Centrafrique / CPI : le transfèrement du chef rebelle Yékatom juridiquement discutable et politiquement évitable

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CENTRAFRIQUE : LE TRANSFERT DU DÉPUTÉ CHEF REBELLE À LA COUR PÉNALE INTERNATIONALE EST JURIDIQUEMENT DISCUTABLE ET POLITIQUEMENT ÉVITABLE.

Dans le respect de l’alinéa 3 de l’article 70 de la constitution, les parlementaires centrafricains devraient élire le nouveau président de l’assemblée nationale dans un délai de trois (3) jours francs après la destitution. C’est lors de cette élection qu’un député mécontent du scénario a fait usage de son arme sans faire de dégâts dans l’hémicycle. Arrêté par les forces de l’ordre, le parquet général l’a inculpé en procédure de flagrance et placé sous mandat de dépôt.
Un juge d’instruction a été saisi et en cours d’instruction, la cour pénale internationale s’est auto saisi en délivrant un mandat d’arrêt internationale et demande son transfert aux autorités centrafricaines non pas sur la base de la procédure de flagrance initiée par les autorités centrafricaines mais pour des crimes relevant de sa compétence enregistrés par son bureau aux moments troubles de la crise c’est à dire les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité, les viols, les pillages, l’enrôlement des enfants soldats etc…
Il est important de préciser à l’occasion que le député transféré est sous sanctions de l’ONU depuis 2014. Ce dernier a réussi malgré tout à se faire élire député et n’eût été l’erreur de trop qu’il regrettera toute sa vie, il devrait continuer à jouir de la plénitude de ses droits et à narguer ses victimes. A titre de rappel, la cour pénale internationale instituée par le statut de Rome et adoptée le 17 juillet 1998 est une juridiction internationale siégeant à la Haye en Hollande et est compétente pour juger les personnes accusées de crimes de guerre, crimes contre l’humanité ou génocide. La Centrafrique est signataire de ce statut de Rome offrant ainsi la compétence à la cour pénale internationale sur les crimes commis sur le territoire national.
C’est dans ce cadre qu’une fois saisi par le bureau du procureur de la cour pénale internationale, les autorités centrafricaines ont décidé dans le grand secret de répondre favorablement à la demande de transfert du député à la Haye à bord d’un avion spécial affrété par la cour pénale internationale conformément aux dispositions de l’article 89 des statuts de Rome. Les autorités centrafricaines par la voix du procureur de la république ont fait une médiocre sortie médiatique au cours de laquelle aucune explication juridique et légitime n’a été donnée pour faciliter la compréhension du public.
Au delà de cette carence chronique de pédagogie, la décision du transfert est motivée en substance par la non effectivité de la cour pénale spéciale de Bangui, le manque d’immeubles abritant la cour, les officiers de police judiciaire qui sont encore en formation, le manque d’infrastructures carcérales assorti de risques d’évasion et de révolte des miliciens qui lui sont fidèles. Nous tenons à rappeler à ce propos qu’un professionnel de droit ne peut se permettre de s’écarter des textes en vigueur. Des cent vingt huit (128) articles qui constituent l’ossature du statut de Rome, aucun des arguments du pouvoir n’est référencé.
En effet, l’article 17 du statut de Rome relatif à la compétence subsidiaire de la cour pénale internationale à celle des juridictions nationales est la clé de voûte du transfert. Il détermine la recevabilité du transfert et confirme le principe de subsidiarité. Les éléments qui permettent de déterminer l’incapacité de l’Etat de mener à bien les poursuites afin de transférer c’est à dire de la recevabilité sont définis à l’alinéa 3 de l’article 17 du statut de Rome qui dispose : « pour déterminer s’il y a incapacité dans un cas, la cour pénale internationale considère si l’Etat est incapable en raison de l’effondrement de la totalité ou d’une partie substantielle de son propre appareil judiciaire ou de l’indisponibilité de celui-ci de se saisir de l’accusé, de réunir les éléments de preuve et les témoignages nécessaires ou de mener autrement à bien la procédure ».
