modestie ?

C’est le titre d’un éditorial d’Albert Camus, publié en février 1947, dans le journal Combat, puis dans les Essais (Gallimard, 1965, nrf Pléiade, pp-319-320) et le chapitre Actuelles I. Bien sûr le contexte est différent, puisqu’il s’agit de lignes rédigées deux ans après la fin de la seconde guerre mondiale, et les situations auxquelles il est fait référence ont besoin de transpositions.  Néanmoins elles ont un caractère tellement universel, une force et une sagesse tellement convaincantes que la tête de l’exécutif, les matamores et les va-t-en-guerre de l’actuelle majorité seraient bien inspirés de relire — ou peut-être pour certains de lire — le prix Nobel de littérature de 1957 :

Voici la rentrée (il s’agit de la rentrée parlementaire de février 1947, après l’élection de Vincent Auriol à la présidence de la République et la formation d’un gouvernement de coalition par Paul Ramadier). On va reprendre les tractations, les marchandages et les chicanes. Les mêmes problèmes qui nous excèdent depuis deux ans seront conduits dans les mêmes impasses. Et chaque fois qu’une voix libre s’essayera à dire, sans prétention, ce qu’elle en pense, une armée de chiens de garde de tout poil et de toute couleur aboiera furieusement pour couvrir son écho.

Rien de tout cela n’est réjouissant, bien entendu. Heureusement, quand on ne conserve que des espérances raisonnables, on se sent le cœur solide. Les Français qui ont vécu pleinement les dix dernières années y ont appris du moins à ne plus avoir peur pour eux-mêmes, mais seulement pour les autres. Ils ont réglé leur compte avec le pire. Désormais, ils sont tranquilles et fermes. Répétons donc tranquillement et fermement, avec cette inaltérable naïveté qu’on veut bien nous reconnaître, les principes élémentaires qui nous paraissent seuls propres à rendre acceptable la vie politique.

Il n’y a peut-être pas de bon régime politique, mais la démocratie en est assurément le moins mauvais. La démocratie ne se sépare pas de la notion de parti, mais la notion de parti peut très bien aller sans la démocratie. Cela peut arriver quand un parti ou un groupe d’hommes s’imagine détenir la vérité absolue (cette phrase est à souligner et à envoyer en urgence à Francois Hollande et Manuel Valls). C’est pourquoi l’Assemblée et les députés ont besoin aujourd’hui d’une cure de modestie.

Toutes les raisons de cette modestie sont aussi bien réunies dans le monde d’aujourd’hui. Comment oublier que l’Assemblée nationale ni aucun gouvernement n’ont les moyens de résoudre les problèmes qui nous assaillent ? La preuve en est qu’aucun de ces problèmes n’a été abordé par les députés sans que la querelle internationale y fût mise en évidence. Manquons-nous de charbon ? C’est que les Anglais nous refusent celui de la Ruhr et les Russes celui de la Sarre. Le pain fait-il défaut ? M. Blum et M. Thorez se renvoient à la face les tonnes et les quintaux de blé que  Moscou et Washington auraient dû nous fournir. On ne saurait mieux prouver que le rôle de l’Assemblée et du Gouvernement ne peut être, pour le moment, qu’un rôle d’administration et que la France, enfin, est dans la dépendance.

La seule chose à faire serait de le reconnaître, d’en tirer les conséquences et d’essayer, par exemple, de définir en commun l’ordre international sans lequel aucun problème intérieur ne sera jamais réglé dans aucun pays. autrement dit, il faudrait s’oublier un peu. Cela donnerait aux députés et aux partis un peu de cette modestie qui fait les bonnes et les vraies démocraties. Le démocrate, après tout, est celui qui admet qu’un adversaire peut avoir raison, qui le laisse donc s’exprimer et qui accepte de réfléchir à ses arguments (il serait donc urgent, en 2015, que les députés qualifiés de « frondeurs » soient écoutés et respectés).  Quand des partis ou des hommes se trouvent assez persuadés de leurs raisons pour accepter de fermer la bouche de leurs contradicteurs par la violence, alors la démocratie n’est plus. Quelle que soit l’occasion de la modestie,  celle-ci est donc salutaire aux républiques. La France aujourd’hui, n’a plus les moyens de la puissance. Laissons à d’autres le soin de dire si cela est bien ou mal. Mais c’est une occasion. En attendant de retrouver cette puissance ou d’y renoncer, il reste encore à notre pays la possibilité d’être un exemple. Simplement, il ne pourrait l’être aux yeux du monde que s’il proclamait des vérités qu’il peut découvrir à l’intérieur de ses frontières, c’est-à-dire s’il affirmait, par l’exercice de son gouvernement, que la démocratie intérieure sera approximative tant que l’ordre international ne sera pas réalisé, et s’il posait en principe, enfin, que cet ordre, pour être démocratique, doit renoncer aux déchirements de la violence.

Ce sont là, on l’a déjà compris, des considérations volontairement inactuelles.

Albert Camus.

La rédaction

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