Centrafrique : « Contribution au Dialogue Républicain »: Analyses & Recommandations, Paris avril 2022

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ANALYSES & RECOMMANDATIONS

I- INTRODUCTION

Répondant à la proposition de dialogue faite par le Chef de l’Etat, un groupement d’associations de la société civile s’est constitué pour travailler ensemble afin de participer à cette rencontre.Une série de consultations a commencé depuis le 19 avril 2021, afin de recueillir les préoccupations et recommandations des forces vives de la nation centrafricaine. Cette initiative est nécessaire pour mieux organiser ce dialogue qui pourrait marquer le début d’une nouvelle ère pour notre pays. Ce dialogue devrait jeter les bases d’une refondation destinée à réguler le présent et le futur de notre pays par la définition de nouveaux paradigmes et de nouvelles normes qui procèdent de nos réalités. Pour cela, le droit est le moyen essentiel qui instaurerait une culture, une conception du monde et de la vie en commun. C’est ce qui doit être à la base de tout.

Contrairement aux différentes assises antérieures, celle-ci ne peut pas seulement déboucher sur de simples recommandations, sans contraintes, sans contrôles, dépendant pour leur respect et mise en œuvre du seul bon vouloir de nos dirigeants. Du séminaire national de 1980 aux accords de Khartoum de 2019, il y a eu une vingtaine d’initiatives pour identifier les causes des crises militaro-politiques afin d’y trouver des solutions qui n’ont pas produit les effets attendus.

Si aujourd’hui nous demeurons dans des crises qui perdurent, c’est que nous n’avons pas posé le bon diagnostic. Nous nous sommes bornés à considérer plutôt les conséquences que les causes. Il faut donc changer de grille de lecture. La contrainte temporelle imposée pour les consultations préalables ne nous permet pas de faire des propositions sérieuses dans tous les domaines. Néanmoins, notre participation sera essentiellement axée sur les véritables causes qui sont pour nous d’ordre structurel. Nous serons force de propositions concrètes, sans doute difficiles mais réalistes, tout en gardant comme postulat que les solutions conjoncturelles ne peuvent pas résoudre des problèmes structurels.

II – DE L’ORGANISATION DU DIALOGUE REPUBLICAIN

1 – Des préalables au dialogue

La réussite d’une telle rencontre citoyenne nécessite une méthodologie rigoureuse en termes de durée, de format et des règles consensuelles, de participants etc. Nous regrettons que la préparation de ce dialogue n’ait pas respecté un certain nombre de principe(s) : délais très courts, objectif(s)restreint(s) etc. Il est dès lors impératif de redéfinir clairement les objectifs et les modalités de cette rencontre pour lui garantir un succès. Le choix des acteurs clés à l’organisation de cette assise devrait se faire en toute transparence et de manière consensuelle. Nous aurions souhaité qu’un comité préparatif soit mis en place composé du gouvernement, des partis politiques et de la société civile. Malheureusement l’équipe technique mise en place par le Chef de l’Etat ne cadre pas avec l’esprit d’inclusivité, de transparence et d’équité voulu pour ce dialogue.

2 – Accord sur les préalables

Cette assise, pour atteindre efficacement ses objectifs, devra se dérouler sous le triptyque Vérité-Justice-Réconciliation. Parce que la parole doit être libérée pour que la vérité soit dite et que la justice soit rendue, tout en privilégiant la justice transitionnelle afin que la réconciliation devienne une réalité. C’est pourquoi nous demandons qu’un accord préalable soit signé entre les différents participants concernant les objectifs, le format, les règles de fonctionnement du dialogue, les participants, la durée etc.

Réussir un premier accord sur les préalables déterminera la suite du processus car ce premier accord suscitera un sincère engagement des uns et des autres à œuvrer pour la réussite du dialogue.

III – CAUSES DES ERREMENTS DE LA REPUBLIQUE CENTRAFRICAINE

1 – Les facteurs internes

    • Facteur humain

Il s’est établi dans notre pays un laxisme généralisé. Cela nous a conduits à une tolérance systématique ouvrant la porte à toutes les dérives. Plus aucune règle sociétale et administrative n’est respectée. Cela s’est traduit par le faible niveau des agents de la fonction publique.

    • Facteur structurel

Nos institutions n’existent que de nom. L’application des textes qui les régissent est loin d’être nos préoccupations, ouvrant ainsi la voie à la corruption.