Il ressort de cet alinéa deux (2) conditions à savoir l’incapacité en raison de l’effondrement du système judiciaire et l’indisponibilité d’un système répressif en la matière. Pour tenter de s’approprier cette décision de transfert incomprise, inexpliquée, incohérente et injuste, le citoyen lambda s’interroge : La justice centrafricaine était-elle effondrée selon les dispositions de l’article cité ci-haut ? Pourquoi transférer le député à la cour pénale internationale au lieu de la justice nationale qui rapprocherait le procès du peuple ? Ce transfert ne constitue t-il pas la braderie d’une partie de notre souveraineté ? Pourquoi avait-on crée la cour pénale spéciale de Bangui qui n’est autre qu’un démembrement de la cour pénale internationale ? Le transfert ne constitue t-il pas une mise en danger des populations des territoires occupés et non contrôlés par le pouvoir à l’instar d’Alindao, Batangafo et autres ? Allez-vous encore crier au voleur si le procès de la cour pénale internationale sera dicté par la politique internationale à l’instar de la libération de Jean Pierre Mbemba qui a indigné bon nombre de centrafricains ? N’oublions jamais qu’il y’a une interaction entre la cour pénale internationale et le conseil de sécurité de l’ONU en matière de justice version politique qui pose souvent la problématique de son indépendance. S’agit-il d’une faute politique, d’une erreur morale ou de la charité de nos autorités ? Pour éviter deux poids deux mesures, le pouvoir s’attellera t-il à l’arrestation et au transfert des autres bourreaux qui pavanent ? En d’autres termes, d’autres mandats d’arrêt de la cour pénale internationale contre les autres chefs de guerre sont-ils déjà pendants devant nos autorités ? La notion de manque de volonté définie dans le statut de Rome s’identifie t-elle à un déni de justice ? Pourquoi interrompre une procédure de flagrance pourtant bien entamée ?
Dans le cas de flagrance parallèle aux crimes de guerre, l’article 94 du statut de Rome préconise un sursis à exécution de la demande de transfert de la cour pénale internationale. En effet, l’article 94 dispose :  « si l’exécution immédiate d’une demande peut nuire au bon déroulement de l’enquête ou des poursuites en cours dans une affaire différente de celle à laquelle se rapporte la demande, l’Etat requis peut sursoir à l’exécution de celle-ci pendant un temps fixé d’un commun accord avec la cour ». Alors pourquoi cette précipitation dans le transfert du député ? Ce délai de sursis pouvait coïncider à l’effectivité de la cour pénale spéciale de Bangui. En outre, il faut faire remarquer qu’à l’instar du procès Gbagbo, le parquet de la cour pénale internationale ne fonde ses accusations que sur les rapports des organisations non gouvernementales (ONG) occidentales trop souvent transparents et orientés selon leurs humeurs. Les procès sont très lents, rarement médiatisés pour être proches des victimes.
Pour finir et en guise de conclusion, la décision de transfert du député devant la cour pénale internationale ne répond à aucune norme légale et viole le principe de subsidiarité qui gouverne la problématique de compétence entre les juridictions nationale et internationale. Cette décision de transfert n’a rien de juridique comme prétend le procureur, elle est purement politique et nous saluons le courage politique du président de la république de l’assumer. Paradoxalement, ce transfert marque un signal fort d’impunité, joue la fonction d’exemplarité pour les autres chefs de guerre, donne un espoir aux victimes mais semble être un obstacle au processus de réconciliation nationale. Mais attention, ne le dites à personne. Si on vous demande, ne dites pas que c’est moi.
Paris le 23 novembre 2018
Bernard SELEMBY DOUDOU
Juriste, Administrateur des élections
Tel : 0666830062

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