CENTRAFRIQUE – Bozoum, figure d’un pillage généralisé des ressources naturelles, par entente avec l’Etat. Chroniques du Père Aurélio

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Cela est connu de tous, en Centrafrique : sur la quasi-totalité des 623.000 km2 de ce territoire l’exploitation sauvage des ressources naturelles, or, diamant et bois précieux en tête, est la règle ; exploitation par des bandits de tous poils, groupes armés, aventuriers étrangers, et même membres des forces internationales. Toujours au détriment des habitants, quand ce n’est pas au prix de leur travail forcé. Toujours accompagné d’un massacre de l’environnement (crimes environnementaux). Presque toujours au vu et au su des autorités qui sont intéressées au profit, et même parfois, pour pousser le vice du crime plus loin, sous couvert d’un contrat formel de concession conclu avec l’Etat. Un Etat dont le Constitution prévoit pourtant “la protection du patrimoine national et la transparence dans l’exploitation et la gestion des ressources naturelles” ainsi que “la redistribution équitable des profits générés par les ressources naturelles”, le tout sous le contrôle de l’Assemblée Nationale et d’une Haute Autorité chargée de la bonne gouvernance !

Le Père Aurélio Gazzera, prêtre affecté à la paroisse de la ville de Bozoum a osé s’attaquer à cette mafia. Simplement en levant l’omerta sur ce qui se passe. La chronique de vie qu’il tient sur son blog, En direct depuis Bozoum, contient le récit des faits et évènements qui rythment la vie des habitants de cette ville et de la région, et qui rythment les semaines des chrétiens. C’est ainsi qu’il en est venu à raconter l’exploitation chinoise des ressources dans la localité, et le scandale de cette exploitation. Depuis, il est devenu ennemi public numéro 1, dénoncé par le Premier Ministre lui-même à la tribune de l’Assemblée Nationale ! C’est tout dire… Place donc à son récit, mais pas avant de dire, du fond du cœur, MERCI PÈRE AURELIO, COURAGE PÈRE AURELIO.

Jean-François Akandji-Kombé

Jeudi 21 mars 2019 : Espoir ou désespoir ?

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Il y a quelques mois, près de Bozoum, une société chinoise a ouvert au moins 17 sites de recherche aurifère: ils détournent le cours de la rivière Ouham, et avec des bulldozers et des pelles mécaniques nettoient le fond. C’est impressionnant de voir la catastrophe créée: des montagnes de gravier, des trous remplis d’eau, le cours de la rivière en ruine, l’eau polluée (ils utilisent probablement du mercure pour faciliter la recherche de l’or).

Seulement entre les machines et le carburant, j’ai calculé une dépense quotidienne d’au moins 30 000 euros. Par jour ! Et combien doivent-ils gagner pour dépenser autant d’argent?

Les autorités prétendent ne rien savoir et l’or part pour le Cameroun chaque semaine. Et à la frontière (étrangement) pas de contrôle! Et rien n’entre dans les coffres de l’Etat!

Jeudi 28 mars 1919 : Vie et mort

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Lundi, je suis descendu à Bangui pour rentrer à Bozoum mercredi, où je trouve une belle surprise: le ministre des Mines a suspendu toutes les activités d’extraction de l’or à Bozoum! Et depuis trois jours, les chantiers sont arrêtés! C’est une première petite victoire et nous espérons que les entreprises chinoises seront obligées de respecter les règles et de réparer les dégâts causés.

Nous verrons et nous contrôlerons!

Jeudi 4 avril 2019 : On avance

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On avance! Mais malheureusement, avancent aussi les travaux de la société chinoise qui extrait l’or dans les environs de Bozoum. Malgré la décision du ministre, les travaux ont repris, un peu en sourdine (la nuit ou dans les sites plus éloignés). Complicité? Défis? Vendredi dernier, au cours de la messe pour l’anniversaire de la mort du premier  président de la République centrafricaine (Barthélemy  Boganda), j’ai expliqué à la Communauté le grand problème de l’exploitation sauvage, de la pollution et du vol des matières premières par l’entreprise chinoise. Le préfet était présent, mais il n’a pas réagi. Complicité?

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Jeudi 11 avril 2019 : Trop de richesse?

Comme dans la vie, cette semaine aussi se sont alternés des moments de chagrin et d’espoir.

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Samedi matin, je vais au fleuve Ouham pour essayer de comprendre si la décision du ministère de suspendre toutes les activités d’extraction d’or de la société chinoise est respectée ou non. En arrivant à un kilomètre de la rivière, je peux déjà entendre le bruit des machines. Je côtoie la rivière et je marche pour plus d’un kilomètre et demi sur le chantier. C’est impressionnant! Ils ont détourné l’eau de la rivière en creusant un canal de 4 mètres de large et 4 bulldozers chargent tout le gravier et le sable du fond du fleuve sur une machine pour tamiser et extraire l’or. Pas de contrôles, pas d’attention de la part des autorités. Et les chantiers sont développés sur au moins dix kilomètres. Les ressources du pays, qui pourraient être utilisées pour son développement, sont volées sans honte et laissent de profondes cicatrices, pas seulement dans le lit de la rivière.

Je me demande (et malheureusement, je connais déjà la réponse), si la décision du ministère est un acte sérieux  ou s’il s’agit simplement d’une opération de façade.

(…)

Jeudi 2 mai 2019 : Un peu d’agitation

Certains parmi vous sont déjà au courant: c’était une semaine un peu agitée.

Samedi 27 avril je suis retourné au fleuve, parce que je voulais voir la situation de l’Ouham, et le travail des entreprises chinoises qui en extraient l’or.