    • Facteur conjoncturel

Notre pays a vécu depuis 1958 au rythme des coups d’Etat. Ces évènements n’ont pas permis aux institutions de l’Etat de se développer pour atteindre un niveau de maturité suffisant permettant de conduire le pays vers son émergence.

    • Facteur culturel

Nous avons abandonné notre patrimoine culture ancestral au profit des cultures des autres. Nous n’avons pas su faire cohabiter notre culture à celle apprise dans les écoles occidentales comme l’ont fait les Japonais, en conservant nos valeurs traditionnelles.

2 – Les facteurs externes

  • La colonisation

Certaines raisons de nos échecs trouvent leurs causes dans la colonisation. C’est le cas par exemple tes textes fondateurs des différents cours et assemblées que nous avons recopiées sans un travail de tropicalisation.

  • Un leadership aux ordres de l’extérieur

Depuis l’indépendance à nos jours, toutes les décisions en République centrafricaines sont influencées par des forces extérieures. Qu’il s’agisse des élections, des coups d’état, de la finance et des réformes comme ce fut le cas des programmes d’ajustements structurels.

  • Une élite formée majoritairement à l’européenne

Formée majoritairement chez le colonisateur, l’élite centrafricaine a tendance à reproduire mécaniquement les connaissances acquises dans un contexte occidental. Un travail de tropicalisation doit être fait pour éviter les écueils.

3 – Analyse

La démarche d’identification des causes profondes de nos échecs laisse apparaître deux courants opposés :

Le premier a toujours considéré et pense encore qu’il suffit de changer les acteurs politiques en place jugés incompétents à tort ou à raison, pour donner satisfaction au peuple. Le second, minoritaire pour le moment, demande que l’on réfléchisse au-delà des apparences pour identifier ce qui pousse les individus, quelque soient leurs qualités, à se laisser phagocyter par le système organisé autour des rapports dominants/dominés et leurs effets d’aliénation culturelle.

Les tenants du premier courant sont à la recherche de l’homme providentiel revêtu de qualités telles que le patriotisme, la probité et la compétence, présumées inaltérables. Un constat négatif est à faire à ce niveau, c’est que souvent c’est à des proches jugés avec beaucoup de subjectivité qu’ils pensent.

Pourtant, l’expérience vécue est celle qui démontre que de nombreux individus d’horizons différents ont géré notre pays pendant plus de 60 ans, en menant la même politique, posant les mêmes actes, commettant les mêmes dérives.

Persister dans cette croyance revient à faire l’hypothèse que par une étonnante singularité statistique, seuls des incapables et des véreux seraient sélectionnés pour gouverner. Ce qui est indéfendable. Nous pouvons d’ailleurs aisément à partir de là, affirmer qu’au-delà des personnes, il y a des contraintes, des contingences de diverses natures qui impulsent et déterminent les comportements, les pensées et la perception du monde des individus, dirigeants et population comprise, et qui doivent être identifiées comme les causes profondes de nos échecs.

Cette analyse a le mérite de s’écarter des controverses irrationnelles partisanes habituelles et de s’appuyer sur la raison.

Mais qu’est ce qui conditionne les tenants de l’analyse en termes d’individu à défendre cette posture. C’est parce que nous avons tous été formés à l’école occidentale, et beaucoup d’entre nous sont imprégnés d’européocentrisme. Nous réfléchissons non à partir de nos valeurs mais à partir de réalités qui ont leurs sources à l’étranger, auxquelles nous ne pensons jamais, et qui déterminent notre perception des choses, notre raison, et notre façon d’agir, qui desservent nos intérêts. « Autre pays, autres mœurs » a-t-on parfois entendu dire.

La république centrafricaine n’est pas un pays dans le sens sociologique du terme. Il suffit de remonter l’histoire de la création de notre pays pour nous en rendre compte. C’est pour cela que nous manquons de cohésion nationale, de conscience collective et de solidarité nationale. Nous sommes divisés parce que le système qui nous a été imposé porte en lui-même les germes de cette division. Il organise cette division à travers les partis politiques, les religions, les régions, les ethnies etc. Finalement ce système au lieu de nous servir, nous a desservis en nous affaiblissant dans cette spirale de la division et la concurrence. Aussi naïvement que cela semble paraître, ce système nous est présenté comme étant la modernité afin de nous convaincre de son bien-fondé et nous obliger à y adhérer. C’est ce qui explique aujourd’hui notre engouement pour des notions comme démocratie, démocratie représentative, élections, assemblée nationale, gouvernement, sénat, gouvernance etc. L’Afrique avait bien une civilisation organisationnelle avant sa pénétration par l’Occident. En Centrafrique nous avions connu des modes d’administration de la société bien meilleurs que ce système qui nous est imposé. Nous disons que ces modes d’administration étaient meilleurs car ils cherchaient le consensus et non la concurrence. Il est temps de revenir à nos valeurs d’autrefois pour y puiser les valeurs qui feront notre bonheur en commun. Tous les maux qui gangrènent aujourd’hui la société centrafricaine ne sont que les conséquences de ce système que nous avons adopté (corruption généralisée, détournements de biens publics, injustice, gabegie, clientélisme, népotisme, violence, inversion des mœurs etc.).

