Centrafrique : « Affaire Touadéra, président de la République et président du MCU »: Si Me Zarambaud Assigambi avait été là……

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Le 23 juin 2008, lors d’une audience publique au palais de justice de Bangui, Marcel Malonga, Président de la Cour Constitutionnelle de la République Centrafricaine, a déclaré que la Cour n’avait pas compétence pour examiner une requête en destitution du Président de la République.

Cette lecture rationnelle de la Constitution du 27 décembre 2004 met en exergue l’un de ces angles morts qui caractérisent tout droit constitutionnel positif d’un Etat de droit et de démocratie pluraliste : la sanction de certaines violations de la loi fondamentale par les gouvernants n’est pas organisée. En l’occurrence, la Constitution Centrafricaine prévoit bien la destitution du Chef de l’Etat dans certaines hypothèses, mais ne désigne pas l’organe chargé de la prononcer. En somme, le mot, sans la chose…

Nul n’a contesté – et ne saurait contester – que le Président François Bozizé a commis des manquements caractérisés à l’article 23  de la Constitution, des manquements qui exposent leur auteur à la destitution. Me Assingambi Zarambaud a relevé, dans sa saisine de la Cour Constitutionnelle en date du 22 avril 2008 (consultez son  mémoire ICI), des infractions dont la matérialité n’a pas été discutée :

  • – Le Président de la République, par décret du 22 janvier 2008 sur la composition du nouveau Gouvernement, s’est nommé Ministre de la défense nationale, des anciens combattants, des victimes de guerre, du désarmement et de la restructuration de l’armée, alors que le cumul des fonctions présidentielles avec toute fonction politique est expressément interdit par l’article 23 de la Constitution sous peine de destitution. C’est sur ce fondement que, le 27 mars 2008, Me Assingambi Zarambaud avait soulevé devant le Conseil d’Etat une exception d’inconstitutionnalité à l’encontre dudit décret qu’il attaquait en excès de pouvoir (consultez sa requête ICI).
  • – Il est constant que François Bozizé, nonobstant son accession à la magistrature suprême, a été et demeure président du KNK, une organisation politique; l’exercice d’une telle responsabilité viole grossièrement l’article 23 de la Constitution et expose également l’intéressé à la destitution.

Destituable, le Chef de l’Etat ne peut être destitué par la Cour Constitutionnelle ou par une autre institution. Les avocats du Président de la République (consultez ICI le mémoire de Me Bizon et ICI le mémoire de Me Opalegna), ont eu beau jeu d’exploiter les bizarreries et les failles du texte constitutionnel. Le mot « destitution » y apparaît à six reprises :

Ne faut-il pas déduire du rapprochement de ces dispositions et d’un texte souvent prolixe que le Constituant de 2004 a délibérément omis de prévoir le mécanisme de sanction des cas de destitution et a sciemment ouvert la porte à l’impunité présidentielle ? Il est troublant de relever que dans toutes les hypothèses, sauf celle de la destitution, l’article 34  de la Constitution réglemente dans le détail les différents modes de constatation de la vacance de la présidence de la République. Si cette incroyable carence ne résulte pas d’une intention maligne, il faudrait la mettre sur le compte de l’incurie du Constituant de 2004, qui aurait copié aveuglément l’article 32  de la Constitution de 1995, sans tirer la moindre conséquence d’une innovation majeure : l’ajout de la destitution à la liste des cas entraînant la fin du mandat présidentiel.

Faire croire aux centrafricains que le juge constitutionnel peut et doit réparer une telle bévue du Constituant revient à les bercer d’illusions pseudo-juridiques. C’est en réalité, au nom d’une certaine conception morale du constitutionnalisme, que Me Assingambi Zarambaud (consultez son mémoire ICI) a pu arguer que 

« tout citoyen a intérêt à saisir la Cour Constitutionnelle pour sanctionner les violations de la Constitution […] les recours aux fins de respect scrupuleux de la Constitution, des lois et des règlements constituent une aide tant aux gouvernants qu’au Peuple, l’intérêt bien compris et constamment proclamé des gouvernants étant de pratiquer la bonne gouvernance et le Peuple ne pouvant s’extirper de la misère dans laquelle il patauge que grâce à la pratique constante et scrupuleuse de la bonne gouvernance. […] les recours aux fins de respect scrupuleux de la Constitution, des lois et des règlements, loin de mettre la Cour Constitutionnelle et autres juridictions dans l’embarras, sont des occasions nécessaires permettant à la Cour Constitutionnelle et autres juridictions d’exercer les prérogatives à elles conférées par la Constitution, les lois et les règlements de la République, dans l’intérêt supérieur de la Nation. […] c’est donc à bon droit que le Constituant et le législateur ont ouvert ces recours à « tout intéressé », afin qu’en cas de défaillance des Partis politiques et des organisations de défense des droits de l’homme, les premiers concernés, la Constitution, les lois et les règlements de la République ne continuent pas à être impunément violés, ce qui ne peut que porter atteinte à la légitimité des Gouvernants et maintenir le Peuple dans la misère ».

Comment la Cour Constitutionnelle aurait-elle pu faire droit à cette re-fabrication de l’ordre constitutionnel centrafricain et accueillir la requête en destitution du Président de la République ? Il est spécieux d’affirmer que la Constitution Centrafricaine reconnaît – implicitement mais nécessairement – au citoyen un droit au recours illimité « aux fins de respect scrupuleux » de toutes les règles de droit ; un simple citoyen ne peut pas obtenir de la Cour Constitutionnelle la destitution du Chef de l’Etat, même au Bénin où l’article 3 alinéa 3 de la Constitution de 1990 lui attribue une place privilégiée de défenseur de la Constitution. Les extrapolations pour la « bonne » cause sont-elles autre chose que des arguties visant à s’affranchir des règles du jeu judiciaire et à décrédibiliser les « mauvais » gouvernants ? Il s’agit, en somme, de s’opposer au pouvoir en place, mais par des moyens étrangers au jeu politique habituel.

Ce constat s’impose d’autant plus qu’il existe une voie de droit, autre que la destitution du Président de la République – constitutionnellement impossible ! -, pour sanctionner un manquement caractérisé à l’article 23  de la Constitution. Une lecture combinée des articles 25 et 96  de la Constitution permet de s’en convaincre aisément : lorsque le Chef de l’Etat enfreint le régime des incompatibilités, il commet une violation du serment, par lequel il jure « d’observer scrupuleusement la Constitution » ; toute violation du serment est constitutive de haute trahison ; le Président de la République est justiciable de la Haute Cour de Justice pour haute trahison. Seulement, un simple citoyen ne peut mettre en mouvement la justice politique, puisque la mise en accusation doit être demandée par 50% des députés et la résolution dûment motivée votée par les 2/3 d’entre eux. Et la configuration politique actuelle de l’Assemblée Nationale interdit certainement aux opposants de franchir ces obstacles de procédure.

Le constitutionnaliste sans attache partisane ne peut tirer de l’affaire Zarambaud c/ Bozizé qu’un constat désabusé : le Président de la République Centrafricaine peut commettre bien des péchés constitutionnels, sans risque d’être inquiété.

 

Stéphane BOLLE
Maître de conférences HDR en droit public
Université Paul Valéry – Montpellier 3
http://www.la-constitution-en-afrique.org/

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La rédaction

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