J’ai pris quelques photos, et quelques vidéos des travaux qui n’ont pratiquement jamais cessé.

Quand je reprends le chemin du retour, arrive un militaire, qui m’intime de m’arrêter. Il est armé, et je n’ai pas beaucoup de confiance, et je lui dis que je continue mon chemin. Il appelle avec la radio d’autres militaires, qui arrivent aussitôt.

Il me demandent pourquoi je suis allé prendre des photos…et je leur dis que ce n’est pas interdit, d’autant plus que je n’étais pas sur le chantier, mais de l’autre côté de ce qui était le fleuve Ouham. Ils sont très agités, et ils me menacent, ils crient et ils me saisissent l’appareil photo et le téléphone, et ils me fouillent.

Ils m’accompagnent où j’avais laissé la voiture, et là ils me disent que je suis en état d’arrestation ! Un parmi eux me demande si je n’ai pas honte, en tant que homme de Dieu, de faire ce genre des choses. Je lui répond que j’ai plutôt honte pour lui, qui serait censé protéger le pays, et ne pas de le vendre aux étrangers…

Puisque j’insiste que je n’étais pas sur le chantier, ils veulent qu’on retourne et je lui fasse voire où j’ai pris les photos. Nous reprenons le chemin, en plein soleil, et nous parcourons 1,5 km pour la 3è fois.

Après ils me ramènent vers la voiture, dont ils avaient saisis les clefs, ils me font monter derrière et ils partent en grand vitesse vers la Brigade minière (don des Chinois !!!!). Mais nous devons traverser la ville, et les gens comprennent vite qu’il y a un problème.

Nous arrivons à la Brigade Minière, et aussitôt une foule de jeunes, de femmes et de gens arrive, en criant et en exigeant ma libération. La situation est presque comique : les militaires ne savent pas quoi faire, et moi j’attends… Après quelques minutes, ils décident de me libérer, mais moi j’exige qu’ils me rendent le téléphone et l’appareil photo.

Finalement je sors de la Brigade minière. La foule est folle de joie, et je repars en moto (car les clefs de la voiture ne sont pas encore arrivées. Toute la ville est sur la route, contente de cette libération, mais aussi très très fâchée contre les autorités et surtout contre l’entreprise chinoise.

Je rentre à la Mission, mais entretemps la ville est très chaude : les gens érigent des barricades, et une voiture de l’entreprise chinoise est brulée.

Les gens menacent de descendre vers les sites des chantiers, pour chasser les chinois. Alors je reviens en ville avec le Préfet et le Procureur de la République, et  nous essayons de calmer les gens. Mais juste à ce moment, arrive une voiture des FACA (Armée Centrafricaine) à toute vitesse, avec une dizaine d’éléments. Ils sont armés, mais la foule (entre 3-4.000 personnes) va vers eux et les oblige à reculer.  Quand ils sont près de leur voiture, ils commencent à tirer vers les gens, et à bout portant : nous nous jetons à terre, et grâce à Dieu il n’y a pas de blessé !

Finalement ils repartent. Je ramène la foule vers le centre-ville, et je monte sur une barricade, et je les remercie, mais je leur dis de rentrer à la maison, et de ne pas faire d’autres actions violentes.  Et que le problème de l’exploitation sauvage doit être réglé selon les lois.

Et ils partent !

Merci na Nzapa. Grace à Dieu !

Les jours suivants sont très tendus. En plus, les autorités de Bangui réagissent n m’accusant d’être moi-même un trafiquant d’or !

Jeudi 9 mai 2019 : Une semaine agitée, un peu moins agitée

Lundi matin je pars pour Bangui. Cette fois-ci, je voyage en avion, surtout pour des raisons de sécurité, après les problèmes des dernières semaines dus aux sociétés chinoises qui extraient de l’or. Un voyage quelque peu inquiet, car les accusations qui m’ont été portées par le Premier Ministre, devant le Parlement, sont très lourdes (même si elles sont ridicules). Je voyage sereinement parce que, dans ma conscience, je sais que j’ai bien fait. Et aussi parce qu’il y a tellement de gens, un peu partout dans le monde (de Bozoum à Bangui, de la Centrafrique à l’Europe et ailleurs) qui me soutiennent et prient pour moi.

Mercredi (7mai) en début d’après-midi, il y a un rendez-vous avec le Premier ministre. Je suis accompagné de l’évêque de Bangui, le cardinal DieudonnéNzapalainga, et de l’évêque de Bouar. Le cardinal a une autorité impressionnante et est respecté de tous.

Le Premier ministre nous reçoit avec les 3 ministres impliqués dans le problème des mines d’or de Bozoum: le ministre des Mines, celui de l’Environnement et celui des Eaux et Forêts. Le cœur et la pensée sont avec des milliers de personnes de Bozoum, qui souffrent de l’injustice de cette industrie minière, et en leur nom nous exprimons leurs problèmes et leurs préoccupations: le désastre environnemental du lit du fleuve creusé et bouleversé, la pollution de l’eau, l’absence de répercussions économiques sur les communautés locales.

Malgré quelques menaces et reproches, le gouvernement reconnaît l’existence d’erreurs et décide qu’une nouvelle commission d’enquête sera envoyée à Bozoum et qu’il demandera à l’entreprise chinoise de démarrer les travaux promis (une école, un dispensaire et des puits) et ranger le lit de la rivière.

Ce sont des promesses, mais j’espère que quelque chose suivra concrètement…

CHRONIQUES DU PÈRE AURELIO GAZZERA

JFAK

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