IV – CAUSES DU NON-RESPECT DES ACCORDS, TEXTES, LOIS ET REGLEMENTS EN REPUBLIQUE CENTRAFRICAINE

1 – Confusion entre causes et conséquences

Parler des causes du non-respect des textes, lois, règlements et accords revient à nous poser la question sur les causes et les conséquences. L’un des facteurs qui font que nous n’adoptons pas les bonnes solutions c’est que nous ne réalisons pas les bons diagnostics. Nous confondons souvent causes et conséquences si bien que nous nous attaquons aux conséquences plutôt que de traiter les causes. C’est pourquoi les nombreux accords entre le gouvernement et les groupes armés n’ont jamais permis d’atteindre les objectifs escomptés. Nous avons fait des accords dont les recommandations ne permettaient qu’une accalmie de courte durée car ce sont des solutions conjoncturelles.

2 – La conjoncture

Nos textes sont pour la plupart du temps des reproductions du modèle français (constitution, code du travail, code de la route et autres, droit civil, droit pénal, droit administratif etc.). Cela résulte de notre rencontre avec le colonisateur qui avant de nous accorder l’indépendance s’est assuré que nous allons nous comporter conformément à sa volonté. Mais nous n’avons jamais fait un travail pour réformer ces textes afin de les adapter à notre réalité. La conséquence c’est que nous avons des textes inadaptés. Leur mise en application devient difficile car hors de notre portée.

3 – Absences de mesures coercitives

Les textes, lois, accords et règlements en RCA ne sont pas mis en application car rien n’oblige personne à le faire. On ne peut pas faire des recommandations sans exiger sa mise en œuvre de façon obligatoire et programmée lorsqu’il s’agit des questions cruciales comme la sécurité. Combien de fois la Constitution de la RCA a été violée sans inquiétude y compris par les Chefs d’Etat ?

4 – La participation citoyenne

L’une des causes des échecs c’est le fait que le peuple n’est jamais associé à ces rencontres. Associer le peuple c’est lui donner la possibilité de s’exprimer et donc de susciter son engagement dans la mise en œuvre d’autant plus qu’il s’est senti impliqué dans la négociation. Le peuple doit s’exprimer même lorsqu’il est question de modification de la Constitution.

V – LES RECOMMANDATIONS

1 – Des réformes institutionnelles :

    • Réinventer notre démocratie

La démocratie doit être une pratique de civilisation et non un produit d’importation. Nous ne pouvons pas continuer à vouloir fonctionner avec le même type d’organisation, les mêmes outils et les mêmes exigences du colonisateur et espérer aller de l’avant sans faire un travail de tropicalisation pour les rendre viables, fiables et efficaces au service de nos peuples.

    • Redéfinir un nouveau système électoral

D’autres modes de désignation existent et nous pouvons en faire l’expérience. C’est pourquoi nous proposons une réflexion collective sur un mode de dévolution de pouvoir, un système électoral adapté, qui prenne en compte les spécificités de notre pays, nos mœurs et coutumes, et qui corrigerait et encadrerait nos égarements.

    • Réformer le système judiciaire pour le rendre efficace et indépendant

L’impunité étant l’une des causes majeures de notre déconfiture, il faut réformer le secteur de la justice pour que son indépendance ne soit pas qu’une vue de l’esprit mais un élément constitutif d’un véritable Etat de droit.

    • Restaurer le statut des chefs traditionnels

Le statut des chefs traditionnels doit être réinventé pour leur redonner la place d’autrefois car ils ont un pouvoir et un rôle considérable à jouer dans la transformation sociale de notre pays.

    • Réduire le nombre de partis politiques et redéfinir les conditions de leur création

Les partis politiques dans leur forme actuelle sont source de nos divisions. On les accuse parfois d’être à l’origine des crises que nous traversons. Il faut réformer pour que ces partis deviennent de véritables acteurs de la bonne gouvernance tout en proposant des alternatives sérieuses et crédibles.

