Centrafrique : c’est pourquoi dépolitiser l’administration s’imposera comme une urgence !

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Dans une bande sonore qui circule actuellement sur les réseaux sociaux, une voix qui est reconnue comme étant bel et bien celle d’un certain Guy Samuel Nganatoua, député du 8ème arrondissement de la ville de Bangui et président de la Commission – Finances de l’assemblée nationale, rassurait son interlocuteur qui est un fonctionnaire relevant de la direction générale des douanes et des droits indirects au ministère des finances et du budget, de sa détermination à user de ses pouvoirs pour qu’il fût maintenu à son poste ou affecté sur un autre poste bien juteux. Dans leurs échanges, il n’est pas allé avec le dos de la cuillère pour demander au douanier s’il a reçu le projet du mouvement des finances qu’il lui a envoyé. Et l’autre de rétorquer qu’il l’a bien réceptionné. Ces échanges visaient, au fait, à permettre au président de la Commission – Finances d’user de ses pouvoirs parlementaires afin d’ obtenir, sinon, le non – paiement des taxes douanières, du moins, une minoration des frais à verser, sur une importante cargaison de boissons, achetée par son épouse à Douala au Cameroun, en vue de leur mariage prévu pour le mois de septembre prochain.

Aux communicants de l’Imposteur de Bangui, aux membres du gouvernement que dirige un certain Félix Moloua, au secrétaire général du parti – Etat dénommé « MCU » Simplice Mathieu Sarandji et aux coordonnateurs des innombrables associations de soutiens au pouvoir qui jouent le rôle de véritables milices au même titre que les « Tontons Macoutes » de Bébé Doc en Haïti dans les années 79, et à tous les thuriféraires du régime qui n’ont cessé de monter au créneau ces derniers temps pour qualifier le Rapport du HRW « d’allégations acrimonieuses et d’organisation moralement faillie », nous disons que cette bande sonore constitue l’une des preuves les plus irréfutables du rétrécissement de l’espace politique et civique en République centrafricaine. Nous sommes en face d’un acte avéré d’implication directe d’une autorité parlementaire, reconnue comme appartenant au MCU, jouissant du pouvoir de contrôle des actions du gouvernement, dans une prise de décision par une autorité ministérielle ayant un rôle politique et administratif, sans en avoir la compétence pour agir et en flagrante violation des critères d’intégrité, de neutralité, de qualifications requises et de maîtrise réelle de la technicité qui fondent toute nomination à des fonctions administratives et techniques.

Depuis l’accession du candidat Faustin Archange Touadéra à la magistrature suprême de l’Etat, la mainmise systématique et systémique du parti – Etat dénommé « MCU » sur tout l’appareil de l’Etat, le gouvernement, l’assemblée nationale par les pratiques mafieuses et criminelles de débauchages et d’achats des députés, les établissements publics et agences nationales et sur les collectivités territoriales, a été régulièrement dénoncée par l’opposition démocratique, la société civile et certains médias dont les directeurs de publication sont déterminés à lutter contre les dérives dictatoriales en cours. A telle enseigne que la réforme de l’Administration centrafricaine est une urgence pour tous ceux qui se battent pour l’avènement d’une nouvelle République. Elle s’impose comme une question fondamentale sur le chemin de l’émergence. Du coup, le plus gros employeur du pays avec près de 40.000 agents, est malade à tous les niveaux et ne parvient plus à allier atteinte de résultats et satisfaction du client qu’est l’usager de l’Administration.

« Notre pays, plus de soixante années après son indépendance, donc avec une Administration publique de plus de soixante ans, après avoir expérimenté des réformes avec des résultats très mitigés, et dans un contexte où les populations sont de plus en plus exigeantes sur la qualité des services publics qui leur sont fournies, doit inévitablement, procéder à une réforme profonde de l’État et à une transformation de l’action publique, seul gage de la préservation de l’intérêt général et du bien-être des populations pour l’atteinte de l’émergence économique, sociale et politique de notre pays » souligne Samuel Bissafi de l’UNDP, maître – assistant au Département d’Anthropologie à l’Université de Bangui. Ce dernier note que l’Administration souffre aujourd’hui d’un sérieux problème de réactivité. « Nous avons l’impression qu’elle ne réagit presque plus aux correspondances envoyées par les usagers mais aussi et surtout même plus à celles provenant d’autres structures de l’Administration. Cette attitude pourrait éventuellement entraîner un problème de transparence dans les affaires publiques mais poser aussi la question du respect du principe d’équité et d’égalité devant les citoyens, principe que leur accorde notre Constitution », dénonce vivement celui qui rêve de « Repenser les politiques publiques et réinventer l’Etat ».

Cette mauvaise attitude, qui trouve aussi l’une de ses explications dans les aspects liés à la question de la formation et des compétences de ses ressources humaines, favorise l’instauration d’un traitement basé sur le favoritisme, le lobbying et la corruption. La confiance constitue en effet le nerf de la relation qui lie l’Administration et le citoyen. L’autorité de l’État y dépend d’ailleurs. C’est pourquoi l’un des principaux objets de la réforme suggérée est et sera la restauration de cette confiance entre les citoyens et les agents de l’État. L’amélioration, de cette relation de confiance qui doit prévaloir entre l’Administration et les usagers, passe aussi par des instruments relativement nouveaux tels que Internet avec la systématisation de portails pour toutes les Administrations, explique un ancien président de l’Association africaine des centres d’enseignement à distance (AACED) basée à Dar es Salaam, en Tanzanie.

Comme nous l’avons souligné un peu plus haut, la principale plaie de l’Administration centrafricaine a été et demeure l’ingérence de la sphère politique dans l’acte de promotion de l’agent du service public. « Comme toutes les structures, on constate que l’Administration publique est fortement influencée par l’environnement dans lequel elle baigne. Le système politique a, en effet, un impact très négatif sur l’Administration. Cet impact est matérialisé par une cohabitation avec des rapports très déséquilibrés, dominés par le Politique. Par exemple, dans la répartition des postes de responsabilité au sein de l’Administration, le Politique jouit d’une certaine prééminence vue comme un phénomène normal et universellement accepté, au nom du principe : « qui gagne gouverne ». Mais, il faut noter qu’un tel principe ne pourrait être valable pour toutes les catégories de postes ou fonctions. Il ne peut donc se justifier, à la rigueur, que pour les fonctions à caractère politique, telles que celles de ministres et des membres de leurs cabinets, et non pour celles à caractère technique ou technocratique telles que les Directions de Sociétés publiques, les Directions nationales dans les différents départements ministériels et leurs services rattachés comme les Agences nationales d’Exécution et autres services assimilés. Ne serait-ce que pour un souci de conformité par rapport au but de l’Administration publique, et, qui le différentie essentiellement de l’Administration privée, l’Administration privée étant assimilée aussi au secteur privé, l’hégémonie d’un ou plusieurs partis politiques ne devrait, en aucun cas, être utilisée pour détourner l’Administration de sa mission de servir l’intérêt général, au profit d’intérêts strictement privés », avait dit feu Michel Ndérena, naguère direction générale de la fonction, sous le règne du général Kolingba, en 92. Une telle dérive soulignait-t-il, constitue un grand danger dans la gestion de l’Administration. Elle viole en plus deux règles constitutionnelles majeures qui fondent notre nation, à savoir l’égalité des citoyens devant le service public et la défense de l’intérêt général.

Cette allégeance marquée des autorités publiques aux politiques a engendré des perturbations dans la conduite des affaires de l’Administration et a fini de convaincre de la partialité et du manque de neutralité de cette dernière aux yeux d’une bonne frange de l’opinion aussi bien nationale qu’internationale. Cette situation d’allégeance a naturellement des conséquences extrêmement néfastes dans la vie de la nation, parmi lesquelles, nous pouvons citer particulièrement : Une divulgation systématique d’informations à caractère confidentiel et/ou secret sur la voie publique. Le constat est, qu’en réalité, politique et Administration cohabitent très mal depuis 2016. D’ailleurs, la situation est devenue, aujourd’hui, extrêmement grave et même dangereuse pour l’Etat qui voit son mythe s’effondrer.