    • Réécrire une nouvelle constitution plus adaptée

Une Constitution est faite pour servir le peuple et le protéger des abus du pouvoir. Chaque peuple a ses spécificités qu’il ne faut pas négliger. Il faut à travers la Constitution créer un véritable Etat de droit. Pour cela nous avons besoin d’une Constitution rigide, forte, rigoureuse et sévère envers les violations des libertés fondamentales et des droits humains. Il faut que dans cette Constitution soient prévues des dispositions pour que le peuple reprenne sa souveraineté dès l’instant où les textes ne sont pas respectés. Ces dispositions forceraient les dirigeants à avoir du respect et de la considération pour le peuple.

La Constitution doit prévoir la mise en place des référendums d’initiative populaire. C’est un outil puissant de la démocratie directe qui prévoit que des citoyens puissent obtenir l’organisation d’un référendum pour statuer sur un certain nombre de sujets importants. Si le oui l’emporte, la proposition est directement adoptée sans suivre le processus législatif habituel. Contrairement au référendum populaire qui se penche sur un projet de loi déjà préparé, l’initiative citoyenne décide de ce que le législateur doit faire. C’est une bonne façon d’exprimer la souveraineté du peuple.

Les partis politiques ne doivent plus être de simples machines électorales, mais une force de proposition, plus proche des citoyens, moins enclins à la surenchère polémique vis-à-vis des autres partis surtout celui au pouvoir, avec lesquels ils seraient amenés à discuter régulièrement sur les sujets essentiels. C’est pourquoi un mécanisme constitutionnel doit être prévu pour développer la culture du dialogue permanent entre divers acteurs de la vie publique. La société civile doit avoir une place tout aussi importante dans cette Constitution car elle doit faire partie intégrante de la bonne gouvernance, de la représentation politique et du processus de décision politique.

2 – De la corruption

Création d’une agence nationale indépendante de lutte contre la corruption.

3 – De l’impunité

Rendre imprescriptibles les infractions en matière de corruption et de délinquance financière.

4 – De la bonne gouvernance

    • Mise en place d’un mécanisme d’audit public
    • Rendre les informations disponibles
    • Appliquer le principe de redevabilité
    • Créer un tableau de bord national de la bonne gouvernance

5 – De la Réconciliation nationale

    • Appliquer la justice transitionnelle
    • Dédommager les victimes de toutes les crises
    • Faire signer un pacte social à tous les centrafricains dans un contrat d’engagement à se conformer selon les lois nationales.

6 – Des groupes armés et milices

    • Dissoudre et démanteler tous les groupes armés et toutes les milices.
    • Faire signer aux dirigeants des groupes armés un contrat d’engagement.
    • Mettre en œuvre le DDRR

7 – De la mise en œuvre des préconisations du dialogue

    • Créer un organe indépendant du suivi du dialogue composé du gouvernement, des partis politiques et de la société civile.
    • Etablir un chronogramme de mise en œuvre
    • Définir des sanctions contre les contrevenants à la mise en œuvre
    • Cet organe doit rendre compte tous les 3 mois devant l’Assemblée nationale.
    • Capitaliser sur les travaux des différents dialogues antérieurs, les intégrer à la constitution après un toilettage pour en faire des lois.
    • Faire signer un engagement à toutes les parties prenantes à respecter les recommandations.
    • Faire un livret des recommandations à distribuer à tous les citoyens centrafricains.

8 – Autres recommandations

    • Réformer le système éducatif centrafricain pour le rendre plus orienté au service du pays en y intégrant nos valeurs traditionnelles.
    • Développer et vulgariser la langue Sango qui doit désormais être enseignée à l’école comme première langue. Nos documents administratifs doivent être traduits en Sango.
    • Redéfinir le mode de désignation des responsables des institutions de l’Etat.
    • Renforcer la participation de la société civile dans la gouvernance de l’Etat
    • Créer les conditions pour permettre à la diaspora centrafricaine de jouer pleinement son rôle
    • Revoir les conditions de la femme
    • Redynamiser et appuyer les initiatives à l’endroit de la jeunesse

Association de la société civile

Coordonnateur

« Initiative Citoyenne Centrafricaine »

Ibrahim SAMORY

« A Lingbi Awe »

Marcello IMAYAKA-MOHELLET

« Société Civile Centrafricaine »

Guillaume Psalmer ROOSALEM-HETMAN

 

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