En effet, l’Administration qui représente le bras armé de l’Etat, et la fragiliser revient à fragiliser l’Etat, se politise de plus en plus. Un contrôleur général des finances et journaliste indépendant contraint à l’exil depuis août 2019, fait le constat que « certains secteurs de l’Administration, particulièrement des régies financières, restés pendant longtemps en dehors de cette mouvance, ont fini, au fil de ces vingt-deux dernières années, à s’ériger en Administration les plus politisées de notre Etat aujourd’hui. C’est le cas, particulièrement de la Direction générale des Impôts et des Domaines (DGID) et de la Direction générale des Douanes et des Droits Indirects (DGDDI). L’exemple le plus frappant que je peux citer, encore une fois, concerne ces deux cas qui constituent, aujourd’hui, non seulement les deux structures les plus politisées de notre Administration, mais aussi qui subissent en son sein des pressions venant de toutes parts. La raison fondamentale est, malheureusement pour ces Administrations, d’avoir à leur tête, à un moment crucial de leur histoire, des dirigeants opportunistes, sans aucun sens républicain ou esprit patriotique. Ces Hauts fonctionnaires ont choisi de mettre en péril l’image de l’Administration et, au-delà, l’image de l’Etat et de la République pour mener des combats personnels, bassement politiciens et matériels, qui sont en train de conduire notre pays vers des dérives extrêmement dangereuses et graves, vers le chaos. Tous ces mauvais comportements de fonctionnaires nous ramènent à des questions d’éthique, de déontologie et de professionnalisme dans le secteur public mais aussi à un manque de culture administrative de leur part. Il ne s’agit pas d’être Agent de l’Etat pour connaitre l’Administration ou pour avoir la culture de l’Administration. Il ne s’agit pas non plus, malheureusement, de sortir d’une école de formation de fonctionnaires, civils ou militaires, pour avoir une conscience administrative ou maitriser les règles de fonctionnement de l’Administration. C’est juste une condition nécessaire, peut-être, mais pas suffisante pour être un bon Agent de l’Etat ».

Fort de ce qui précède, le décollage de la République centrafricaine de demain ne pourra se faire que si les services publics cesseront d’être un frein bureaucratique qui bloque les initiatives et bride les volontés. Les Centrafricains subissent depuis toujours la toute-puissance despotique de leur administration, « cet organe de contrôle opaque et dépourvu de volonté », selon l’expression d’un habitué de ses arcanes. Un Léviathan sourd, muet, hermétique qui ne s’ouvre facilement qu’aux habiles négociateurs possédant l’entregent et la connaissance nécessaires pour décoder son fonctionnement mystérieux. Des truchements qu’il faut en retour récompenser en valeur ou en service. Au Canada, pour prendre un exemple, les services publics attribuent le qualificatif de « client » à leur usager car celui-ci a acheté la prestation en s’acquittant de ses impôts. Chez nous, du simple factotum au responsable de tel ou tel département, les ronds-de-cuir disposent d’un indiscutable pouvoir régalien.

Pourtant, l’administration est une vieille invention humaine dont l’utilité se résume à la facilitation de la vie dans la cité. Sa fondation remonte à la Chine ancienne et même, d’après des avis, à Babylone du roi Hammourabi qui avait établi, plus de deux mille ans avant J.-C., son fameux Code pour gérer son royaume. Cette organisation civile, dont le nom vient du verbe latin administrare qui signifie gérer, aider, fournir ou diriger, doit être neutre et servir l’intérêt général sinon elle devient un monstre qui se nourrit des meilleures volontés. Mais sous notre ciel, les commis confondent leur personne et leur fonction, estime le chef d’une petite entreprise qui cherche à se délocaliser « dans un pays où l’intelligence n’a pas besoin d’une légalisation par un gratte-papier de daïra. » Selon lui, certains fonctionnaires ont privatisé les démembrements de l’Etat et agissent en contravention avec ses intérêts .

De ce fait, l’administration demeure vorace en temps et en papier, frustrante pour les porteurs de projets et les créateurs, extrêmement procédurière, lente, apathique, égocentrique, en un mot inefficace et contre-productive, comme le regrette sous le sceau de l’anonymat un ancien haut fonctionnaire aujourd’hui à la retraite. Elle agit comme un grand facteur bloquant et fonctionne avec des rouages édentés qui tournent au ralenti et, parfois, à l’envers , et cette culture, mine de rien, est en train de sceller le sort du pays.

La rédaction

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